samedi 30 novembre 2024

LA RESOLUTION AMIABLE COMME PALLIATIF REGLEMENTAIRE


Le sujet imparti par le CIDB lors de la journée « Collectivités – Bonnes pratiques » du 14 novembre 2024 concernant en particulier l’incitation à la résolution amiable des conflits de bruit de voisinage, il est observé à l'instar des recommandations du site Service-Public.fr que l'impéritie du dispositif réglementaire actuellement en vigueur en constitue indirectement mais certainement le vecteur.

Il est ainsi conseillé par ledit site Service-Public.fr de procéder comme suit en cas de bruit de voisinage comportemental:

« Accomplir des démarches préalables »
« Accomplir des démarches supplémentaires en cas d'inaction de l'auteur du bruit »
« Faire une tentative de règlement amiable »
« Envisager un recours au juge en cas d'échec du règlement amiable »

En recommandant de procéder, après avoir effectué les démarches administratives, à une tentative de règlement amiable avant d'ester en justice* le site officiel de l'administration française apparaît ainsi pour le moins réservé sur les chances de succès d'un "appel à la police ou à la gendarmerie".

(*On rappelle que le recours à une tentative de règlement amiable des conflits est obligatoire lorsque la demande en justice est relative à un conflit de voisinage ou à un trouble anormal de voisinage - Le décret n°2023-357 du 11 mai 2023 s’applique pour les demandes en justice introduites à compter du 1ᵉʳ octobre 2023)

L'impéritie réglementaire en matière de bruit de voisinage concerne en particulier la relativité du seuil de la sanction et l’improbabilité de la verbalisation.

Sur la relativité du seuil de la sanction
* Les critères d’infraction pour les bruits d’origine domestique ou de particuliers offrent toutes possibilités d’interprétation des principes généraux de durée, de répétition ou d’intensité énoncés par le Code de la santé publique.

* Les critères d’émergence pour les bruits d’activité instituent le droit de nuire en réduisant la définition du seuil d’infraction au seul critère numérique.
Comment admettre par exemple que l’émergence de + 7dB en basse fréquence d’un bruit manifestement perturbateur ne soit pas répréhensible ?

* Le critère d’émergence n’a pas grande pertinence pour prévenir la tranquillité des personnes dès lors que le bruit n'est évidemment pas réductible à du son, mais essentiellement porteur d'information; laquelle peut contribuer à elle seule à l’origine du trouble.
C’est ainsi que l’OMS, l’Académie de médecine ou encore le Groupe Santé-environnementale de l’Assemblée nationale dénoncent les effets sanitaires délétères résultant du seul caractère indésirable du bruit.
Et puis encore, comment faire accepter l’idée d’une médiation à un bruiteur sûr de son bon droit au motif que son installation est règlementairement conforme, ceci en dépit d'un trouble manifeste ?

Sur l’improbabilité de la verbalisation sonométrique
* Le calcul de l’émergence est subjectif et donc contestable.
Le choix des intervalles de temps comparatifs entre le bruit particulier incriminé et le bruit résiduel relève de l’entière appréciation de l’agent verbalisateur.
Il en résulte dans les mêmes situations des états conformes ou non conformes suivant le choix des périodes respectives par l'agent et l’on observe même des cas où l’émergence est retenue comme négative dans le procès-verbal de constat; c'est-à-dire des cas où la période de bruit résiduel sélectionnée présente un niveau de bruit supérieur à celle correspondant à la période d'apparition du bruit perturbateur.

* Le dispositif réglementaire complexifie à l’excès la pratique sonométrique.
On rappelle l’obligation fixée par le décret du 3 mai 2001 en cas de mesurages intéressant la santé d’utiliser un sonomètre à la fois contrôlable et contrôlé. 
Ainsi se trouve proscrite l’utilisation de sonomètres grand-public et par ailleurs ces derniers ne permettent pas le calcul de l’émergence, ni ne renseignent des valeurs en dessous de 30 dB ; ce qui rend irréaliste l'énoncé d’une sonométrie simplifiée.

* Le mode opératoire réglementaire est impropre au constat.
La norme NFS 31.010, réglementairement applicable, impose une analyse de la situation sonore plus proche de la recherche scientifique que du cliché instantané propre au constat.
On remarque qu’aucun procès-verbal rédigé aujourd'hui par une quelconque administration ne respecte dans le détail la forme du compte-rendu prescrite à l’article 7.1. de ladite norme, pour autant nécessaire à la validation du constat et ce d'autant plus lorsque le procès-verbal annonce "ne déroger à aucune des dispositions".
A la différence du constat sonométrique la tentative de résolution amiable se trouve incitée d'une manière positive par la procédure de constat à l’oreille.

On rappelle que la procédure de constat d'infraction à l’oreille (ou constat auditif) s’applique :

- aux bruits domestiques et de particuliers en dérogation aux à l'article R.1336-6 du Code de la santé publique visant les seuls bruits d'activités

- aux bruits d'activités suivant la note interministérielle du 5 décembre 2023, ainsi que suivant l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation pour ce qui concerne le bruit de la clientèle des établissements (décisions des 08/03/2016 et 04/01/2020)

On rappelle que le principe du constat à l’oreille n’est pas nouveau puisque le bruit se trouve réglementé au titre des critères d’incommodité des établissements industriels depuis le décret du 7 mai 1878, tandis que les premiers sonomètres portables ne sont apparus que vers 1960 et que la mesure acoustique infractionnelle n'a été introduite qu'un siècle plus tard par la circulaire n° 3055 du 21 juin 1976.

Il convient en effet de retenir que la mise en évidence par l’agent verbalisateur de critères strictement factuels d’infraction, tels que l’absence de représentativité ou l'incongruité de la source dans le contexte, l’évitabilité du bruit ou le manque de précaution, exige dans la pratique de se trouver exposée en présence des parties, favorisant ainsi le débat contradictoire et la possibilité d'un échange constructif.

C’est en tout cas l’usage en expertise judiciaire lors de l’instruction d’un trouble anormal de voisinage et sans doute l'expérience expertale en la matière mériterait de se trouver partagée dans le cadre de la formation des agents verbalisateurs au constat auditif.

La médiation a cependant ses limites

La médiation partant du principe de la recherche entre les parties d’un accord directement convenu entre ces dernières, il est donné de constater que la convention qui en résulte repose le plus souvent en matière de bruit sur le malentendu d’une possible résolution technicienne, de surcroît fondée sur des dispositions correctives inefficaces.

C’est par exemple le cas de la pose inutile mais pour autant convenue d’un tapis sur un plancher d’immeuble flexible, impropre à la prévention du bruit sourd occasionné par le déplacement des personnes.

Seule la participation active d’un technicien lors de la tentative de rapprochement est donc de nature à rappeler la relativité de dispositions techniques correctives, de surcroit devant un conflit engageant plutôt des relations personnelles, où peuvent se mêler l'intolérance, l'incivisme et souvent un frottement culturel.

On rappelle que la procédure amiable dite convention de procédure participative prévoit la consultation d’un technicien et que la prohibition prévue à l’article 240 du Code de procédure civile vise le juge et lui-seul, ce qui n’interdit donc pas à l’expert de susciter le rapprochement  des parties dans le cadre d’une instruction technique judiciaire.

Il est encore noté que le juge peut déléguer à un conciliateur son pouvoir de médiation.








dimanche 6 octobre 2024

LE PROCESSUS DE PERCEPTION SONORE - LA SIGNIFICATION DU BRUIT


1. L’OUÏE : SENS VITAL DE L’HOMME

* Le seul sens capable de prévenir un danger 
  à distance, tout autour de soi, la nuit
* L’évolution de l’espèce en a fait le sens de la vigilance

         Il en résulte :
* Une veille acoustique permanente 
  de jour comme de nuit
  (avec un sentiment de malaise et une réaction de stress en cas de masquage 
   par le fond sonore ambiant)
* Une attitude au bruit instinctive et impulsive
   (avec une confusion entre le ressenti et la source de bruit prise comme objet, 
   c'est-à-dire entre le message et le messager) 

  

2. LES ETAPES LOGIQUES DU PROCESSUS D’ÉCOUTE
   
1. Excitation (onde sonore dans l’air)
2. Sensation (stimulation physiologique de l’oreille – réaction sensitive)
3. Perception (prise de conscience – représentation mentale)
4. Interprétation (appréciation cognitive)

         Il en résulte trois éventualités pour une source de bruit :
* L’ignorance (stimulus non pertinent)
* La satisfaction (contentement)
* Le rejet (indésirabilité - trouble)

 

3. LES COMPOSANTS DU BRUIT 

1. Son (phénomène physique extérieur)
2. Connotation, signification (appréciation psychosociologique)

         Il convient de retenir :
* L’absence de corrélation entre les deux composants 
* La seule mesurabilité du son
* L’inaptitude du niveau sonore
  à renseigner le contentement ou le trouble 
  (sauf lorsque le niveau est lui-même signifiant)
* Des réactions psychosociologiques partagées
  (représentations collectives – catégories communes)

