Au titre de la Prévention des pollutions, des risques et des nuisances le Code de l’environnement établit à l’article D.571-54 le principe des points noirs du bruit, lesquels se trouvent définis à l’article 2 de l’arrêté du 3 mai 2002 pris en application du décret n° 2002-867 du 3 mai 2002.
Sont ainsi considérés comme points noirs du bruit des transports terrestres les bâtiments d'habitation pour lesquels les indicateurs de gêne dépassent, ou risquent de dépasser à terme, la valeur limite pour la période diurne de 70 dB(A) ou la valeur limite pour la période nocturne de 65 dB(A).
Les enquêtes de gêne semblent révéler qu’à partir de ces valeurs, plus de 80% des personnes enquêtées se déclarent gênées ou très gênées.
Par ailleurs la Directive européenne 2002/49/CE, laquelle définit le bruit dans l’environnement comme un « son extérieur non désiré ou nuisible résultant d’activités humaines, y compris le bruit émis par les moyens de transports, le trafic routier, ferroviaire ou aérien et provenant de sites d’activité industrielle » oblige chaque état membre à réaliser des plans d’exposition au bruit.
Remarquons bien que le Conseil de l’UE ne manque pas de retenir comme motifs de bruit à la fois l’indésirabilité, c’est-à-dire l’appréciation négative, ainsi que la nocivité ; confirmant ainsi les deux caractéristiques essentielles du bruit que sont la connotation et le niveau sonore.
Cette Directive européenne se trouve transposée sur le territoire par l’établissement de valeurs limites, telles que celles visées à l’article 3 du décret du 24 mars 2006 (cf. art. 7 de l’arrêté du 4 avril 2006) ; à savoir un niveau sonore de 68 dB(A) pour l’ensemble de la journée (comprenant une pénalisation pour la période nocturne) et de 62 dB(A) pour la période nocturne par rapport à une route ou une voie ferrée comprenant une ligne à grande vitesse.
Rappelons que l’exposition en période nocturne contribue, selon l’étude publiée par l’OMS en 2011, à un impact sanitaire majeur puisque les perturbations du sommeil par les nuisances sonores seraient à l’origine chaque année en Europe occidentale d’une perte de 903 000 années de vie.
On remarque que l’étude de l’OMS relative à la perturbation du sommeil par le bruit omet en réalité de prendre en compte la question essentielle posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000).
C’est ici que l’impact de la signification sur le bruit, évoqué à juste titre par le Conseil de l’UE, devrait conduire à relativiser la seule référence au seul niveau sonore ; ce qui n’est donc pas le cas suivant l’approche physicaliste dominante en matière écologique et médicale, associant le pouvoir de nuisance à la seule considération des caractéristiques physico-temporelles du bruit ; c’est-à-dire en omettant que le trouble puisse aussi résulter de la connotation de la source.
Si l’on retient ainsi comme limite de nuisance nocturne un niveau moyen de l’ordre de 60 dB(A) à l’extérieur de l’immeuble, on doit admettre par rapport à l’affaiblissement de façade de l'ordre de 25 dB(A) de la majeure partie des constructions existantes que le dispositif réglementaire fixe pratiquement le seuil de niveau sonore admissible la nuit à une valeur de l’ordre de 35 dB(A) à l’intérieur d’une habitation.
Une telle valeur correspondant à une moyenne énergétique sur la durée de la nuit, on remarque que ledit niveau limite se trouve porté à 38 dB(A) pour une exposition de 4h00 et de 41 dB(A) pour 2h00.
Si l’on garde ce raccourci de pensée suivant lequel seules les caractéristiques physico-temporelles du bruit sont de nature à renseigner l’état de la nuisance, il n’existe donc aucun motif pour que ces niveaux limites d’exposition afférents au bruit de trafic terrestre ne puissent concerner toute autre source sonore nocturne susceptible d’exposer l’habitant d’un logement.
Parmi ces sources de bruit, il en est une particulièrement insidieuse puisque s’introduisant en soirée dans les chambres à coucher des appartements et même jusque dans les lits ; il s’agit du bruit rauque engendré par les vibrations nasopharyngées du ronchopathe.
Selon l’enquête A+A Healthcare effectuée en 2011 auprès d’un échantillon de 1000 personnes et l’étude Ohayon (BMJ 1997) près de 40% des hommes ronflent bruyamment et souvent, tandis que la prévalence chez les femmes atteint 30%.
Suivant Richard J. Schwab (University of Pennsylvania, Division of Sleep Medicine) environ 57 % des hommes et 40 % des femmes ronflent.
D'après l'American Academy of Otolaryngology, 45 % des adultes ronflent occasionnellement, et 25 % sont des ronfleurs réguliers.
Une récente enquête menée au Royaume-Uni par la chaîne de magasins Specsavers, publiée par Peter Wix le 16 mai 2023, conduit à retenir que :
- 91 % des personnes interrogées répondent que leur partenaire ronfle régulièrement et la plupart d’entre elles affirment que leur partenaire bruyant les réveille au moins deux fois par nuit.- 7 % des personnes admettent que les ronflements de leur partenaire les empêchent de profiter d’un repos nocturne bien mérité, ce qui les agace (46 %), les frustre (45 %), voire les stresse (28 %)- 9 % des personnes interrogées admettent qu’elles donnent des coups de coude à leur partenaire, 44 % qu’elles le retournent et 42 % qu’elles lui donnent un léger coup de pied pour qu’il s’arrête- près d’une personne sur dix a même envisagé de se séparer à cause de ce dérangement nocturne.
