lundi 5 octobre 2020

CONFINEMENT ET DECONFINEMENT : QUELLES CONSEQUENCES POUR L'ENVIRONNEMENT SONORE ET SA PERCEPTION PAR LA POPULATION

Conseil National du Bruit - Extraits de la synthèse de résultats d’études 

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Principaux résultats de l’étude sur la perception des bruits de voisinage

Il est retenu dans le cadre du confinement que l’abaissement du bruit de fond par la réduction du trafic, la cessation de la majeure partie des activités commerciales bruyantes (bars, restaurants…) ainsi qu’une plus grande occupation des logements ont contribué à accentuer la perception des  bruits de comportement du voisinage ; différents répondants aux questionnaires alléguant un manque de civisme et de respect d’autrui des voisins.

Il est encore observé l’allégation par les répondants du défaut d’application de la réglementation au motif de l’insuffisance de contrôles et de l’absence de verbalisations, et retenu dans le cadre du déconfinement la difficulté devant laquelle se trouvent placés les maires entre l’exigence de tranquillité publique et l’impératif économique lié à la vie de la commune, conduisant à une forme de laissez-faire administratif.

Partie B – La perception des bruits de voisinage

Une analyse de la problématique des bruits de voisinage lors des périodes de confinement puis de déconfinement a été produite dans le cadre de l’action « bruit de voisinage » du CNB par Anne Lahaye (Présidente de l’AAbV), Claude Garcia et Thierry Mignot (référents « bruit de voisinage »).

Observations sur le terrain

Pour la période de confinement

La mobilisation de moteurs de recherche sur le traitement du bruit par les médias durant le confinement conduit à retenir différentes communications, faisant à la fois état d’une tranquillité retrouvée et de l’émergence de nuisances sonores.

A Nantes :  «  Le boom des nuisances sonores liées au confinement. La police municipale reçoit deux à trois fois plus de signalements qu’avant. Et les explications à ces tapages réels ou supposés ne manquent pas » (Ouest France).

« C’est une conséquence désagréable du confinement : la police enregistre de plus en plus de plaintes pour tapages. Quatorze PV ont été dressés le week-end dernier à Reims, contre trois ou quatre d’habitude » (L’Union).

A Paris : « Une pénurie de civisme : pendant le confinement, les incivilités entre voisins se multiplient, les constats semblent les mêmes lorsqu'ils concernent des secteurs denses » (Europe 1).

Sur BFMTV : « En Ile-de-France, les nuisances sonores ont augmenté depuis le début du confinement »

La région de gendarmerie de Normandie annonce près de 30 à 40 % d’appels en plus sur l’Eure et la Seine-Maritime.

A Narbonne la police constate une augmentation « importante » des différends entre voisins.

Dans l’agglomération de Soissons une trentaine de faits ont été recensés entre le 18 mars et le 9 avril : « La seule différence par rapport à la situation habituelle est que nous intervenons pour des tapages diurnes ; Ce qui arrive normalement très rarement » explique un gendarme.

Le directeur de la police de Toulouse fait état d’une augmentation de 20% des appels au 17 ; un chiffre qui s’explique par « une augmentation importante des interventions pour tapages, différents de voisinage, mais aussi des violences intra-familiales ».

Devant l’ « explosion » des plaintes pour nuisances sonores, le directeur général de l’office public pour l’habitat du Jura déplore une « pénurie de civisme ».

Un sondage adressé aux Services Communaux d'Hygiène et de Santé (SCHS) de France vient compléter le point de vue de ces communications.

Les SCHS ont en charge la gestion des bruits de voisinage ; plutôt situés en zone urbaine les 208 SCHS de France ne couvrent donc pas l'ensemble du territoire, cependant les différents retours obtenus permettent d'éclairer la communication des médias puisque 16 SCHS, concernant un peu plus de 1.8 million d’habitants, ont déjà répondu à ce sondage.

Ce premier retour met bien en évidence une augmentation très sensible des plaintes pour le bruit de voisinage pendant la période de confinement.