 

4. LES CAUSES DU TROUBLE DE BRUIT

* L’effet d’intrusion
   (effraction mentale, ingérence dans la sphère privée)
* Un sentiment d’agression
   (perception d’hostilité, de malveillance)
* L’impression de danger
   (représentation anxiogène du bruit, effet nocebo)



5. L’INSTRUCTION DU TROUBLE DE BRUIT

* Trouble à la personne (et non pas trouble de la personne)
   (au sens de l’inconvénient de l’exposition)
* Trouble objectivable

         Exemples d’indicateurs :
* Incongruité dans le contexte 
  (Source non coutumière, particulière, étrangère au site)
* Défaut de comportement
  (Manière d’agir, attitude, incivilité)
* Manque de précaution, évitabilité
  (Type de matériel, moyens d’installation, modalités d’utilisation)






 

dimanche 14 juillet 2024

LA DIVISION VOLUMÉTRIQUE ET L' ACOUSTIQUE

Ambiguïtés acoustiques de la division volumétrique 

Le Desgodets dans l’édition de 1768 (Les lois des bâtiments suivant la Coutume de Paris – Réédition Forgotten Books – 2015) renseigne les charges respectives en vigueur au 18ème siècle lorsqu'une même maison se trouve possédée par différents propriétaires :

« 92. La coutume de Montargis, art. 13, celle de Nivernais, art. 3, celle de Bourbonnais, art. 517 et 518, celle d'Orléans, art. 257, Berry, art. 15 et 16, Bretagne, art. 714, etc. disent toutes la même chose : ainsi, par la disposition de ces coutumes, chacun des propriétaires entretient seulement les murs des étages qui lui appartiennent; et les propriétaires du haut ne contribuent point aux murs au-dessous, quoiqu'ils leur servent l'appui et de soutien; et ils ne payent point de charges. » 
« 05. Suivant ces coutumes, l'égalité des charges est assez bien gardée entre les propriétaires; le propriétaire de la partie inférieure de ladite maison supporte à la vérité la charge et le fardeau de la partie supérieure de cette maison : mais pour le dédommager, le propriétaire de la partie supérieure est tenu d'entretenir à ses frais seul la couverture en entier, charpente et tuile ou ardoise ; ce qui est une charge sujette à un entretien continuel, qui équivaut en quelque façon à celle du propriétaire du bas de cette maison. »

Il est ainsi donné d’observer que la division d’un immeuble entre plusieurs propriétés distinctes était autrefois d’usage courant, avec une répartition des charges somme toute factuelle, dont l’équité se trouvait relative et la préservation des biens confiée en quelque sorte à l’agrément des voisins.

On comprend dès lors la nécessité de l’édifice juridique construit au fur et à mesure des années afin d'établir le régime de la copropriété avec ses règles, associant les conditions de jouissance des lots au partage des contraintes d’exploitation de l’ouvrage, telles qu’abouties par la loi du 10 juillet 1965.

Pour autant, le régime de la copropriété se heurtant à l’organisation d’ensemble immobiliers complexes d’occupation hétérogène, où par exemple le domaine public inaliénable vient côtoyer la propriété privée et où l’autonomie d’affectation et d’usage de parties d’immeuble risque de se trouver contrariée par des décisions communes, les promoteurs et investisseurs ont régulièrement recours à la division volumétrique de leurs opérations.

Il convient ainsi de noter que la loi ALUR (n°2014-366) du 24 mars 2014 est venue modifier l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 (laquelle prévoit cependant déjà des exceptions) en autorisant la scission en volumes d’une copropriété comportant plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents, dès lors que chacune de ces entités suppose une gestion autonome.

On remarque que c’est tout de même difficilement le cas dans la configuration d’un bâtiment de structure commune, dont la maintenance du gros-œuvre, comme celle du clos et du couvert, se trouvent en fait indissociables.

Il n’est surtout pas permis de retenir d’autonomie de gestion de l’espace sonore entre entités distinctes, dès lors que la structure commune d’un ouvrage constitue inévitablement, sauf fractionnement antivibratoire complexe, une voie de transmission des bruits entre les volumes, ainsi séparés juridiquement mais certainement pas acoustiquement.

L’inévitabilité de la propagation acoustique à travers les poteaux et les différentes parois porteuses de l’ouvrage contribue en effet à une communauté indivisible de bruit, interdisant de fait l’autonomie sonore des entités et en réalité leur division au sens de la loi ALUR.

La division volumétrique souffre encore de l’ambiguïté acoustique liée à son absence de reconnaissance dans les règles d’urbanisme, faisant que l’autorisation de construire se trouve accordée à une unité foncière et non à plusieurs ; avec pour conséquence des prescriptions réglementaires d’isolation entre locaux comme s’il s’agissait d’une seule entité, en omettant toute disposition visant cette fois la protection acoustique entre tiers.

En outre, le principe de la division volumétrique s’accompagne le plus souvent de la vente de locaux bruts à aménager, contribuant à une sorte de délégation de maîtrise d’ouvrage pour l’achèvement de l’opération immobilière, avec la difficulté correspondante de répartition des contraintes acoustiques entre le vendeur et l’acquéreur, ce dernier de surcroît n’étant pas nécessairement l’aménageur ; c’est en particulier le cas de l’acquisition par un organisme bancaire au profit d’un crédit preneur lui-même bailleur du local, dont le locataire se trouve finalement chargé de l’aménagement.

Toute demande de permis de construire devant préciser la destination des locaux, il est donné d’observer que lesdits locaux livrés bruts à aménager par l’acquéreur se trouvent couramment destinés à une activité commerciale recevant du public et donc définis comme tels dans le dossier d’instruction.

Le permis de construire tenant lieu d'autorisation d'aménager un ERP et les règles de sécurité et d'accessibilité se trouvant visées dans le cadre du projet, il ne manque pas encore d’être relevé l’ambigüité d’engagement du pétitionnaire dudit permis à respecter les dispositions de l’arrêté du 20 avril 2017, en particulier relatives à l’accueil du public malentendant imposant à l’article 9 des dispositions d’absorption sonore, qui ne peuvent en réalité se trouver respectées qu’à l’occasion de l’aménagement de la coque.

Le certificat de conformité attribué dans ces conditions à l’ouvrage apparaît pour le moins relatif.

Les contraintes acoustiques de la division volumétrique

Obligations civiles et réglementaires

En matière de construction les dispositions du Code de la construction et de l’habitation sont visées en particulier par l’article R.111-1-1 relatif à la construction de bâtiments nouveaux, ainsi que par l’article L111-11 fixant que « Les contrats de louage d'ouvrage ayant pour objet la construction de bâtiments d'habitation sont réputés contenir les prescriptions légales ou réglementaires relatives aux exigences minimales requises en matière d'isolation phonique. »

On rappelle que les exigences minimales en matière acoustique, dont on pourrait croire à tort que ces dernières fixeraient les objectifs à atteindre et non pas le seuil de l’infraction, sont contenues dans les deux arrêtés du 30 juin 1999, relatifs aux caractéristiques des bâtiments pour l’un et aux modalités d’application pour l’autre.

Suivant ces arrêtés, les exigences acoustiques entre un local d’activité et la pièce principale d’un logement voisin sont les suivantes :

- isolement minimal au bruit aérien : DnT,A = 58 dB – 3 dB
- niveau maximal du bruit de choc : L’nT,w = 58 dB + 3 dB

On observe que ces exigences restent théoriques, c’est-à-dire sans rapport avec la nature même de l’activité prévue, et en tout état de cause formulées suivant des critères non représentatifs de contraintes acoustiques et vibratoires réelles.

On remarque encore qu’aucune disposition constructive n’est prévue pour la protection d’un logement par rapport au bruit d’un équipement installé dans un local d’activité voisin, tel un ascenseur ou un monte-charge, un appareil de chauffage ou de climatisation, un surpresseur … puisque de tels équipements ne peuvent être qualifiés de collectifs.

Il convient de retenir à cet égard que vis-à-vis d’un logement le bruit de l’ascenseur du volume affecté à l’habitation ne relève pas des mêmes exigences réglementaires que celui de l’ascenseur du volume accueillant l’activité, en dépit de l’éventuelle similitude de l’équipement.

