Ambiguïtés acoustiques de la division volumétrique
Le Desgodets dans l’édition de 1768 (Les lois des bâtiments suivant la Coutume de Paris – Réédition Forgotten Books – 2015) renseigne les charges respectives en vigueur au 18ème siècle lorsqu'une même maison se trouve possédée par différents propriétaires :
« 92. La coutume de Montargis, art. 13, celle de Nivernais, art. 3, celle de Bourbonnais, art. 517 et 518, celle d'Orléans, art. 257, Berry, art. 15 et 16, Bretagne, art. 714, etc. disent toutes la même chose : ainsi, par la disposition de ces coutumes, chacun des propriétaires entretient seulement les murs des étages qui lui appartiennent; et les propriétaires du haut ne contribuent point aux murs au-dessous, quoiqu'ils leur servent l'appui et de soutien; et ils ne payent point de charges. »
« 05. Suivant ces coutumes, l'égalité des charges est assez bien gardée entre les propriétaires; le propriétaire de la partie inférieure de ladite maison supporte à la vérité la charge et le fardeau de la partie supérieure de cette maison : mais pour le dédommager, le propriétaire de la partie supérieure est tenu d'entretenir à ses frais seul la couverture en entier, charpente et tuile ou ardoise ; ce qui est une charge sujette à un entretien continuel, qui équivaut en quelque façon à celle du propriétaire du bas de cette maison. »
Il est ainsi donné d’observer que la division d’un immeuble entre plusieurs propriétés distinctes était autrefois d’usage courant, avec une répartition des charges somme toute factuelle, dont l’équité se trouvait relative et la préservation des biens confiée en quelque sorte à l’agrément des voisins.
On comprend dès lors la nécessité de l’édifice juridique construit au fur et à mesure des années afin d'établir le régime de la copropriété avec ses règles, associant les conditions de jouissance des lots au partage des contraintes d’exploitation de l’ouvrage, telles qu’abouties par la loi du 10 juillet 1965.
Pour autant, le régime de la copropriété se heurtant à l’organisation d’ensemble immobiliers complexes d’occupation hétérogène, où par exemple le domaine public inaliénable vient côtoyer la propriété privée et où l’autonomie d’affectation et d’usage de parties d’immeuble risque de se trouver contrariée par des décisions communes, les promoteurs et investisseurs ont régulièrement recours à la division volumétrique de leurs opérations.
Il convient ainsi de noter que la loi ALUR (n°2014-366) du 24 mars 2014 est venue modifier l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 (laquelle prévoit cependant déjà des exceptions) en autorisant la scission en volumes d’une copropriété comportant plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents, dès lors que chacune de ces entités suppose une gestion autonome.
On remarque que c’est tout de même difficilement le cas dans la configuration d’un bâtiment de structure commune, dont la maintenance du gros-œuvre, comme celle du clos et du couvert, se trouvent en fait indissociables.
Il n’est surtout pas permis de retenir d’autonomie de gestion de l’espace sonore entre entités distinctes, dès lors que la structure commune d’un ouvrage constitue inévitablement, sauf fractionnement antivibratoire complexe, une voie de transmission des bruits entre les volumes, ainsi séparés juridiquement mais certainement pas acoustiquement.
L’inévitabilité de la propagation acoustique à travers les poteaux et les différentes parois porteuses de l’ouvrage contribue en effet à une communauté indivisible de bruit, interdisant de fait l’autonomie sonore des entités et en réalité leur division au sens de la loi ALUR.
La division volumétrique souffre encore de l’ambiguïté acoustique liée à son absence de reconnaissance dans les règles d’urbanisme, faisant que l’autorisation de construire se trouve accordée à une unité foncière et non à plusieurs ; avec pour conséquence des prescriptions réglementaires d’isolation entre locaux comme s’il s’agissait d’une seule entité, en omettant toute disposition visant cette fois la protection acoustique entre tiers.
En outre, le principe de la division volumétrique s’accompagne le plus souvent de la vente de locaux bruts à aménager, contribuant à une sorte de délégation de maîtrise d’ouvrage pour l’achèvement de l’opération immobilière, avec la difficulté correspondante de répartition des contraintes acoustiques entre le vendeur et l’acquéreur, ce dernier de surcroît n’étant pas nécessairement l’aménageur ; c’est en particulier le cas de l’acquisition par un organisme bancaire au profit d’un crédit preneur lui-même bailleur du local, dont le locataire se trouve finalement chargé de l’aménagement.
