samedi 31 décembre 1983

LA DURABILITE DE L'ISOLATION ACOUSTIQUE DANS LES CONSTRUCTIONS

Introduction


La présente communication est tirée d'une étude effectuée sous la direction du Plan-Construction sous le titre « Durabilité et entretien de la protection acoustique des bâtiments »; cette étude ayant pour objet de former une synthèse des informations disponibles sur le sujet et d'établir les bases d'un guide destiné à sensibiliser les professionnels de l'entretien aux problèmes acoustiques.

L'isolation acoustique est actuellement conçue et réalisée pour répondre à des exigences réglementaires ou contractuelles au stade de la livraison des bâtiments; il n'est pas réellement tenu compte de l'évolution possible dans le temps des performances et, par conséquence, des critères de durabilité et d'entretien.

Cette observation n'implique pas bien sûr que les dispositifs de protection acoustique sont à considérer systématiquement comme fragiles et peu durables, néanmoins la démonstration de leur pérennité n'est pas non plus évidente. La question de la durabilité de l'isolation acoustique dans les bâtiments mériterait d'être posée sérieusement et tout ce qui peut être dit à ce jour doit être considéré comme préliminaire.

Cette question en fait a été posée au cours des débats parlementaires sur la loi du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, puisque le rapporteur de la commission des lois au Sénat et celui de l'Assemblée Nationale n'étaient pas d'accord. Pour le premier « le défaut d'isolation phonique est un désordre statique peu susceptible d'évolution », tandis que pour le second « les défauts d'isolation phonique connaissent souvent une aggravation dans le temps ». Finalement, le Sénat a eu raison puisque l'isolation acoustique a été classée dans le cadre de la garantie de parfait achèvement à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant le délai d'un an et d'une garantie de 6 mois de la part du vendeur.

Donc, l'isolation acoustique ne devrait pas se dégrader dans le temps, ou bien une éventuelle réduction de performance ne devrait pas mettre en cause la propriété à destination des locaux. Là-dessus, la jurisprudence est attendue avec impatience et les techniciens peuvent s'interroger sur la compétence acoustique du législateur.

Investigations sur la dégradation éventuelle de l'isolation acoustique


Observations in-situ

Le moyen d'investigation le plus sûr pour apprécier la possibilité de dégradation de l'isolation acoustique est l'observation de résultats de mesures acoustiques effectuées à plusieurs années d'intervalle, à des emplacements identiques n'ayant pas subi de transformations et dans des conditions de mesure comparables. De tels essais n'existent qu'en tout petit nombre, ils sont insuffisants pour pouvoir tirer des conclusions acceptables, mais permettent d'ouvrir le débat.

Nous citerons les exemples suivants :
- Mesures d'isolement aux aériens entre pièces superposées dans une opération près de Lille. L'intervalle de temps entre les mesures se situe entre 2 et 6 ans. Sur les 15 essais effectués, trois isolements sont meilleurs. Un isolement n'a pas varié et 11 se sont dégradés. Si l'on prend la précaution, étant donné l'intervention de laboratoires différents, de ne considérer que les variations supérieures à la marge de tolérance de mesure, les trois résultats significatifs qui subsistent présentent une dégradation de 5 et 7 dB(A) après 5 années et de 4 dB(A) après 6 ans.

- Mesures d'isolement vertical ou horizontal réalisées par un laboratoire de l'Équipement avec un intervalle de temps compris entre 2 et 5 ans. Sur 9 essais, 2 isolements se sont améliorés, un isolement n'a pas varié et 6 se sont dégradés. Si l'on ne considère que les résultats supérieurs à 3 dB(A), 8 essais sont à négliger et une seule mesure présente un déficit de 4 dB(A) après 3 ans et 4 mois.

- Quelques cas existent où la dégradation est manifeste, comme par exemple une réduction de l'isolement de 15 dB(A) à la suite de la déformation d'une façade légère filante.

- Vis-à-vis des bruits d'impacts une importante étude a été faite par un Institut de physique d'Allemagne de l'Ouest sur des planchers flottants. Sur l'ensemble des mesures effectuées après 3 ans, 3 % ont mis en évidence une perte d'isolement d'au moins 8 dB(A) et 19 % une perte d'au moins 5 dB(A).

- Un fabricant de plaques de gommes naturelles, dans lesquelles il est possible par découpage de confectionner des plots antivibratoires, présente dans sa documentation publicitaire des résultats de mesure de vibrations effectuées sur un socle flottant après 10 ans d'utilisation. La perte d'efficacité exprimée en niveau d'accélération atteint un maximum de 22 dB(A) sur les fréquences proches de 1000 Hertz.