En matière de protection du voisinage contre le bruit, le dispositif national applicable est celui fixé par le Code de la Santé publique et en particulier l’article R.1336-6 :

« Lorsque le bruit mentionné à l'article R.1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R.1336-7 est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.
« Lorsque le bruit mentionné à l'alinéa précédent, perçu à l'intérieur des pièces principales de tout logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d'activités professionnelles, l'atteinte est également caractérisée si l'émergence spectrale de ce bruit, définie à l'article R.1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. » 

Au-delà des contraintes réglementaires, la théorie prétorienne du trouble anormal de voisinage, codifiée successivement pour ce qui concerne le principe d’antériorité par le Code de la construction et de l’habitation (articles L.112-16 puis L.113-8), puis par le Code civil (article 1253), vient ajouter la double pertinence d’appréciation du critère d’audibilité et de l’appréciation contextuelle.

On note au titre de la vérification d’audibilité la référence jurisprudentielle à l’Avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963 et pour ce qui concerne l’appréciation contextuelle, différents critères tels que la congruité, la précaution ou l’évitabilité.

Il est enfin rappelé les contraintes contractuelles, dont les clauses des cahiers des charges d’AFUL pourraient utilement se référer aux usages du 18ème siècle, tels que rapportés dans le Desgodets :

« 87. Lorsqu’une maison est possédée par deux différents propriétaires, dont l’un a le bas, et l’autre le dessus, ils peuvent faire l’un et l’autre ce qui leur plaira dans la portion qu’ils possèdent, pourvu toutefois qu’ils ne se causent pas du préjudice l’un à l’autre, tant par la commodité que par la solidité. Par exemple, celui qui a la partie inférieure de la maison, n’y pourrait pas y faire une forge, parce qu’il incommoderait le propriétaire de la partie supérieure : ainsi jugé par arrêt du 26 janvier 1672. »

Enfin, en matière d’accessibilité viennent s’ajouter, comme indiqué précédemment, les règles particulières des ERP concernant l’accès au handicap « malentendant ».

De la sorte le volume de l’ouvrage voué à une activité, telle une activité commerciale, doit à la fois répondre à des règles de construction, fixant en particulier un isolement minimal vis-à-vis des logements contigus, et à des règles de voisinage par rapport à l’ensemble des bruits susceptibles d’être produits dans le cadre de l’activité.

Contraintes techniques

Il relève certainement d’une gageure de prétendre par avance pouvoir satisfaire à l’ensemble des obligations précédentes en livrant une coque nue à un emploi dont les contraintes acoustiques et vibratoires ne sont par avance pas connues. 

C’est le cas des supermarchés implantés dans le volume inférieur d’immeubles abritant au-dessus des logements, dont les exploitants sont la plupart du temps dans l’incapacité de caractériser par avance, voire même en cours d’exploitation, les niveaux sonores et les forces vibratoires engendrés par leurs modalités propres de fonctionnement.

On rappelle que le succès d’une opération immobilière réside dans la chaine de cohérence suivant laquelle il ne peut se trouver d’exécution correcte de travaux sans un projet élaboré avec précision, lequel n’est possible sans un programme recensant l’ensemble des contraintes de l’opération, renseignant dans le détail les exigences correspondantes.

Concevoir une coque sans en connaître par avance les contraintes techniques d’usage n’est donc pas raisonnable dans une structure commune, sauf à en limiter l’emploi, ce qui ne manquerait pas alors d’atteindre aux velléités du découpage volumétrique en créant des servitudes d’affectation.

De la sorte, si un projet doit conduire à concevoir une coque nue d’usage techniquement indéterminé, aucune garantie de résultat ne peut se trouver assurée au stade de sa livraison, et l’absence de jonction programmatique entre le vendeur et le preneur, conduit même à un risque certain de bruit de voisinage.

Observons à nouveau que la conformité de la coque aux dispositions réglementaires de construction n’a strictement aucun lien avec la prévention du bruit de voisinage et d’autre part qu’une telle conformité légale est susceptible de se trouver remise en question par les travaux d’aménagement ; interdisant de fait toute vérification ultérieure.

Ainsi les dispositions susceptibles d’être adoptées dans la conception de la coque livrée nue ne peuvent rester que de principe, avec par exemple les précautions de base suivantes :

- décaissement des planchers compatible avec la réalisation de dalles flottantes sur plots
- conception de planchers présentant une raideur dynamique suffisante et une continuité structurelle permettant de limiter les mouvements de flexion lors du déplacement de charges lourdes
- hauteurs sous dalles et distribution de refends compatibles avec la réalisation de doublages épais
- réserve nécessaire des trémies de monte-charges autorisant la réalisation de gaines indépendantes et l’installation de systèmes de levage peu impactants
- encloisonnement de l’ensemble des chutes provenant des étages supérieurs 
- dimensionnement de gaines techniques aptes à l’incorporation de silencieux et autorisant le montage désolidarisé de canalisations frigorifiques
- réalisation d’espaces techniques en toiture terrasse de l’immeuble prévoyant toute disposition d’écrans, de silencieux et de socles flottants

Tantôt excessives, tantôt insuffisantes et donc d’adaptation nécessaire, de telles dispositions techniques confirment si besoin était que la conception de la coque livrée brute peut difficilement faire l’économie d’une concertation étroite avec le futur exploitant.

Le découpage volumétrique ne résiste pas à l’épreuve de la technique, domaine du réel que nul n’est censé ignorer.

En l’espèce, la propriété verticale fondée sur une pensée magique en acoustique et en vibrations relève bien de l’utopie; c'est ainsi que le contentieux récurrent de bruit de voisinage en la matière ne manque pas de l’attester.



lundi 22 avril 2024

LA RONCHOPATHIE, DENI DE POLLUTION SONORE ?

Au titre de la Prévention des pollutions, des risques et des nuisances le Code de l’environnement établit à l’article D.571-54 le principe des points noirs du bruit, lesquels se trouvent définis à l’article 2 de l’arrêté du 3 mai 2002 pris en application du décret n° 2002-867 du 3 mai 2002.

Sont ainsi considérés comme points noirs du bruit des transports terrestres les bâtiments d'habitation pour lesquels les indicateurs de gêne dépassent, ou risquent de dépasser à terme, la valeur limite pour la période diurne de 70 dB(A) ou la valeur limite pour la période nocturne de 65 dB(A).

Les enquêtes de gêne semblent révéler qu’à partir de ces valeurs, plus de 80% des personnes enquêtées se déclarent gênées ou très gênées.

Par ailleurs la Directive européenne 2002/49/CE, laquelle définit le bruit dans l’environnement comme un « son extérieur non désiré ou nuisible résultant d’activités humaines, y compris le bruit émis par les moyens de transports, le trafic routier, ferroviaire ou aérien et provenant de sites d’activité industrielle » oblige chaque état membre à réaliser des plans d’exposition au bruit.

Remarquons bien que le Conseil de l’UE ne manque pas de retenir comme motifs de bruit à la fois l’indésirabilité, c’est-à-dire l’appréciation négative, ainsi que la nocivité ; confirmant ainsi les deux caractéristiques essentielles du bruit que sont la connotation et le niveau sonore.

Cette Directive européenne se trouve transposée sur le territoire par l’établissement de valeurs limites, telles que celles visées à l’article 3 du décret du 24 mars 2006 (cf. art. 7 de l’arrêté du 4 avril 2006) ; à savoir un niveau sonore de 68 dB(A) pour l’ensemble de la journée (comprenant une pénalisation pour la période nocturne) et de 62 dB(A) pour la période nocturne par rapport à une route ou une voie ferrée comprenant une ligne à grande vitesse.

Rappelons que l’exposition en période nocturne contribue, selon l’étude publiée par l’OMS en 2011, à un impact sanitaire majeur puisque les perturbations du sommeil par les nuisances sonores seraient à l’origine chaque année en Europe occidentale d’une perte de 903 000 années de vie.

On remarque que l’étude de l’OMS relative à la perturbation du sommeil par le bruit omet en réalité de prendre en compte la question essentielle posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000). 

C’est ici que l’impact de la signification sur le bruit, évoqué à juste titre par le Conseil de l’UE, devrait conduire à relativiser la seule référence au seul niveau sonore ; ce qui n’est donc pas le cas suivant l’approche physicaliste dominante en matière écologique et médicale, associant le pouvoir de nuisance à la seule considération des caractéristiques physico-temporelles du bruit ; c’est-à-dire en omettant que le trouble puisse aussi résulter de la connotation de la source.

Si l’on retient ainsi comme limite de nuisance nocturne un niveau moyen de l’ordre de 60 dB(A) à l’extérieur de l’immeuble, on doit admettre par rapport à l’affaiblissement de façade de l'ordre de 25 dB(A) de la majeure partie des constructions existantes que le dispositif réglementaire fixe pratiquement le seuil de niveau sonore admissible la nuit à une valeur de l’ordre de 35 dB(A) à l’intérieur d’une habitation.

Une telle valeur correspondant à une moyenne énergétique sur la durée de la nuit, on remarque que ledit niveau limite se trouve porté à 38 dB(A) pour une exposition de 4h00 et de 41 dB(A) pour 2h00.