Toute demande de permis de construire devant préciser la destination des locaux, il est donné d’observer que lesdits locaux livrés bruts à aménager par l’acquéreur se trouvent couramment destinés à une activité commerciale recevant du public et donc définis comme tels dans le dossier d’instruction.
Le permis de construire tenant lieu d'autorisation d'aménager un ERP et les règles de sécurité et d'accessibilité se trouvant visées dans le cadre du projet, il ne manque pas encore d’être relevé l’ambigüité d’engagement du pétitionnaire dudit permis à respecter les dispositions de l’arrêté du 20 avril 2017, en particulier relatives à l’accueil du public malentendant imposant à l’article 9 des dispositions d’absorption sonore, qui ne peuvent en réalité se trouver respectées qu’à l’occasion de l’aménagement de la coque.
Le certificat de conformité attribué dans ces conditions à l’ouvrage apparaît pour le moins relatif.
Les contraintes acoustiques de la division volumétrique
Obligations civiles et réglementaires
En matière de construction les dispositions du Code de la construction et de l’habitation sont visées en particulier par l’article R.111-1-1 relatif à la construction de bâtiments nouveaux, ainsi que par l’article L111-11 fixant que « Les contrats de louage d'ouvrage ayant pour objet la construction de bâtiments d'habitation sont réputés contenir les prescriptions légales ou réglementaires relatives aux exigences minimales requises en matière d'isolation phonique. »
On rappelle que les exigences minimales en matière acoustique, dont on pourrait croire à tort que ces dernières fixeraient les objectifs à atteindre et non pas le seuil de l’infraction, sont contenues dans les deux arrêtés du 30 juin 1999, relatifs aux caractéristiques des bâtiments pour l’un et aux modalités d’application pour l’autre.
Suivant ces arrêtés, les exigences acoustiques entre un local d’activité et la pièce principale d’un logement voisin sont les suivantes :
- isolement minimal au bruit aérien : DnT,A = 58 dB – 3 dB- niveau maximal du bruit de choc : L’nT,w = 58 dB + 3 dB
On observe que ces exigences restent théoriques, c’est-à-dire sans rapport avec la nature même de l’activité prévue, et en tout état de cause formulées suivant des critères non représentatifs de contraintes acoustiques et vibratoires réelles.
On remarque encore qu’aucune disposition constructive n’est prévue pour la protection d’un logement par rapport au bruit d’un équipement installé dans un local d’activité voisin, tel un ascenseur ou un monte-charge, un appareil de chauffage ou de climatisation, un surpresseur … puisque de tels équipements ne peuvent être qualifiés de collectifs.
Il convient de retenir à cet égard que vis-à-vis d’un logement le bruit de l’ascenseur du volume affecté à l’habitation ne relève pas des mêmes exigences réglementaires que celui de l’ascenseur du volume accueillant l’activité, en dépit de l’éventuelle similitude de l’équipement.
En matière de protection du voisinage contre le bruit, le dispositif national applicable est celui fixé par le Code de la Santé publique et en particulier l’article R.1336-6 :
« Lorsque le bruit mentionné à l'article R.1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R.1336-7 est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.« Lorsque le bruit mentionné à l'alinéa précédent, perçu à l'intérieur des pièces principales de tout logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d'activités professionnelles, l'atteinte est également caractérisée si l'émergence spectrale de ce bruit, définie à l'article R.1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. »
Au-delà des contraintes réglementaires, la théorie prétorienne du trouble anormal de voisinage, codifiée successivement pour ce qui concerne le principe d’antériorité par le Code de la construction et de l’habitation (articles L.112-16 puis L.113-8), puis par le Code civil (article 1253), vient ajouter la double pertinence d’appréciation du critère d’audibilité et de l’appréciation contextuelle.
On note au titre de la vérification d’audibilité la référence jurisprudentielle à l’Avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963 et pour ce qui concerne l’appréciation contextuelle, différents critères tels que la congruité, la précaution ou l’évitabilité.
