mardi 5 janvier 2021

LA VERBALISATION DU BRUIT DE VOISINAGE EN QUESTION

(À PROPOS DE LA DEFINITION DES ESPACES CALMES ET DES MOMENTS APAISES DU P.N.S.E.4 AINSI QUE D’UN ENVIRONNEMENT SONORE SAIN SUIVANT LA LOI L.O.M.)

0.  en introduction 
1.  un peu d'histoire 
2.  le désengagement de l'état 
3.  l'évolution réglementaire 
4.  la jurisprudence de la cour de cassation 
5.  la relativité du critère d’émergence
6.  le constat auditif 
7.  des propositions  

0.  EN INTRODUCTION

Le 4ème plan national Santé-Environnement (P.N.S.E.4) proposant en Partie 3 : « Améliorer la tranquillité sonore des citoyens » (dans le cadre de l’ « Action 14 : Agir pour réduire l’exposition au bruit ») d’établir à l’intention des collectivités locales des labels « espaces calmes » et « moments apaisés » et plus généralement la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, dite d'orientation des mobilités (L.O.M.), fixant à l’article 93 la reconnaissance du droit de chacun de vivre dans « un environnement sonore sain » (rappel de l’article 1 de la loi du 1er mars 2005 : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »), il est bien noté la question posée au Conseil national du bruit sur l’ambiance sonore attendue de telles initiatives, lesquelles ne peuvent certainement exclure la protection du voisinage contre le bruit dans un lieu public ou privé (suivant le C.S.P.).

En guise d’accompagnement à la réflexion, il est proposé de retenir que la reconnaissance de telles ambiances ne devrait se trouver départie des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé suggérant que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », ni certainement déroger à l’exigence de tranquillité telle que prescrite par les Codes de la Santé publique et de l’Environnement.

Sans doute est-il encore permis en référence aux recommandations de l’O.M.S. de rappeler la définition suivante apportée à la gêne : « Une sensation de désagrément, de déplaisir, provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu ou le groupe reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter la santé ». 

Des espaces calmes ou sains et des instants d’ apaisement au sens particulier de l’ amélioration de la tranquillité sonore de voisinage, supposent donc au minimum que la réglementation y soit respectée et sans doute la perspective de l’ « usage de sonomètres d’utilisation simplifiée », également proposée par le P.N.S.E.4, ou encore le constat de « conformité sonore » élaboré par la Chambre nationale des commissaires de justice (section huissiers), constituent-ils l’occasion de faire le point sur les référentiels de verbalisation du bruit de voisinage en vigueur et en préalable sur leurs domaines d’application.

Il convient de retenir pour l’essentiel du débat sur la question du critère d’infraction la réserve techniciste apportée au constat auditif, au motif que la mesure acoustique serait seule de nature à objectiver la faute.

Un telle opinion ne reflète cependant pas le sens de l’évolution réglementaire et surtout celle de la jurisprudence de la Cour de cassation, susceptibles de résulter de différentes contraintes, comme le désengagement de l’État vis-à-vis des collectivités et la nécessité correspondante d’une simplification de la verbalisation, l’absence de fiabilité du critère d’émergence réglementaire, la complexité croissante du protocole de mesurage et pour l’essentiel l’insuffisance de représentativité de la quantité de bruit dans l’appréciation de la répréhensibilité (ainsi bien sûr que dans le processus du trouble lequel ne manque pas d’engager au-delà de la quantité de décibels une relation à la signification du bruit).


1. UN PEU D’HISTOIRE

La prise en compte du bruit dans les critères d’incommodité des établissements industriels figure déjà dans le décret du 7 mai 1878, donc bien avant la création du sonomètre portable dans les années 1960, devenue possible grâce au développement du transistor, avec en particulier la mise sur le marché du célèbre type 2203 de la marque danoise BRUEL & KJAER.

La première disposition sur le bruit de voisinage imposant la mesure acoustique ayant été introduite par la circulaire n° 3055 du 21 juin 1976 relative aux installations classées, il faut alors accepter l’idée que les agents de l’administration ont pendant près de cent ans dressé des procès-verbaux avec leurs seules oreilles pour instrument de mesure.

Mais après tout n’est-ce pas ainsi que l’infraction se trouve établie depuis l’antiquité et sans doute encore avant, en référence à des indicateurs factuels communément appréhendables, puisque des règles de voisinage sonore existaient déjà à Sybaris et à Rome ; lesquelles visaient en particulier à repousser les activités bruyantes en périphérie de la ville ?

La verbalisation à l’oreille pour excès de bruit introduite par le décret du 18 avril 1995 à l’égard des bruits des particuliers et des activités domestiques ne constitue donc pas une innovation, mais plutôt un retour aux usages, si ce n’est au bon sens.


2.  LE DESENGAGEMENT DE L’ETAT

La loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 relative aux transferts de compétences aux collectivités précise en matière d'aide sociale et de santé que les règles générales d'hygiène et toutes autres mesures propres à préserver la santé de l'homme sont désormais fixées par décrets.