Si l’on garde ce raccourci de pensée suivant lequel seules les caractéristiques physico-temporelles du bruit sont de nature à renseigner l’état de la nuisance, il n’existe donc aucun motif pour que ces niveaux limites d’exposition afférents au bruit de trafic terrestre ne puissent concerner toute autre source sonore nocturne susceptible d’exposer l’habitant d’un logement.

Parmi ces sources de bruit, il en est une particulièrement insidieuse puisque s’introduisant en soirée dans les chambres à coucher des appartements et même jusque dans les lits ; il s’agit du bruit rauque engendré par les vibrations nasopharyngées du ronchopathe.

Selon l’enquête A+A Healthcare effectuée en 2011 auprès d’un échantillon de 1000 personnes et l’étude Ohayon (BMJ 1997) près de 40% des hommes ronflent bruyamment et souvent, tandis que la prévalence chez les femmes atteint 30%.

Suivant Richard J. Schwab (University of Pennsylvania, Division of Sleep Medicine) environ 57 % des hommes et 40 % des femmes ronflent.

D'après l'American Academy of Otolaryngology, 45 % des adultes ronflent occasionnellement, et 25 % sont des ronfleurs réguliers.

Une récente enquête menée au Royaume-Uni par la chaîne de magasins Specsavers, publiée par Peter Wix le 16 mai 2023, conduit à retenir que :

- 91 % des personnes interrogées répondent que leur partenaire ronfle régulièrement et la plupart d’entre elles affirment que leur partenaire bruyant les réveille au moins deux fois par nuit.
- 7 % des personnes admettent que les ronflements de leur partenaire les empêchent de profiter d’un repos nocturne bien mérité, ce qui les agace (46 %), les frustre (45 %), voire les stresse (28 %)
- 9 % des personnes interrogées admettent qu’elles donnent des coups de coude à leur partenaire, 44 % qu’elles le retournent et 42 % qu’elles lui donnent un léger coup de pied pour qu’il s’arrête
- près d’une personne sur dix a même envisagé de se séparer à cause de ce dérangement nocturne.

Au-delà de la gêne occasionnée par le fait de dormir avec un partenaire qui ronfle, une telle nuisance entraîne inévitablement un stress relationnel et des effets néfastes sur la santé ; soit un problème majeur dans la vie sociale et surtout dans la relation conjugale.

Réveillé par le ronflement de son ou de sa partenaire, le conjoint n’hésite parfois pas à manifester son trouble par un bon coup de coude dans le dos en espérant pouvoir dormir à nouveau.

La situation peut même conduire à faire chambre à part pour ne plus avoir à supporter un tel désagrément.

Selon un sondage Ifop 44% des Français se sont déjà disputés à cause du ronflement.

Déjà au XIXe siècle, Armand Bourgeois qui intitule son vaudeville « La consigne n’est pas de ronfler », met en scène Célibaton, un bourgeois de 35 ans qui refuse de se marier de peur de « tomber sur une femme qui ronfle ».

L’échelle de ronflement suivante a été utilisée dans une étude israélienne de 2019 (https://doi.org/10.5664/jcsm.7678) pour laquelle les niveaux de décibels correspondants ont été fixés après évaluation de l’intensité du ronflement dans un laboratoire du sommeil :

- ronflement léger (40-45 dB)
- ronflement modéré (45-55 dB)
- ronflement sévère (55-60 dB)
- ronflement très sévère (+ de 60 dB)

Cette étude suggère que les femmes ont tendance à ne pas déclarer qu’elles ronflent et à sous-estimer le volume de leurs ronflements, même si l’on observe objectivement qu’elles ont des volumes de ronflement similaires à ceux des hommes.

Il est d’usage d’admettre que le ronflement moyen atteint facilement des niveaux sonores de 45 dB(A) à 60 dB(A) dans l’environnement du ronfleur ; ce qui correspondrait en fait à des niveaux d’au moins 70 dB(A) à 85 dB(A) s’il provenaient de l’extérieur et qu'on les comparaissait aux critères de bruit de trafic mesurés ainsi.

Si l’on considère suivant l’étude couples et familles réalisée par l’INSEE en 2011 que 70 % des 68 millions de français vivent en couple, et que l’on puisse formuler l’hypothèse d’un affect unilatéral, il conviendrait ainsi de retenir que la pollution ronchopathique exposerait à raison de 40 % de ronfleurs près de 9,5 millions de personnes.

Le niveau sonore du bruit dépassant alors largement le critère de point noir ou le référentiel de niveau sonore limite du plan de prévention du bruit et le nombre estimé des victimes étant tout à fait considérable, il reste à analyser le motif d’un tel déni.

Un tel seuil de nuisance, qui ne manquerait pas de faire l’objet d’accusation d’effets délétères sur les systèmes endocriniens, immunitaires, cardiovasculaires et autres s’il s’agissait de bruit de trafic ou d’animation urbaine, fait l’objet en effet d’un mutisme écologique pour le moins suspect ; sauf à considérer bien sûr que le niveau sonore ne serait pas le seul motif de dangerosité du bruit …

La raison de ce déni résulte sans doute du caractère intime de la source échappant à l’emprise du pouvoir technocratique gouvernant la société au mépris des affects.

Observons pourtant qu’une telle nuisance n’est pas nouvelle.

Sophie Panziera dans la « Disqualification du ronflement au XIXe siècle »inscrit cette dernière dans une dynamique plus large de disqualification des bruits corporels ou « dormir en silence semble bien devenir une procédure de distinction, participant à l’autocontrôle des corps opéré par les élites du XIXe siècle, qui s’efforcent de se « désonoriser » tout comme elles essaient de se désodoriser, afin de se distancier du peuple, amateur de tintamarre et de brouhaha … Ne pas ronfler semble ainsi intégrer les disciplines de silence imposées par le code de politesse ou d’une manière générale, par la civilité ».

S’il n’est pas prévu de plan d’exposition au bruit ronchopathique, ni l’installation de capteurs afin de traquer les ronfleurs comme il en est des deux roues motorisés, tandis que l’exposition sonore est d’une tout autre intensité à l'intérieur des logements et concerne tout autant d’oreilles, il convient d'admettre soit que le discours en vigueur sur les méfaits du bruit ne se trouve pas fondé, soit que le contrôle du bruit nécessite effectivement d’être appréhendé plus finement que par la seule quantité.

Imaginons un instant la réaction du public si, à l’instar du conjoint du ronfleur, on disait à la victime de bruits urbains qu’il suffit de porter des bouchons d’oreille ; tandis qu’en l’espèce les campagnes contre le bruit, d’autant plus animées par des considérations médicales, devraient plutôt porter sur les moyens de soigner la ronchopathie, dont il est avéré semble-t-il le risque accru pour le ronfleur de développer des maladies cardiovasculaires.

Le guide sur " Le bruit - Les moyens de la combattre efficacement " édité par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (3684 - Mars 2003) situant le ronflement sur l’échelle de bruit au niveau du seuil de risque et l’objet d’un tel établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires étant de participer à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable, l’action correspondante reste donc attendue.

Article du 1er avril 2024, ichthyique ... ou pas.












samedi 20 janvier 2024

ETAT DE LA REGLEMENTATION SUR LE BRUIT DE VOISINAGE


La présente communication a pour objet de reprendre différents éléments de la NOTE D'INFORMATION INTERMINISTÉRIELLE N° DGS/EA2/DGPFV2023/188 du 5 décembre 2023* (relative à la réglementation sur la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés) pour ce qui concerne les seuls « bruits de voisinage » et de proposer différentes observations.
(*https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/2023/12/note-interministerielle051223.pdf)

Il est retenu que ladite note a pour objet d’apporter des « éléments de compréhension » du décret du 7 août 2017 et de l'arrêté du 17 avril 2023 et de tirer les « conséquences des modifications apportées, pour ce qui concerne les bruits de voisinage ».


Différents textes de référence cités dans la note

* Code de la santé publique, notamment ses articles L. 1311-1 et L. 1336-1, R. 1336-1 à R. 1336-16, R. 1337-6 à R. 1337-10-2 ; 
* Code de l'environnement, notamment ses articles L. 571-6 et L. 571-18, R. 571-25 à R. 571-28, R. 571-96 ;
* Code général des collectivités locales, notamment son article L. 2212-2 
* Arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage modifié le 1er août 2013 ;
* Circulaire du 27 février 1996 relative à la lutte contre les bruits de voisinage
* Guide du CNB « Constat d'infraction sans mesurage des bruits de voisinage » no 7, mai 2018
* Guide du CNB « Résolution amiable des bruits de voisinage » n° 8, mai 2020


Extraits de la note


1. Protection de l'audition du public exposé à des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés

1.1.7. Mise en œuvre de réglementation

* Il s'agit :
- pour les lieux déjà concernés… de mettre à jour l'étude d'impact des nuisances sonores (EINS) (présentée ci-après) pour ne pas porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage et, le cas échéant, de mettre en œuvre les mesures nécessaires (modifications du format des activités, aménagements, etc.)
- pour les lieux nouvellement concernés… de faire réaliser, lorsque l'activité est accueillie à titre habituel ou lorsqu'il s'agit d'un festival, une EINS qui précise les différentes mesures à mettre en œuvre pour ne pas porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage.