Au-delà de la gêne occasionnée par le fait de dormir avec un partenaire qui ronfle, une telle nuisance entraîne inévitablement un stress relationnel et des effets néfastes sur la santé ; soit un problème majeur dans la vie sociale et surtout dans la relation conjugale.
Réveillé par le ronflement de son ou de sa partenaire, le conjoint n’hésite parfois pas à manifester son trouble par un bon coup de coude dans le dos en espérant pouvoir dormir à nouveau.
La situation peut même conduire à faire chambre à part pour ne plus avoir à supporter un tel désagrément.
Selon un sondage Ifop 44% des Français se sont déjà disputés à cause du ronflement.
Déjà au XIXe siècle, Armand Bourgeois qui intitule son vaudeville « La consigne n’est pas de ronfler », met en scène Célibaton, un bourgeois de 35 ans qui refuse de se marier de peur de « tomber sur une femme qui ronfle ».
L’échelle de ronflement suivante a été utilisée dans une étude israélienne de 2019 (https://doi.org/10.5664/jcsm.7678) pour laquelle les niveaux de décibels correspondants ont été fixés après évaluation de l’intensité du ronflement dans un laboratoire du sommeil :
- ronflement léger (40-45 dB)- ronflement modéré (45-55 dB)- ronflement sévère (55-60 dB)- ronflement très sévère (+ de 60 dB)
Cette étude suggère que les femmes ont tendance à ne pas déclarer qu’elles ronflent et à sous-estimer le volume de leurs ronflements, même si l’on observe objectivement qu’elles ont des volumes de ronflement similaires à ceux des hommes.
Il est d’usage d’admettre que le ronflement moyen atteint facilement des niveaux sonores de 45 dB(A) à 60 dB(A) dans l’environnement du ronfleur ; ce qui correspondrait en fait à des niveaux d’au moins 70 dB(A) à 85 dB(A) s’il provenaient de l’extérieur et qu'on les comparaissait aux critères de bruit de trafic mesurés ainsi.
Si l’on considère suivant l’étude couples et familles réalisée par l’INSEE en 2011 que 70 % des 68 millions de français vivent en couple, et que l’on puisse formuler l’hypothèse d’un affect unilatéral, il conviendrait ainsi de retenir que la pollution ronchopathique exposerait à raison de 40 % de ronfleurs près de 9,5 millions de personnes.
Le niveau sonore du bruit dépassant alors largement le critère de point noir ou le référentiel de niveau sonore limite du plan de prévention du bruit et le nombre estimé des victimes étant tout à fait considérable, il reste à analyser le motif d’un tel déni.
Un tel seuil de nuisance, qui ne manquerait pas de faire l’objet d’accusation d’effets délétères sur les systèmes endocriniens, immunitaires, cardiovasculaires et autres s’il s’agissait de bruit de trafic ou d’animation urbaine, fait l’objet en effet d’un mutisme écologique pour le moins suspect ; sauf à considérer bien sûr que le niveau sonore ne serait pas le seul motif de dangerosité du bruit …
La raison de ce déni résulte sans doute du caractère intime de la source échappant à l’emprise du pouvoir technocratique gouvernant la société au mépris des affects.
Observons pourtant qu’une telle nuisance n’est pas nouvelle.
Sophie Panziera dans la « Disqualification du ronflement au XIXe siècle »inscrit cette dernière dans une dynamique plus large de disqualification des bruits corporels ou « dormir en silence semble bien devenir une procédure de distinction, participant à l’autocontrôle des corps opéré par les élites du XIXe siècle, qui s’efforcent de se « désonoriser » tout comme elles essaient de se désodoriser, afin de se distancier du peuple, amateur de tintamarre et de brouhaha … Ne pas ronfler semble ainsi intégrer les disciplines de silence imposées par le code de politesse ou d’une manière générale, par la civilité ».
S’il n’est pas prévu de plan d’exposition au bruit ronchopathique, ni l’installation de capteurs afin de traquer les ronfleurs comme il en est des deux roues motorisés, tandis que l’exposition sonore est d’une tout autre intensité à l'intérieur des logements et concerne tout autant d’oreilles, il convient d'admettre soit que le discours en vigueur sur les méfaits du bruit ne se trouve pas fondé, soit que le contrôle du bruit nécessite effectivement d’être appréhendé plus finement que par la seule quantité.
Imaginons un instant la réaction du public si, à l’instar du conjoint du ronfleur, on disait à la victime de bruits urbains qu’il suffit de porter des bouchons d’oreille ; tandis qu’en l’espèce les campagnes contre le bruit, d’autant plus animées par des considérations médicales, devraient plutôt porter sur les moyens de soigner la ronchopathie, dont il est avéré semble-t-il le risque accru pour le ronfleur de développer des maladies cardiovasculaires.
Le guide sur " Le bruit - Les moyens de la combattre efficacement " édité par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (3684 - Mars 2003) situant le ronflement sur l’échelle de bruit au niveau du seuil de risque et l’objet d’un tel établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires étant de participer à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable, l’action correspondante reste donc attendue.
Article du 1er avril 2024, ichthyique ... ou pas.