Il est enfin rappelé les contraintes contractuelles, dont les clauses des cahiers des charges d’AFUL pourraient utilement se référer aux usages du 18ème siècle, tels que rapportés dans le Desgodets :
« 87. Lorsqu’une maison est possédée par deux différents propriétaires, dont l’un a le bas, et l’autre le dessus, ils peuvent faire l’un et l’autre ce qui leur plaira dans la portion qu’ils possèdent, pourvu toutefois qu’ils ne se causent pas du préjudice l’un à l’autre, tant par la commodité que par la solidité. Par exemple, celui qui a la partie inférieure de la maison, n’y pourrait pas y faire une forge, parce qu’il incommoderait le propriétaire de la partie supérieure : ainsi jugé par arrêt du 26 janvier 1672. »
Enfin, en matière d’accessibilité viennent s’ajouter, comme indiqué précédemment, les règles particulières des ERP concernant l’accès au handicap « malentendant ».
De la sorte le volume de l’ouvrage voué à une activité, telle une activité commerciale, doit à la fois répondre à des règles de construction, fixant en particulier un isolement minimal vis-à-vis des logements contigus, et à des règles de voisinage par rapport à l’ensemble des bruits susceptibles d’être produits dans le cadre de l’activité.
Contraintes techniques
Il relève certainement d’une gageure de prétendre par avance pouvoir satisfaire à l’ensemble des obligations précédentes en livrant une coque nue à un emploi dont les contraintes acoustiques et vibratoires ne sont par avance pas connues.
C’est le cas des supermarchés implantés dans le volume inférieur d’immeubles abritant au-dessus des logements, dont les exploitants sont la plupart du temps dans l’incapacité de caractériser par avance, voire même en cours d’exploitation, les niveaux sonores et les forces vibratoires engendrés par leurs modalités propres de fonctionnement.
On rappelle que le succès d’une opération immobilière réside dans la chaine de cohérence suivant laquelle il ne peut se trouver d’exécution correcte de travaux sans un projet élaboré avec précision, lequel n’est possible sans un programme recensant l’ensemble des contraintes de l’opération, renseignant dans le détail les exigences correspondantes.
Concevoir une coque sans en connaître par avance les contraintes techniques d’usage n’est donc pas raisonnable dans une structure commune, sauf à en limiter l’emploi, ce qui ne manquerait pas alors d’atteindre aux velléités du découpage volumétrique en créant des servitudes d’affectation.
De la sorte, si un projet doit conduire à concevoir une coque nue d’usage techniquement indéterminé, aucune garantie de résultat ne peut se trouver assurée au stade de sa livraison, et l’absence de jonction programmatique entre le vendeur et le preneur, conduit même à un risque certain de bruit de voisinage.
Observons à nouveau que la conformité de la coque aux dispositions réglementaires de construction n’a strictement aucun lien avec la prévention du bruit de voisinage et d’autre part qu’une telle conformité légale est susceptible de se trouver remise en question par les travaux d’aménagement ; interdisant de fait toute vérification ultérieure.
Ainsi les dispositions susceptibles d’être adoptées dans la conception de la coque livrée nue ne peuvent rester que de principe, avec par exemple les précautions de base suivantes :
- décaissement des planchers compatible avec la réalisation de dalles flottantes sur plots- conception de planchers présentant une raideur dynamique suffisante et une continuité structurelle permettant de limiter les mouvements de flexion lors du déplacement de charges lourdes- hauteurs sous dalles et distribution de refends compatibles avec la réalisation de doublages épais- réserve nécessaire des trémies de monte-charges autorisant la réalisation de gaines indépendantes et l’installation de systèmes de levage peu impactants- encloisonnement de l’ensemble des chutes provenant des étages supérieurs- dimensionnement de gaines techniques aptes à l’incorporation de silencieux et autorisant le montage désolidarisé de canalisations frigorifiques- réalisation d’espaces techniques en toiture terrasse de l’immeuble prévoyant toute disposition d’écrans, de silencieux et de socles flottants…
Tantôt excessives, tantôt insuffisantes et donc d’adaptation nécessaire, de telles dispositions techniques confirment si besoin était que la conception de la coque livrée brute peut difficilement faire l’économie d’une concertation étroite avec le futur exploitant.
Le découpage volumétrique ne résiste pas à l’épreuve de la technique, domaine du réel que nul n’est censé ignorer.
En l’espèce, la propriété verticale fondée sur une pensée magique en acoustique et en vibrations relève bien de l’utopie; c'est ainsi que le contentieux récurrent de bruit de voisinage en la matière ne manque pas de l’attester.