4. Prévention des bruits de voisinage

4.1. Modifications apportées au CSP par le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017

* Le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 a recodifié les dispositions du CSP relative aux bruits de voisinage (articles R. 1334-30 à R. 1334-37 devenus articles R. 1336-4 à R. 1336-1 1) à droit constant à l'exception de la suppression au premier alinéa de l'article R. 1334-32, devenu R. 1336-6, des termes « , et dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes ». Les autres modifications dans la section bruits de voisinage issues de ce décret (mise en conformité avec la nouvelle numérotation du CSP, renvoi au CEnv, etc.) n'ont pas d'impact sur le plan réglementaire.

4.3. Le constat à l'oreille

* Les agents chargés des contrôles peuvent avoir recours au constat à l'oreille pour évaluer l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme d'un bruit particulier (article R. 1336-5 du CSP et article R. 571-26 du CEnv). Le constat à l'oreille repose sur une appréciation auditive et objective du bruit considéré en tenant compte notamment de sa durée, de sa répétition ou de son intensité.

* Il est toujours possible de recourir au constat à l'oreille, même lorsque le bruit en question rentre dans le cadre défini par les mesures d'émergence globale ou spectrale (articles R. 1336-6 et R. 1336-7 du CSP), mais le juge demandera le plus souvent une mesure des émergences conformément à ces articles.

* Il est ainsi possible de recourir :
- à une mesure du bruit de voisinage constaté à l'oreille sans seuil (R. 1336-5 du CSP) dans tous les cas,
- à une mesure de l'émergence globale (article R. 1336-7 pour les cas prévus au premier alinéa de l'article R. 1336-6) ; en outre, les valeurs limites de l'émergence globale sont rendues plus strictes dans les cas prévus à [article R. 571-26 alinéa du CEnv,
- à une mesure de l'émergence spectrale (article R, 1336-8 du CSP pour les cas prévus au 1er alinéa de l'article R. 1336-6 entrant aussi dans le champ du 2ème alinéa de cet article, qui ne porte de ce fait que sur la partie des bruits d'équipements) ; en outre, les valeurs limites de l'émergence spectrale sont rendues plus strictes dans les cas prévus à l'article R. 571-26, alinéa du CEnv (bruit des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux clos, ouverts au public ou recevant du public).

* Le 1er alinéa de l'article R. 571-26 du CEnv, selon lequel les bruits générés par les activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux ouverts au public ou recevant du public ne peuvent par leur durée, leur répétition ou leur intensité porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage, conforte la possibilité de pratiquer le constat à l'oreille en première intention pour contrôler l'atteinte potentielle à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, des bruits générés par ces activités. Si le constat à l'oreille est censé suffire dans toutes les situations, en pratique et pour avoir force probante, il devra s'appuyer le plus possible sur les constats d'émergence lorsque le droit établit des limites en la matière.

* Les bruits de comportement des participants à une activité ou une manifestation entrent dans le champ de l'émergence globale (article R. 1336-6 du CSP, exemples : discussion devant l'entrée d'un lieu festif, bruit des participants à une manifestation culturelle habituelle ou à un événement ayant fait l'objet d'une autorisation relative au bruit, etc.), et sont en tout état de cause dans le champ des bruits de voisinage constatés à l'oreille (en application de l'article R. 571-26 du CEnv, notamment).

* Le guide relatif au constat d'infraction sans mesurage des bruits de voisinage, publié en mai 2018 par le Conseil national du bruit (CNB), peut apporter une aide utile aux autorités municipales et aux agents chargés des contrôles.
(https://bruit.fr/images/particuliers/Ressources/Guides_Cnb/guide-cnb-constat-bruits-voisinage-min.pdf).

4.4. Sanctions pénales et administratives et mesures de police administrative
       en matière de bruits de voisinage

* Comme indiqué précédemment, le dialogue et la conciliation entre les parties sont à rechercher, en premier lieu. pour résoudre le problème de bruits de voisinage, Le guide du CNB sur la résolution amiable des bruits de voisinage pourra apporter un appui dans ce cadre.
(https://www.bruit.fr/images/particuliers/Ressources/Guides_Cnb/guide-cnb-resolution_amiable-min.pdf.pdf)

* En cas d'échec de cette phase, les agents habilités à rechercher et à constater les infractions aux bruits de voisinage peuvent engager une ou plusieurs mesures telles que les suivantes :
- la verbalisation au moyen d'une contravention de la 5ème classe, en cas de 
. dépassement des valeurs limites de l'émergence globale ou de l'émergence spectrale conformément à l'article R. 571-26 du CEnv (article R. 571-96 du CEnv) pour les lieux clos ;
. dépassement des valeurs limites de l'émergence globale ou de l'émergence spectrale conformément à l'article R. 1336-6 du CSP (article R. 1337-6 du CSP) pour tous les lieux ;
- la verbalisation au moyen d'une contravention de la 4ème classe, en cas de
. bruit particulier, autre que ceux relevant de l'article R. 1337-6, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme dans les conditions prévues à l'article R. 1336-5 du CSP (constat à l'oreille) (R. 1337-7 du CSP, R 1312-14 du CSP pour les articles R 1331-36 et R 1331-39) ;

4.5. Articulation entre les émergences fixées par le CSP et le CEnv

* Le 2ème alinéa de l'article R. 571-26 du CEnv a introduit une obligation supplémentaire pour les activités impliquant la diffusion de sons à des niveaux sonores élevés dans les lieux clos, afin de ne pas porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme… Cette émergence ne concerne que les bruits présents ou produits à l'intérieur du lieu clos. Les bruits produits à l'extérieur (bruit des équipements de climatisation ou bruit des clients, personnels ou toute personne en lien avec l'activité du lieu clos se trouvant à l'extérieur, etc.) entrent dans le droit commun des bruits de voisinage, soit les règles d'émergence de l'article R. 1336-7 du CSP et celles du R. 571-26 alinéa 1er du CEnv.

Observations

Il est proposé de retenir de la note interministérielle du 5 décembre 2023 les indications suivantes :

1. Les modifications des articles et du champ d’application apportées au CSP par les dispositions du décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 et de l’arrêté du 17 avril 2023 devraient rester sans incidence sur la nature des exigences ainsi que sur le mode opératoire de contrôle fixés par les dispositions du décret du 31 août 2006, de l’arrêté du 5 décembre 2006 et même de la circulaire du 27 février 1996 ; à l’exception des activités précédemment réglementées par les autorités compétentes et désormais soumises au régime général.

2. Le constat à l’oreille est admis vis-à-vis du bruit des activités professionnelles, sportives culturelles ou de loisir, mais sans que l’on puisse retenir une « force probante » à ce mode de constat, ni sa validité devant un juge qui « demandera le plus souvent une mesure des émergences conformément à ces articles »; à cet égard il n’est prévu aucune contravention à la suite d’un constat auditif portant sur lesdites activités professionnelles et autres. 

3. Le bruit de comportement des participants aux activités professionnelles et autres relève des bruits visés par l’article R.1336-5, à savoir les bruits domestiques ou de particuliers susceptibles d’être contrôlés à l’oreille ; autrement dit seuls le bruit des installations et le cas échéant de comportement des responsables ou agents desdites activités se trouveraient soumis au critère de l’émergence.
On remarque qu’une telle interprétation est conforme aux décisions suivantes de la Cour de cassation : arrêt du 08/03/2016 - 3ème Ch.Civ. - n° pourvoi : 15-83503 et arrêt du 14/01/2020 - Ch.Crim. - n° pourvoi : 19-82.085 ; étant observé que la seconde décision inclut également le bruit musical amplifié dans le champ du constat à l’oreille.

4. Le CEnv vient sévériser les dispositions du CSP pour ce qui concerne la protection des locaux d’habitation du voisinage, puisque l’émergence de niveau global pondéré se trouve alors portée à la valeur maximale de 3 dB(A) (hors pondération de durée) et par bandes de fréquence à la valeur de 3 dB (125 à 4KHz), mais uniquement pour ce qui concerne le bruit d’une activité sonore amplifiée depuis des lieux clos.
Autrement l’exigence de protection du voisinage est plus sévère lorsque les sons amplifiés se trouvent émis depuis des lieux clos que depuis des lieux ouverts.