En effet 2/3 des réponses font état d’une augmentation des sollicitations ; augmentation d'autant plus sensible que les moyens d'intervention étaient plus limités ou plus complexes à mettre en œuvre compte tenu des protocoles sanitaires.

Il ressort des SCHS que les incivilités, les pratiques de bricolage, les moments festifs, et même les événements courant de la vie de tous les jours (les pas du voisins, le bruit de la chasse d'eau...), dont les émergences pouvaient passer inaperçues ou presque jusque-là, sont rapidement devenues insupportables car trop récurrents, dans un contexte de surcroît d'anxiété exacerbée (cf. La santé mentale des Français face au Covid-19 : prévalences, évolutions et déterminants de l'anxiété au cours des deux premières semaines de confinement - Enquête CoviPrev, 23-25 mars et 30 mars-1er avril 2020).

Le sondage fait également apparaître des sollicitations dues aux installations et équipements techniques, ainsi qu’à des pratiques professionnelles exercées au domicile pendant le confinement. 

Ce bilan à première vue paradoxal ne l'est peut-être pas autant que cela ; la métrologie à bien mis en évidence des baisses considérables des niveaux sonores sur l'espace public, mais cette dernière n'est pas représentative de toutes les situations.

Alors que les Français ont déserté les rues et réduit leurs activités en entreprise, ils ont en retour investi leur logement et ont dû côtoyer pendant deux mois les activités professionnelles et les comportements domestiques de leurs voisins ; alors même que ces derniers étaient bruyants ou plutôt devenus plus audibles par la diminution du bruit de fond et que leur répétition ou leur intrusion rendaient de plus en plus perturbants. 

Pour la période de post-confinement

A Montauban : « Le nombre d’intervention a explosé depuis le début du déconfinement, selon le commissariat de police de Montauban. La police municipale note aussi une forte hausse, comparé à la même période de 2019 » (La Dépêche). 

A Nantes : « Des soirées qui se poursuivent dans la rue ou à domicile, des riverains excédés… Les plaintes pour tapage nocturne sont en forte hausse cet été en Bretagne, comme ailleurs » (Le Télégramme).

A Paris : « Déconfinement : On avait pris goût au calme, certains ont la nostalgie du silence » (Le Parisien).

Le déconfinement n'a donc pas mis fin aux nuisances sonores précédentes, si l’on se réfère là encore aux médias.

Selon les SCHS, le retour à l'activité économique dans un contexte de crise semble aussi marquer une augmentation des plaintes exprimées, notamment sur le bruit des activités.

Un tiers des SCHS ayant répondu au sondage fait bien état d’un accroissement de plaintes et si le nombre pour certains n’a pas augmenté, il ressort pourtant qu’un SCHS sur deux déclare être confronté à des difficultés de mise en conformité après le confinement ; difficultés liées notamment à l’absence de moyens financiers.

Alors que certains secteurs subissent encore les consignes sanitaires, c'est notamment le cas des discothèques, d'autres secteurs tels que les bars et restaurants tentent de reprendre leur exercice et combler le déficit par une activité plus importante.

L'activité des établissements de nuit s’est parfois décalée vers les débits de boisson et les établissements de restauration, non équipés en matériel de gestion du son et n'ayant pas fait l'objet des études d'impact nécessaires, ni de travaux d’isolation spécifiques.

Il est également relevé l’augmentation de bruit à l’extérieur des établissements par suite des extensions de terrasses accordées par les communes sur le domaine public, avec souvent un dépassement de l’heure de fermeture autorisée et des activités perdurant tardivement dans la rue.

Mais sans doute la sortie du confinement et la proximité de la période estivale ont pu inciter certains à un comportement plus expansif.

Les sollicitations et plaintes sont enfin apparues plus complexes à traiter dans un contexte économique tendu, où le redémarrage difficile de l’activité a pu à l’occasion conduire à négliger les impératifs de tranquillité du voisinage.

Enquête de l’AAbV

L’Association Anti-bruit de Voisinage (AAbV)(1) a mené lors du confinement une enquête auprès de 100 familles adhérentes pour en connaître l’effet sur les perturbations sonores qui impactent quotidiennement leur vie (bruits des animaux, des loisirs bruyants, du comportement des personnes y compris les matériels de bricolage, jardinage, pompes à chaleur, etc…). 