Essais en laboratoire

En laboratoire cette fois (il ne s'agit donc pas de vieillissement naturel), un centre de recherche a fait une campagne de mesure sur le bruit provoqué par 12 robinetteries à différents stades d'usure provoquée par la manœuvre d'ouverture et de fermeture du robinet. Après 200 000 cycles de fonctionnement, la mesure étant faite à la moitié du débit du robinet, un résultat n'a pas varié, 8 robinets se sont améliorés de 1 à 16 dB(A) et 3 se sont dégradés de 6 à 7 dB(A). Ces essais instructifs, étant donné que 200 000 cycles de fonctionnement correspondent approximativement à 10 ans d'utilisation, ne reflètent cependant pas un usage en condition réelle, c'est-à-dire l'étude des robinets soumis aux effets de l'entartrage et de la corrosion, surtout en eau chaude. Un essai de durabilité qui comprendrait ces paramètres apporterait des renseignements beaucoup plus intéressants.

Également pour les équipements, et en particulier pour les ascenseurs, un laboratoire de l'Équipement a retrouvé dans ses archives 7 couples de mesures dans un intervalle de 1 à 2 ans; soit un intervalle qui reste limité dans le temps. Les résultats sont divergents puisqu'il est constaté à la fois des améliorations pouvant aller jusqu'à10 dB(A) ou des dégradations jusqu'à 4 dB(A). L'importance des possibilités de réglage ou de déréglage est démontrée, ainsi que l'importance d'une maintenance acoustique qui se porte au-delà de la seule vérification du bon fonctionnement mécanique.

Ces quelques exemples qui ont été recueillis avec beaucoup de difficultés n'ont pas fait l'objet d'une analyse de vieillissement parce qu'il aurait fallu, dès l'origine des mesures, observer en détail les différentes voies de transmissions et avoir une description détaillée des ouvrages.

Modifications inhérentes aux constructions


L'étude de l'évolution dans le temps des performances doit se rapprocher des modifications inhérentes aux constructions à savoir : les variations dimensionnelles, l'évolution chimique des matériaux et l'usure.

Variations dimensionnelles

Rappelons que les ouvrages en béton font l'objet de déformations dues au fluage (de l'ordre du 100e de mm/mkg.cm2), que l'on considère comme achevé aux 3/4 après un an de chargement, et également sous l'effet de variations de température d'une valeur de l'ordre du 100e de mm/m/degré centigrade.

Sous l'action de ces déformations et de flexions différentielles des planchers, les maçonneries et les cloisons sont soumises à des contraintes tant verticales qu'horizontales de compression et de traction. En faisant varier la raideur et les conditions de liaison au bord des parois, on modifie leur comportement acoustique. A l'extrême, c'est-à-dire en passant d'un encastrement complet à une désolidarisation périphérique, il a été vérifié en laboratoire qu'une cloison légère en maçonnerie voit son indice d'affaiblissement acoustique augmenter de 3 à 5 dB(A). Les transmissions latérales par ce type de cloison étant loin d'être négligeables, on remarque qu'une modification dans le temps peut aussi être envisagée pour un isolement entre appartements par cette voie. Au-delà de la contrainte admissible apparaissent les fissures. Dans ce cas, la perte de performance acoustique s'accompagne heureusement, si l’on peut dire, d'une observation visuelle qui permet de cerner le problème, car le constat oculaire est beaucoup plus facile que le constat auditif et de ce fait la réparation plus évidente.

Evolution chimique des matériaux

Parmi les matériaux dont l'organisation moléculaire subit des variations dans le temps par le seul contact avec l'environnement ambiant, l'élastomère est, à cause de son utilisation croissante dans le bâtiment, largement concerné (calfeutrements, raccords, fourreaux...).

Un laboratoire anglo-saxon a fait paraître, dans une revue spécialisée sur le caoutchouc, les résultats d'une étude visant à préciser la durée pendant laquelle les articles peuvent être stockés avant qu'il n'y ait modification de leurs propriétés au point de vue de la résistance mécanique et de l'allongement à la rupture. Les articles testés ont fait l'objet d'un vieillissement naturel dans leur empaquetage. Les conclusions de l'étude sont édifiantes, puisque les articles à base de butadiène-styrène et de caoutchouc nitrile se révèlent être stockables sans dommage pendant 5 ans, ceux à base de néoprène 6 ans et ceux à base de caoutchouc naturel pendant 6 mois seulement. Mis en œuvre, les articles testés ont donc toute chance de vieillir au moins aussi vite que dans leur emballage et, une fois encore, la plus grande attention doit être portée aux indications de durabilité. Par exemple, tel fabricant de joint, indiquant qu'une menuiserie équipée de son produit ne perd que 10 % de son coefficient de perméabilité à l'air après 7 000 cycles d'ouverture et de fermeture à la cadence de 12 à 15 cycles par minute, ne devrait pas ajouter dans sa publicité que cela correspond à 2 ouvertures quotidiennes pendant 10 ans. En effet, pendant la durée des essais, c'est-à-dire environ 8 heures, la modification moléculaire du produit n'a pas dû être bien importante. La modification des caractéristiques mécaniques des caoutchoucs risque d'occasionner des répercussions acoustiques diverses.

