vendredi 18 mars 2005

IMPROPRIETE A DESTINATION EN MATIERE ACOUSTIQUE

Suivant l’article 7 de la loi du 4 janvier 1978, les défauts d’isolation acoustique ne relèveraient pas du domaine des dommages de nature décennale, mais de celui des non-conformités à la réglementation de la construction; les travaux de nature à satisfaire aux exigences légales et réglementaires étant couverts par la garantie de « parfait achèvement », à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an à compter de la réception, tandis que le promoteur-vendeur se trouve lui-même tenu de garantir le respect de ces exigences vis-à-vis du premier occupant pendant une durée d’un an, mais cette fois à compter de la prise de possession.

Pourtant la jurisprudence avait auparavant énoncé le contraire et continue à le faire aujourd’hui, en référence à l’article 1792 du code civil qui prescrit que tout constructeur est responsable des dommages rendant un ouvrage « impropre à sa destination ».

Mais quels sont donc les critères permettant de caractériser l’impropriété à destination, s’agissant d’une insuffisance d’isolation acoustique ou d’un excès de bruit ?

Cette question de droit soumise à l’appréciation des juges du fond constitue au préalable une question de fait, requérant « les lumières d’un technicien ».

Les missions en matière de construction confiées aux experts acousticiens incluant implicitement voire même parfois explicitement la question de l’impropriété, il importe donc de savoir comment renseigner le rapport.

Si, au sens propre, l’impropriété à destination interdit de façon absolue l’utilisation de l’ouvrage pour la dite destination, l’acception juridique semble plus complexe avec des motivations diverses :

- clause contractuelle non respectée

- infraction à la réglementation

- nuisance, gêne …

Le critère, semble-t’il le plus souvent retenu, est le seuil d’infraction à la réglementation de la construction, en assimilant le seuil réglementaire à un seuil d’habitabilité, comme si le règlement pouvait en quelque sorte constituer la norme, c’est-à-dire non plus la limite à ne pas franchir mais l’objectif à atteindre.

Pour autant, la réglementation de construction ne prévoyant des exigences minimales quantifiées que depuis la publication de la circulaire du 14 novembre 1958 (en application du décret du 22 octobre 1955 qui prescrivait qu’: « un isolement sonore suffisant, compte-tenu de leur destination, doit être assuré aux pièces d’habitation » et ces exigences se trouvant particulièrement sévères par rapport aux habitudes constructives précédentes, doit-on considérer que la plupart des ouvrages réalisés avant 1958 se trouvent impropres à l’usage d’habitation ?

Voilà sans doute qui justifierait de réinstaurer le ministère de la reconstruction.

Et puis les exigences minimales réglementaires changeant avec les années, devrait-on voir ainsi le même logement errer au cours d’une décennie entre les états successifs de propriété et d’impropriété sans que sa qualité acoustique propre n’ait variée.

Observons par exemple que la protection acoustique minimale au bruit de choc proposée par la circulaire du 17 décembre 1963 (toujours en application du décret du 22 octobre 1955) se trouvait plus sévère que l’arrêté du 30 juin 1999 aujourd’hui en vigueur.

Observons encore que la limitation de la réverbération dans les parties communes des logements se trouvait prévue dans la circulaire de 1958, puis oubliée dans la circulaire de 1963 et l’arrêté du 14 juin 1969 (modifié en 1975), puis réintroduite en 1994 dans la Nouvelle Réglementation Acoustique, renouvelée depuis.

Associer la capacité d’usage d’un logement aux règles minimales de construction ne manque pas ainsi dans le temps de paraître hasardeux ou doit-on admettre que le seuil d’impropriété puisse varier en plus ou en moins suivant l’année de construction ?

S’il on considère par ailleurs l’avis de la Cour de cassation en matière de bruit, suivant lequel les règlements ont pour objet de fixer un « seuil de danger et non de gêne » (civ. 3ème, 8 mars 1978), retenir les critères minima de la réglementation de la construction pour apprécier l’impropriété à destination reviendrait cette fois à prendre pour référence une « situation intolérable ».

Le seuil d’impropriété à destination correspondrait dans ces conditions à un seuil d’insalubrité.

En fait, comme il nous est expliqué que les règles de construction sont désormais élaborées avec un objectif de qualité, autrement dit que l’objectif visé n’est plus de satisfaire l’essentiel (comme on pourrait le penser d’un texte qui prévoit des sanctions pénales) mais plutôt de privilégier le confort, le seuil réglementaire ne saurait plus aujourd’hui être confondu avec un seuil de danger ou un seuil d’insalubrité.

A contrario avec ce qui est dit précédemment, il convient encore de s’interroger, s’agissant de l’aptitude à l’usage, sur la bonne référence aux règles de construction lorsque leur application est de nature à entraîner une situation gênante comme par exemple l’obligation d’un isolement de façade en site calme; ce qui a pour effet de rendre le logement anormalement silencieux et de contribuer malheureusement à la perception des moindres bruits des équipements de l’immeuble et bien sûr de ceux du voisinage.

On pourrait sérieusement ici admettre qu’un silence excessif est de nature à rendre des logements collectifs impropres à leur destination.

Un autre exemple où la réglementation ne peut constituer un critère d’aptitude à l’emploi est l’absorption excessive imposée dans les locaux d’enseignement par l’arrêté du 9 janvier 1995, susceptible de compromettre la diffusion de la parole dans une classe.

Observant encore que de nombreuses décisions en matière de gêne s‘appuient sur l’Avis de la Commission d’Etude du Bruit du Ministère de la Santé Publique du 21 juin 1963, suivant lequel « Tout bruit peut être considéré comme perturbateur dès l’instant que son apparition ou sa disparition modifie le bruit ambiant d’une manière sensible ... ou sans exiger un effort d’attention particulier », peut-on encore retenir que tout bruit perceptible à l’intérieur d’un bâtiment d’habitation est de nature à rendre l’ouvrage impropre ?

Alors un ouvrage peut-il à la fois être habitable, et donc apte à son emploi, parce que conforme à la réglementation de la construction, et par ailleurs se trouver à l’origine d’une « gêne incontestable » en raison de la perception « sensible » de l’un de ses équipements constitutifs ?

L’assurance obligatoire des travaux de bâtiment, dite « Dommages-Ouvrage », ayant pour objet le préfinancement de la réparation des dommages relevant de l’impropriété à destination, il convient de retenir qu’au titre du bruit cette assurance pourrait ainsi couvrir une sorte de « garantie décennale de confort acoustique ».

D’autres difficultés d’interprétation sur l’impropriété se posent enfin lorsque l’inconfort acoustique d’un tiers en vient à compromettre le fonctionnement d’une installation essentielle à l’exploitation d’un ouvrage.

Pour conclure l’introduction de ces débats je vous proposerais de réduire ainsi la question posée:

Quel critère retenir pour l’impropriété à destination en matière acoustique :
la seule perception d’un bruit, l’insuffisance de confort, le non-respect d’une clause contractuelle, l’infraction aux règles de construction, l’inaptitude à l’emploi, l’impossibilité d’usage, l’insalubrité ou encore l’inhabitabilité ?

Colloque du CNEJAC - 18 mars 2005