Les bruits des transports n’entrant pas dans la catégorie des bruits de voisinage étaient hors enquête ; hors enquête également, les activités professionnelles (dont les établissements recevant du public à titre habituel) qui, bien qu’intégrées dans les « bruits de voisinage », étaient présumées à l’arrêt ou quasiment, il a donc semblé inutile de s’y appesantir ; la diminution drastique de leurs pollutions sonores étant logique, mis à part pour les canons anti-grêle et/ou effaroucheurs d’oiseaux.

Les participants au sondage étaient répartis dans 35 départements : 37% vivant en immeuble, 47% en maisons individuelles et 16% en maisons mitoyennes.

Les pollutions sonores qu’ils subissent habituellement : animaux 16%, installations collectives 5%, matériels divers 13% et 50% pour les bruits de comportements.

Globalement, il a été noté que le contexte n’avait aucune influence sur les résultats ; que l’on vive en lotissement, en centre-ville ou village, en zone péri-urbaine ou à la campagne, la source n°1 des perturbations signalées reste le comportement des voisins, leurs incivilités et leurs matériels bruyants.

Si 50% des sondés ont vivement apprécié moins de bruits que d’habitude :

- 23% en ont subi davantage : leurs voisins étaient présents sur de plus longues plages de temps et souvent plus nombreux que d’habitude, d’où plus d’heures d’écoute de musique et de télévision à niveau fort, d’utilisation des sanitaires répétés et plus tardifs, des jeux bruyants avec des fêtes répétées entre amis et familles, plus de bricolage et plus de jardinage.

- 26% pour lesquels les nuisances étaient identiques, le confinement n’ayant rien changé aux habitudes bruyantes (dont les rodéos et les rassemblements de jeunes), aux bruits des installations collectives, des pompes à chaleur ou de piscine, et aux aboiements.

- 2% des réponses étaient inexploitables.

L’Association AntiBruit de Voisinage (AAbV) note une augmentation de 50 % du nombre de nouvelles adhésions depuis le 12 mai, en observant cependant que pour les nouveaux dossiers les sources de nuisances sonores existaient déjà bien avant le confinement, voire depuis plusieurs années.

Enquête IFOP pour Consolab

Il convient certainement d’ajouter aux différentes enquêtes réalisées, celle effectuée pour Consolab par l’IFOP(2) sur les « conditions de logement des Français confinés », laquelle présente la qualité de ne pas faire appel à des réponses volontaires.

Il est noté en particulier dans cette enquête les taux de réponse des personnes répondant à la question suivante : « Et depuis que vous êtes confinés, vous arrive-t-il de souffrir du bruit de votre voisinage ? » 

- 68 % ne voient pas de différence

- 21 % sont moins gênés qu’auparavant

- 11 % déclarent souffrir davantage

Par comparaison l’étude réalisée par le CidB(3) permet de retenir que 19 % des personnes déclarent avoir ressenti une « gêne liée aux bruits internes à l’habitat (comportements bruyants, musique, bricolage …) » et 14 % pour des bruits extérieurs « jardinage, travaux, jeux d’enfants … » ; le taux atteignant 23 %, bruits internes et extérieurs confondus, suivant l’enquête AAbV.

En conclusion sur la perception des bruits de voisinage

On remarque eu-égard à l’arrêt des activités commerciales que l’augmentation dénoncée du trouble de bruit de voisinage résulte bien pour l’essentiel de comportements domestiques ; étant observé que la poursuite des activités commerciales n’aurait pas manqué d’amplifier encore le taux de gêne en raison de l’abaissement du bruit de trafic.

Il est ainsi retenu que l’abaissement du bruit de fond par suite de la réduction du trafic et de la cessation de la majeure partie des activités commerciales bruyantes (bars, restaurants…) a favorisé, certes l’émergence de bruits de la nature, comme le chant des oiseaux ou le bruissement des feuilles des arbres, mais également l’émergence de bruits particuliers auparavant masqués et ainsi mis en évidence.