5. Il n’est pas confirmé dans la note interministérielle la réponse à l’enquête publique sur le projet d'arrêté du 17 avril 2023 suivant laquelle le mode opératoire du constat de bruit de voisinage des sons amplifiés reste à élaborer par les producteurs desdits sons.










mercredi 15 novembre 2023

ENTRE LES OREILLES, LA PENSEE DU BRUIT


L’expertise judiciaire du différend de bruit concourt à une approche concrète à nulle autre pareille du conflit de voisinage, pour le motif de se dérouler dans le contexte du litige ; à savoir sur les lieux, en présence des parties et dans le cadre d’un débat contradictoire.
Il résulte de ce moyen de procédure civile, installant le technicien au cœur de la confrontation, le privilège pour ce dernier d’éprouver en situation réelle les moyens offerts par les sciences physiques pour renseigner une cause engageant pour beaucoup des rapports humains.

Alors, il faut bien reconnaître qu’une telle pratique du conflit, avec ce que ce dernier porte de tension et d’affect entre les contradicteurs, conduit tôt ou tard l’expert de justice à relativiser l’approche de la nuisance sonore au moyen d’indicateurs quantitatifs, fussent-ils complexes, relevant de la théorie du son.

Soutenir un tel propos n’est pas aisé dans un monde où les chiffres valent mieux que les lettres, cependant il est permis de soutenir que l’intelligence du bruit relève d’une autre complexité que l’approche convenue en nombre de décibels ; quand bien même assortie de considérations spectrales et temporelles sophistiquées, lesquelles ne renseignent évidemment pas mieux les caractéristiques émotionnelles de l’exposition.
Enfin, si ce même technicien projette son regard sur la sémiotique de la fonction de l’habiter, les critères normatifs de la qualité acoustique ne manqueront encore pas de lui paraître restrictifs devant les modalités affectives d’accommodation de l’espace sonore ; lesquelles contribuent, à défaut d’intimité, si ce n’est même de confidentialité du logement réglementaire, à l’idéalisation du pavillon individuel pour 76 à 80 % des Français.

Proposons donc que l’oreille puisse écouter, au-delà d’entendre.


L’indésirabilité du bruit

En introduction du thème « Améliorer la tranquillité sonore des citoyens » de l’Action quatorze du 4ème PLAN NATIONAL SANTÉ ENVIRONNEMENT (PNSE), intitulée « Agir pour réduire l’exposition au bruit », le Groupe santé environnementale (GSE) de l’Assemblée nationale dresse le constat suivant :
« Du matin au soir, nos oreilles sont sollicitées par divers bruits généralement non désirés et à des niveaux sonores pouvant être élevés : bruits des transports motorisés, des klaxons et des sirènes, musique diffusée dans les commerces, bruits des chantiers, etc. »

L’impact de la nuisance sonore, qui résulte effectivement d’une diversité de bruits, se trouvant incriminé par le GSE sous le double effet du non-désir et du niveau sonore, autrement dit en considération à la fois de l'indésirabilité et de l'intensité, il est retenu que les projets d’action élaborés privilégient plutôt le traitement du niveau sonore ; tandis que l’impact sur la santé provoqué par l’attitude de rejet du bruit tend à se trouver contourné.

Les actions du PNSE 4 visant tantôt la création d’un label « espaces calmes » afin de caractériser des lieux « préservés du bruit des transports et des autres sources de bruits (bruits continus de ventilation, bruits de comportements...) », tantôt l’instauration d’un dispositif permettant de « constater et sanctionner plus facilement les bruits de voisinage, notamment par l’usage de sonomètres d’utilisation simplifiée », la question de l’intensité sonore paraît effectivement privilégiée.

Il est symptomatique de l’approche dominante du bruit que le Groupe santé environnementale reconnaisse ainsi la part de nocivité liée aux conditions d’appréhension du bruit, sans pour autant envisager d’action de prévention correspondante ; rappelons tout de même qu’il suffit qu’un bruit soit indésirable, quel qu’en soit le niveau sonore, pour générer à force de durée et de répétition un trouble anxieux dont les conséquences pathologiques sont reconnues par la médecine.

Sans doute peut-on suggérer le motif d’une telle distraction par la réduction physicaliste caractérisant la pensée scientifique et technique dominante, avec pour effet de conférer au domaine du quantifiable le monopole du vrai et pour conséquence une lecture de l’environnement à travers un processus délétère de réification ; réduisant contre nature l’homme à l’état d’objet.
C’est ainsi que les médias répandent, avec le panurgisme qui les caractérise, l’idée que l’approche du bruit serait réductible au seul critère de la quantité de décibels.

Certes, il est plus aisé d’expliquer le trouble de bruit occasionné par exemple par la pompe à chaleur du voisinage au motif du niveau sonore plutôt qu’à celui de l’incongruité de la source dans le contexte et de l’effet intrusif ressenti par le plaignant ; tandis que d’autres bruits de l’environnement, intenses et anonymes, ne créent pourtant pas un tel désagrément.

Ainsi la communication et l’action sur le contrôle de l’exposition sonore en viennent à abolir la pensée sur le bruit, sous une forme de conformisme qu’il convient certainement de dénoncer au motif de ne traiter qu’une partie de la question ; à savoir que l’oreille perçoit autre chose que du son.


Le bruit n'est pas réductible au son

Le bruit ne se trouve en effet appréhendé par le système média-politique qu'en tant que phénomène physique et ses effets envisagés sous le seul aspect du niveau sonore.
Il en résulte la prétention largement répandue suivant laquelle le bruit serait mesurable.

Sont ainsi élaborées des échelles du bruit, repérant sur une graduation en décibels toutes sortes de situations sonores ou de sources de bruit qui n'ont strictement aucun rapport cognitif entre elles et dont le rapprochement ne manque donc pas d’apparaître insolite ; comme si le bruit de la machine à laver du voisin se trouvait moins gênant que celui d’une mobylette ou celui de la pompe à chaleur attenante plus tolérable que celui d’un avion au motif d’une moindre graduation sur l’échelle de niveau sonore.

Le guide pratique de l'habitat édité par une agence nationale de l’environnement amalgame ainsi dans un inventaire hétéroclite le bruit de voisinage avec celui des aéroports ; l'échelle de bruit figurant sur la plaquette situant le ronflement au niveau du seuil de risque.

Une telle réduction numérique du bruit contribue, au mépris de l’appréciation commune et avec pour conséquence un impact anxiogène sur la population, à faire de ce dernier un agent altéragène dont la charge tiendrait en quelque sorte de la dose de décibels ; proposition certainement absurde dès lors que le contrôle de la dose en vient à confondre la nature propre des sources, mais surtout au motif de suggérer que l’absence de bruit pourrait constituer le remède.

Pourtant « le bruit n’est pas une maladie » rappelle le professeur F. Raveau ancien président de la Commission scientifique Bruits et vibrations du ministère de l’environnement.

Observons que le silence n'existe pas dans la nature. Il s’agit d’une expression métaphorique visant à qualifier une ambiance non pas privée de bruit mais habitée de sonorités agréables ou pour le moins ignorées, comme il en est habituellement d’un grand nombre de stimuli sonores environnants jugés non pertinents ; le monde du silence de J.Y. Cousteau grouillant en fait de mille manifestations sonores d’animaux marins.

D’autres raccourcis ou approximations sur le bruit ne manquent pas.

Des campagnes nationales sur l’audition associent sur une même affiche publicitaire les nuisances sonores et les risques auditifs, suggérant par ce rapprochement pour le moins spécieux que les bruits de l'environnement pourraient avoir un impact traumatique sur l’appareil auditif, alors qu’il s’agit bien d’effets extra-auditifs.

Il en est ainsi de l’approche environnementale officielle désignant le bruit sous l’expression abstraite de pollution, comme s’il s’agissait d’un agent extérieur possédant une existence propre, alors qu’il est plutôt question d’une nuisance au sens de l’interaction avec la personne.

Peu importe en effet qu’il y ait du bruit lorsqu’aucun être vivant n’est en situation de le ressentir. Le professeur Leroy rappelle à cet égard qu’" il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ".

En toute cohérence, s’il doit être retenu en l’espèce une pollution ce n’est donc pas par le bruit mais plutôt par le son en tant qu’agent physique ; mais viendrait-il à l’idée de soutenir que le son puisse constituer une pollution ?

C’est ici toute l’ambiguïté entretenue sur le bruit, effectivement non réductible au son parce que support d’interprétation ; on résiste en fait, dans une forme de commodité de pensée toute technicienne, à admettre que le bruit c’est de l’humain en plus du son.

En dépit de l'acception traditionnelle, telle qu’énoncée dans le Littré (Garnier 2007), suivant laquelle le bruit est à la fois un mélange confus de sons et un dire qui circule, il est ainsi retenu qu'entre la part qui parvient aux oreilles et celle qui court dans les esprits, l'approche conformiste du bruit se trouve plutôt réduite à la première.