Ainsi :

- la dégradation des joints d'étanchéité d'une menuiserie de façade peut entraîner une perte d'isolement de l'ordre de 5 à 10 dB(A)

- un fourreau de colonne de chauffage n'assurant plus sa fonction d'étanchéité entre deux locaux superposés peut entraîner une perte d'isolement de l'ordre de 3 à 5 dB(A).

Usure

L'évolution des performances acoustiques par l'usure concerne les revêtements de sol, par enlèvement de matière ou tassement de la sous-couche (la diminution d'1mm d'épaisseur du produit correspond approximativement à une réduction de performance de 3 dB(A)) ainsi que l'ensemble des équipements en mouvement ou soumis à un mouvement.

Ainsi le palier endommagé d'une pompe, bien que celle-ci puisse répondre encore un certain temps à sa fonction mécanique, peut augmenter de plus de 10 dB(A) le niveau de bruit produit dans un local voisin, un ventilateur peut voir avec le temps ses pales se charger de poussières et augmenter l'effet de balourd, un silencieux peut s'encrasser, l'obturation des pores du matériau absorbant, réduisant les performances, les ventouses d'extraction de la VMC peuvent elles aussi s'encrasser, occasionnant une augmentation de la vitesse de passage à l'air et, par conséquent un effet de sifflement.

Citons enfin les dalles flottantes qui peuvent voir leur effet diminuer dans le temps pour différents motifs:

- perte des propriétés élastiques de la sous-couche par écrasement des fibres ou des cellules, dégradation chimique, imprégnation liquide

- solidarisation de la dalle avec la structure environnante par mouvement différentiel de la dalle ou du revêtement, introduction de matières solides dans le relevé, liaisons rigides occasionnées par l’ameublement.

Un laboratoire a mesuré plus de 10 dB(A) de déficience à partir de 400 hertz pour 1 seul point de contact de la dalle et plus de 20 dB(A) avec 10 points de contact.

Conclusions


Les bâtiments d'habitation collectifs font l'objet d'une exigence de protection acoustique minimale lorsqu'ils sont neufs, mais cette exigence n'est pas maintenue dans le temps. Qui dit risque d'usure devrait dire surveillance et entretien le cas échéant. Or, le contrôle permanent des prestations acoustiques n'existe pas, même les remplacements effectués sur les gros équipements ne sont en général pas accompagnés de mesures acoustiques.

Pourtant, les règlements sanitaires départementaux prévoient bien que les adjonctions ou les transformations d'équipements du logement doivent satisfaire aux dispositions de la réglementation en vigueur. Seuls deux départements ont une réglementation un peu différente : la Seine-Saint-Denis et le Val-d'Oise limitent le niveau de bruit à 35 dB(A) dans les chambres et 40 dB(A) dans les séjours, les pièces étant supposées nues. Ces textes, on le sait, ne sont pas appliqués, au même titre que la seule prescription acoustique obligatoire à caractère permanent qui concerne les hôtels.

Il est vivement souhaitable que l'on en sache un peu plus sur cette question de la durabilité de l'isolation acoustique à travers des observations systématiques de bâtiments, en considérant bien que de faibles variations de performances ne sont pas à négliger. Il est, en effet, démontré que l'introduction de la tolérance de mesure de 3 dB(A) sur le seuil réglementaire d'isolement aux bruits aériens fait passer le taux de gêne de 8 % à 22 % ; augmentation qui est donc significative.

Les résultats de la recherche permettraient d'orienter la conception des ouvrages afin que les dispositifs de protection acoustique à faible durée de vie puissent être remplacés sans dommage, de mettre en évidence l'intérêt d'un classement de durabilité du type EPEBat, en liant cependant la caractéristique acoustique à celle de l'usure, ainsi que d'établir les bases du carnet de santé acoustique type applicable à la maintenance des constructions.

La question de la durabilité de la protection acoustique étant posée, il serait souhaitable maintenant d'y trouver des éléments de réponse.

4ème colloque CSTB/CFI - 7 octobre 1982
Cahier du CSTB 1908 – Décembre 1983