Il apparaît à la suite de ces enquêtes que l’audibilité d’une source de bruit tient pour la population davantage de son émergence, c’est-à-dire de son dépassement par rapport au bruit de fond, que de son niveau intrinsèque, avec ainsi la mise en évidence de l’accentuation de l’audibilité des bruits de voisinage lorsque le bruit de fond se trouve réduit dans les logements.

L’expérience en matière d’instruction judiciaire vient confirmer que les demandes en matière de bruit de voisinage visent d’une manière privilégiée les habitants d’appartements où le bruit de fond est faible, à la fois par la situation de ces derniers en site calme mais également par la qualité du calfeutrement des fenêtres, le cas échéant nouvellement installées.

Il est ainsi proposé de considérer que toute action de réduction du bruit extérieur (trafic routier ou aérien, activités professionnelles et sportives…) puisse nécessairement se trouver accompagnée de son corollaire en termes de traitement du bruit de voisinage.

Les résultats des différentes enquêtes conduisent en conséquence à observer que la période de confinement a sensibilisé davantage les Français à leur environnement sonore et en particulier à celui des bruits de voisinage, en l’occurrence celui résultant du comportement ; avec pour effet une demande d’action des pouvoirs publics pour la sensibilisation et l’éducation de la population.

Les répondants aux questionnaires insistent en effet sur l’origine comportementale des bruits résultant d’un manque de civisme et de respect d’autrui.

Il est rappelé à cet égard la hiérarchisation des bruits de voisinage mise en évidence après le confinement par l’enquête du CidB : « La gêne est centrée sur les comportements des voisins (62%) puis les bars, restaurants et terrasses (14%), la musique (8%), le bricolage et les commerces (5%) », susceptible d’être rapprochée des résultats nationaux obtenus hors confinement par l’association AAbV : « Bruits d’immeubles : 34,31%, Pompes à chaleurs, climatiseurs et autres matériels : 24,32%, Bars et restaurants (dont terrasses) : 14,6%, Cris d’animaux : 10,1%, Sports et loisirs : 7,44%, artisans et commerçants : 4,99%, Industries et chantiers : 4,23% »

Les répondants aux questionnaires retiennent encore pour une majorité un défaut d’application de la réglementation au motif de l’insuffisance de contrôles et de l’absence de verbalisations.

Il est noté qu’un des répondant à l’enquête du CidB sollicite d’« appliquer complètement et de façon permanente la loi de 1992 contre les nuisances sonores liées au voisinage » (tandis que ladite loi exclut les bruits de comportement) ou un autre de « moderniser la loi sur des seuils sonores acceptables » (tandis que les bruits domestiques n’y sont pas soumis) ; rendant ainsi compte, au-delà d’un manque d’application, d’une insuffisance de connaissance du cadre réglementaire et de la nécessité d’une adaptation (notamment pour la règle d’émergence) associée à une meilleure communication.

Il appert ainsi que les périodes successives de confinement et de déconfinement confirment l’insuffisance de prise en compte de la question du bruit de voisinage par les pouvoirs publics, trop souvent reléguée sous les prétextes inacceptables de normalité des bruits occasionnés et de la sensibilité excessive des riverains, accusés d’intolérance tandis que des précautions pourraient être adoptées et le dispositif réglementaire fondé sur ce principe (comme il en est des chantiers de travaux).

Il ne manque pas enfin d’être relevé la difficulté devant laquelle se trouvent placés les maires entre l’exigence de tranquillité publique, dont ils ont la charge, et l’impératif économique nécessaire à la vie de la commune, conduisant à une forme de laissez-faire administratif ; avec dans le cadre des actions de médiation entre riverains et activités des engagements trop rarement satisfaits pour pouvoir prétendre à une ville à visage humain.

Claude Garcia et Thierry Mignot - référents "bruit de voisinage" au Conseil National du Bruit - 09/20

(1) https://aabv.fr/ - (2) https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/04/Infographie_Ifop_Consolab.pdf - (3) https://www.bruit.fr/images/pdf/Synthese-Enquete-Cidb-JUILL2020.pdf