On rappelle que suivant l’origine latine rumor le bruit se dit en italien rumore, soit une étymologie commune avec le français rumeur ; c’est ainsi qu’une nouvelle se trouve ébruitée, qu’il existe des bruits de couloir, si ce n’est même la propagation de faux bruits qu’on serait donc bien en peine de mesurer.

Observons que même un dictionnaire grand public comme le Petit Robert (édition en ligne) prend la précaution dans la définition du mot bruit de discerner la part relevant du niveau sonore et donc d'éviter la confusion entre bruit et son.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » dit Albert Camus dans la critique d’un ouvrage du philosophe Bruce Parrain paru en 1944 sur la puissance du langage et la valeur des mots.

Un tel déni de la part signifiante dans l’approche du bruit apparaît d’autant plus inattendu qu’il ne résiste pas à l'observation courante.
Remarquons encore une fois qu'un bruit dont l’intensité est faible est susceptible d’occasionner des réactions émotives et anxieuses que n'engendre pas un bruit de niveau élevé ; c'est encore le cas de la pompe à chaleur du voisin dont le niveau sonore reste très inférieur à celui des voitures qui passent dans la rue.

Qu’il soit permis de s’interroger, au-delà de ce que le niveau sonore d’une moto puisse à l’occasion se trouver assourdissant, sur la participation de l’image négative portée sur le motard dans l’appréciation du bruit. Alors un blouson noir pourrait-il bien chevaucher une moto électrique ?

Une autre particularité de l'approche autorisée du bruit est de vouloir qu’il soit un son désagréable et de surcroit qu'il s'accompagne nécessairement d'effets délétères.
Or, à l'évidence, tous les bruits ne sont pas nécessairement déplaisants ou néfastes pour la santé, comme le démontre l'usage courant d'évoquer les différents bruits de la nature, les bruits variés de la campagne, les bruits intimes de la maison, le bruit des enfants qui jouent … 


Certains bruits sont même prétendus relaxants

Des neurologues évoquent ainsi des bruits générateurs de bien-être, comme le bruit du gong, du bol tibétain, du ronronnement du chat, de l’eau qui coule, du crépitement du feu… Le bruit du bourdon ayant en Orient le don d'anesthésier l'intellect et de favoriser la concentration.
Il est question ici de sonothérapie.

Définir le bruit comme " un son déplaisant ou confus ", tel que l'association AFNOR voudrait en faire la règle dans le Vocabulaire de l'acoustique, relève bien d'une interprétation physicienne contrevenant à l’origine étymologique et sémantique du mot bruit ; ceci dans l’intention manifeste de corréler le trouble à l’intensité sonore.
Il n’est donc pas vérifié que les musiciens, les marins-pêcheurs, les gardiens de moutons, les maîtres-nageurs ou autres professionnels exposés à des bruits récurrents d’un niveau sonore élevé, présentent davantage de troubles de la santé que le reste de la population.

Alors comment expliquer que l'on puisse ainsi réduire l’étude de l'impact du bruit à la seule excitation physique, sauf à imaginer une forme de déterminisme logique entre les processus physiologiques et psychiques ?
 

La relation entre sensation et perception

Au-delà de l'approche réductionniste du bruit au niveau sonore, il convient d’ajouter la confusion autrement simplificatrice entre la sensation et la perception.

On rappelle que la sensation correspond à une stimulation physiologique suscitant un événement psychique élémentaire, autrement dit un niveau de traitement précoce de l'information dans le système nerveux central, susceptible de provoquer des réactions affectives, de l’ordre du réflexe.
Il est ainsi permis de proposer que la sensation constitue la première étape, au stade physiologique, d'une chaîne d'événements neurologiques précédant l’élaboration de la pensée.

La perception, pour sa part, est la représentation mentale de la sensation ; c’est un processus par lequel un individu organise et interprète ses sensations de façon à donner un sens à son environnement.

Le préfixe psycho d'un mot conférant à ce dernier une relation à la pensée et à l'esprit, il est remarquable que la branche de l'acoustique propre à l'étude de la sensibilité du système auditif par rapport aux stimulations acoustiques ait été désignée sous le vocable de psychoacoustique, tandis que son objet relève plutôt de physioacoustique ; c'est-à-dire des propriétés réceptives de l'oreille, lesquelles il est vrai sont difficilement dissociables des stades psychiques élémentaires propres à la sensation, mais sans pour autant engager un processus réflexif conscient.

Accorder au stimulus une valeur d'information, au sens de façonnement de l’esprit suivant le Littré, ne manque pas de renvoyer au XIXème siècle et aux travaux de G.T. Fechner établissant la théorie du parallélisme psychophysique, d'après laquelle matière et esprit sont indissociables ; énonçant ainsi dans la pure tradition animiste que le monde physique et le monde psychique constituent les deux faces d'une même réalité.
Rappelons que dans une sorte d’exaltation mystique G.T. Fechner publia différents essais comme « Nanna ou la vie sensible des plantes », exposant que la nature était animée d'une âme vivante, ou encore « Le petit livre de la vie après la mort », suggérant que les âmes des créatures décédées formaient les éléments de la vie spirituelle sur Terre.

Il est ainsi improbable que le décibel, utilisé aujourd'hui comme unité de mesure du niveau sonore par les techniciens de l’acoustique, puisse avoir pour origine l'illumination de G.T. Fechner, un petit matin d'octobre 1850 alors qu’il se trouvait encore au lit, lui révélant la relation somme toute extatique entre l’âme et le corps, selon laquelle la sensation varierait comme le logarithme de l'excitation.

On rappelle que l'histoire des sciences a retenu ce 22 octobre 1850 comme date de fondation de la psychophysique, dont les adeptes restent bien nombreux aujourd’hui, en dépit de ce que la relation de G.T. Fechner se révèle indémontrable, comme dénoncé très tôt par de nombreux chercheurs comme E. Hering, H. Bergson, H. von Helmholtz ou W. James ; tous attentifs à la mathématisation des phénomènes psychologiques.
Il apparaît effectivement vain de vouloir corréler l'excitation et la sensation, en négligeant l'influence de la perception sur cette relation.


Le cerveau organe principal de l’ouïe

La mise en évidence de l'affectivité dans l'appréhension du bruit est assez ancienne, puisque déjà en 1918 H. Hyde et W. Scalapino observaient que pour un même niveau sonore musical les tons mineurs augmentaient la fréquence du pouls et diminuaient la pression artérielle, tandis que la musique rythmée augmentait à la fois la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Ces derniers remarquaient encore que la réaction cardiaque restait plus faible en présence de morceaux familiers (The influence of music upon electrocardiograms and blood pressure).

B. Morillon et S. Baillet, chercheurs à l’INSERM / Institut de Neurosciences des Systèmes (revue PNAS USA : Motor origin of temporal predictions in auditory attention) confirment à l’aide de mesures magnétoencéphalographiques que le cortex moteur aide à mieux entendre en anticipant la sensation par une excitation neuronale se propageant vers le cortex auditif.
 
Les équipes de B. Bathellier (Dynamique du système auditif et perception multisensorielle / Inserm) à l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur et d’A. Destexhe (Institut des neurosciences Paris-Saclay / CNRS / Univ. Paris-Saclay) démontrent encore (revue Nature Neuroscience - 28 septembre 2022) que l’anesthésie a pour effet de placer le cerveau dans un état inconscient dans lequel les sons ne sont plus perçus ; autrement dit dans la situation par laquelle le cortex auditif se trouve encore stimulé par les sons sans que ces derniers se trouvent perçus par le cerveau.

A. Destexhe note ainsi : « Dans un sens, le cortex éveillé est plus « créatif » parce qu’il génère de nouveaux motifs d’activité en réponse aux sons, et qui leur sont spécifiques, alors que cette spécificité semble inexistante lors de l’anesthésie. Il reste à voir si les mêmes conclusions s’appliquent aussi à d’autres états comme le sommeil ».
R. Chervin, directeur du Sleep Disorders Center à l'Université du Michigan, explique que si le ronfleur ne s’entend pas ronfler cela est lié à la façon dont le cerveau filtre les sensations.
Il est observé par ce chercheur que certains sons réveillent ainsi plus que d'autres ; entendre son nom est plus susceptible de réveiller qu'un mot courant et des bruits constants ou répétitifs réveillent en retour moins que des bruits irréguliers ; de la sorte le bruit provenant de notre propre corps est moins susceptible de nous alarmer.

Chacun peut certainement constater à cet égard que la prise de conscience d’un bruit dépend de la pertinence accordée à ce dernier : le faible gémissement du nourrisson réveille ses parents tandis que les grondements violents d’un orage peuvent ne pas les tirer du sommeil. En reconnaissant l’importance à donner à un son et en ne portant pas à la conscience les bruits n’offrant pas d’intérêt le cerveau protège ainsi d’une surcharge sensorielle.

À propos de la perturbation du sommeil par le bruit, la vraie question se trouve en fait posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000).

S’il est amplement démontré par des études cliniques en laboratoire que le bruit peut entrainer des modifications des systèmes cardio-vasculaire, neuroendocriniens, digestifs ou respiratoires, il doit donc être admis que l'impact sur ces altérations résultent aussi de la pertinence accordée à la source et de l’affectivité négative portée sur le bruit.
De telles recherches enrichissent grandement les modèles de relation entre le signal sensoriel et les mécanismes de la perception.

Il convient encore de dénoncer l’artéfact écolo-médiatique suivant lequel le bruit serait un générateur obligé de trouble ; représentation dommageable par suite de l'effet nocebo qu’elle suscite.
Les médias sont sans doute bien conscients qu’une information anxiogène attire l'attention et fait vendre les journaux, mais pour autant sans se rendre compte de l’importance de leur rôle dans le conditionnement de la population et finalement de leur contribution majeure au stress environnemental.

Des études démontrent ainsi des inquiétudes collectives, parfois non fondées, sur des sujets de santé publique comme par exemple les effets des rayonnements électromagnétiques ; il a ainsi été observé que des troubles avaient été allégués par des riverains d'une antenne-relais de téléphonie tandis que l'installation n'avait pas encore été mise en service.

Une expérience scandinave a démontré en l’absence de tout environnement nocif qu’un nombre significatif d’individus se plaignaient de symptômes divers gastro-intestinaux, musculaires et névralgiques (« effet nocebo ») après la diffusion d’informations erronées sur une pollution par des médias (Barsky, Saintfort, Rogers – JAMA 2002 ; 287).

Le rapport de l’Académie nationale de médecine sur les Nuisances sanitaires des éoliennes terrestres (séance du mardi 9 mai 2017) fait état de l’expérience suivante :
« Une récente étude néozélandaise conduite en double aveugle a comparé les effets d’une exposition de 10 minutes soit à une stimulation placebo (c’est-à-dire au silence), soit à des infrasons, sur des sujets recevant préalablement une information soulignant soit les méfaits, soit l’innocuité de ces derniers. Seuls les sujets ayant reçu les informations négatives rapportèrent des symptômes, qu’ils aient été ou non soumis à l’exposition aux infrasons !!! Cette expérience souligne le rôle éventuellement négatif de certains médias et autres réseaux sociaux. » (Barsky AJ, Saintfort R, Rogers MP et al. Nonspecific medication side effects and the nocebo phenomenon. JAMA 2002; 287: 622-7. Crichton F, Petrie KJ. Health complaints and wind turbines : the efficacy of explaining the nocebo response to reduce symptom reporting. Environ Res 2015; 140; 449-55. Baxter J, Morzaria R, Hirsch R. A case-control study of support/opposition to wind turbines: perception of health risk, economic benefit, and community conflict. Energy Policy 2013; 61: 931-43.)

Retenons encore suivant ces études que « les personnes qui déclarent avoir une électrosensibilité éprouvent en effet des symptômes lorsqu’elles sont exposées à des champs électromagnétiques, mais seulement lorsqu’elles savent qu’elles sont exposées » suivant G.J. Rubin, M. Burns, S. Wessely (King’s College London, Department of Psychological Medecine, Londres, Royaume Uni).
Ainsi l’Académie nationale de médecine retient que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance ».

De même l’O.M.S., suivant laquelle la gêne est une « sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé », retient ainsi l’impact de l’imaginaire sur le trouble.
Observons suivant ces hautes instances médicales et puisqu’il est question de sanité que l’application du « droit de vivre dans un environnement sonore sain », tel qu’institué par l’article L.571-1A du Code de l’environnement, suppose donc de prendre en compte le comportement face au bruit et de ne pas confondre nuisance et pollution.

Sans doute devrait-on alors plus souvent s’interroger sur l'impact du bruit sur la santé lorsque le bruit est considéré a priori comme nocif et sans doute les enquêtes d’opinion, dont le questionnaire se trouve orienté ne devraient pas faire l’économie d’une attitude collective dûment attestée par des taux de plainte analogues dans des conditions sociales et de bruyance comparables.
Manuel Perianez dénonce à propos des sondages sur le bruit la « préexistence d’une opinion consciente socialement établie » (Limite de validité des sondages en sciences sociales – Journées STE Créteil – 23 mai 1996) et rappelle à l’image de R. Barthes (La Chambre claire) que « pour obtenir une photographie qui saisisse le vif du sujet, il faut la prendre à son insu ».
 
L’ensemble de ces contributions devrait ainsi conduire à partager la réserve exprimée depuis déjà de longue date par différents chercheurs, tels Miller en 1974 ou Kryter en 1985, qui soutenaient la réelle difficulté d'établir un lien de causalité tangible entre le niveau physique du bruit et les troubles affectant la santé.
À l’évidence ce n’est donc pas parce que le facteur de trouble lié à l’aversion, ou pour le moins, l’indésirabilité du bruit n’est pas mesurable qu’il doit donc être négligé.


Vers une approche cognitive du bruit

L’approche purement physicaliste du bruit montrant ses limites, un changement de paradigme s’impose, impliquant la prise en compte de nouveaux indicateurs.

En tout état de cause le paramètre cognitif ne peut plus rester ignoré dès lors que l’O.M.S, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux (arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 8 juillet 2021) reconnaissent l’effet nocebo provoqué en la circonstance d’éoliennes par l’attitude anxieuse des riverains ; un tel effet étant naturellement susceptible d’être étendu à toute autre source de voisinage.
Ainsi D. Dubois (LCPE/LAM) et M. Raimbault (INRETS-LTE) inaugurent de nouvelles recherches sur la catégorisation de bruits urbains au niveau des représentations collectives en mettant l’accent sur la signification donnée aux bruits (Les catégories cognitives du bruit urbain : des discours aux indicateurs physiques – Acoustique et technique n°39).

À la différence du traitement de mesure physique, le traitement cognitif du bruit conduit à prendre en compte les processus d’interprétation sémantique, lesquels relèvent bien sûr des représentations mentales issues de l’expérience de chacun, mais qu’il semble possible de catégoriser en représentations collectives dès lors qu’elles se trouvent partagées.
Par exemple, si l’on retient la démonstration de Fields et Walker (1982) suivant laquelle, à niveau sonore identique, la gêne est forte chez les personnes qui pensent que le bruit est évitable et plutôt faible chez ceux qui considèrent qu’il est inéluctable, l’évitabilité semble ainsi constituer un critère cognitif remarquable du trouble.

D’autres critères cognitifs se dégagent certainement des indicateurs d’anormalité habituellement retenus par le juge civil dans le cadre de l’instruction du trouble anormal de voisinage, tels que l’incongruité dans le contexte ou le défaut de précaution, qui relèvent effectivement de considérations non pas psychologiques mais factuelles.

S’il était permis de suggérer différentes actions dans le cadre de la prévention des effets cognitifs du bruit, ces dernières pourraient concerner :
- Le développement de la recherche pour l’identification de catégories cognitives du trouble de bruit, permettant de relativiser le critère de seuil souvent improbable du niveau de bruit ou de l’émergence et d’élaborer des principes de précaution qualitatifs.
- La réalisation d’une campagne d’information à l’intention du public et des médias, visant à redonner au bruit l’interprétation sémantique nécessaire à une approche compréhensible de la nuisance sonore et de nature à faciliter son traitement.
- L’éducation au partage de l’espace sonore dans le cadre scolaire et l’action des collectivités locales, rappelant bien au-delà de la question du bruit les fondements de la civilité.

L’instruction de plaintes donne ainsi à voir toute la complexité de l’appréhension du bruit et impose de chercher plutôt que de restreindre :
Prendre les humains pour des decibelmètres, c’est leur interdire de penser le bruit ; rappelons ce que disait Georges Bernanos dans la « France de robots » en 1947 : « Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté ».


Quelques repères bibliographiques :

Les effets du bruit sur la santé, J. Mouret et M. Vallet, ministère des affaires sociales et de la santé
Les stress de l’environnement, Annie Moch, Culture et société
La signification de la gêne attribuée aux bruits dans les logements, F. Desbons et M. Perianez, ministère de l’équipement
Évaluation des impacts sanitaires extra-auditifs, Anses
Le coq et le klaxon ou la France à la découverte du bruit, Ch. Granger, Presses de Sciences Po
Le cortex moteur aide à mieux entendre, B. Morillon et S. Baillet, PNAS USA
Les catégories cognitives du bruit urbain, D. Dubois et C. Guastavino, Acoustique et Techniques
Les effets du bruit, S. Stanfeld, Acoustique et Techniques
Mécanismes psychologiques possibles du syndrome éolien, G. J. Rubin, M. Burns et S. Wessely, King’s College London
L’audition et la compréhension, Audition et santé