Ainsi, tandis que le principe du transfert local aurait été l’occasion d’asseoir dans un dispositif réglementaire décentralisé des traditions ou coutumes sonores locales (cf. proposition de loi sur le « patrimoine sonore » (1)) les articles des règlements sanitaires départementaux, pour autant déjà uniformisés (dont le titre V pour le bruit), ont été abrogés au fur et à mesure de la publication des décrets et en particulier celui du 5 mai 1988, introduisant la mesure acoustique dans le Code de la santé publique.

(1) http://www.thierrymignot.com/search/label/trouble%20anormal%20de%20voisinage

Dans ce cadre du transfert des compétences le pouvoir de police du bruit a été conféré aux maires par l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales en leur attribuant :

« Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous les actes de nature à compromettre la tranquillité publique ».

On rappelle que les transferts de compétences aux collectivités étaient assurés d’être accompagnés d'une compensation financière (principe repris dans la Constitution) par un complément de ressources fiscales ou par la mise à disposition de services de l'Etat nécessaires à l'exercice des compétences transférées.

C’est bien ainsi que la circulaire du 27 février 1996 confirmait une telle assistance :

« Cette circulaire doit souligner l’importance que l’Etat attache à ce que les maires exercent pleinement leurs compétences dans ce domaine afin que ce type de plaintes ne remonte plus au niveau du département, et encore moins au niveau ministériel comme c’est actuellement le cas. Toutefois, pour tous les bruits liés à une activité, qu’elle soit professionnelle, culturelle, sportive ou de loisir, les communes qui ne disposent pas de personnel habilité et de matériel homologué peuvent faire appel à vos services pour effectuer les mesures acoustiques obligatoires ».

en précisant encore :

« Le ministère de l’environnement subventionne depuis de nombreuses années les communes qui veulent s’équiper en matériel sonométrique. La subvention accordée est généralement comprise entre 20 et 50 % ».

En fait, à défaut de disposer de sonomètres et d’agents assermentés formés à l’usage, les maires avaient ainsi pris l’habitude de faire appel aux Agences régionales de santé (A.R.S.) mais force est de constater que ces dernières se sont dégagées progressivement de cette assistance ; en particulier à la suite d’une instruction du Ministère de la Santé du 26 octobre 2011.

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (I.G.A.S.) de décembre 2011 n’a pas manqué d’attirer l’attention sur le risque d’un tel désengagement à l’égard des petites communes.

De la sorte il n’est pas étonnant qu’une A.R.S. puisse aujourd’hui, en réponse à une demande d’assistance, recommander à un plaignant de s’adresser plutôt à la justice : « dans l’hypothèse où aucune action ne serait menée pour réduire ces nuisances, vous pouvez également vous tourner vers la juridiction civile ».

La situation actuelle permet de retenir que l’avis de l’I.G.A.S. est resté sans effet et que l’article 72-2 de la Constitution suivant lequel : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » n’est pas respecté ; avec pour conséquence une réelle impunité du bruit de voisinage dans la majeure partie des communes françaises non pourvues de services d’hygiène et de santé, du moins affectés à l’exercice de la police correspondante.

On rappelle à cet égard suivant le rapport IGAS n°RM2009-031/IGA n°09-15-01/CGEDD n°005981-01 que l’activité des S.C.H.S. couvre 23 % de la population française et que seulement 81 % de ces derniers effectuent des contrôles de bruit ; soit un défaut de couverture réglementaire affectant environ 80 % de la population.

Une telle impunité ne manque donc pas d’interroger sur la pertinence du critère d’émergence sonométrique dès lors que le moyen de contrôler ce dernier n’est plus assuré que sur une partie réduite du territoire ; du moins si l’on veut bien encore considérer que le matériel sonométrique des S.C.H.S. concernés est conforme au dispositif officiel de contrôle périodique.


3.  L’EVOLUTION REGLEMENTAIRE

On rappelle qu’en application de la loi du 6 janvier 1986 sur le transfert de compétences l’article L.1 du Code de la santé publique a été modifié par le décret n° 88-523 du 5 mai 1988 fixant les règles propres à préserver la santé de l'homme contre les bruits de voisinage.

Le décret de 1988 stipulait en particulier :

« Art. 2. - Sauf en ce qui concerne les chantiers de travaux publics et privés et des travaux intéressant les bâtiments et leurs équipements, sera punie de l'amende prévue pour les contraventions de 3e classe toute personne qui, dans un lieu public ou privé, aura été à l'origine d'un bruit particulier dont l'émergence perçue par autrui est supérieure aux valeurs limites admissibles définies à l'article 3 et qui :
1° Soit n'aura pas respecté les conditions d'utilisation de matériels et équipements ou les conditions d'exercice d'une activité fixées par les autorités compétentes 
2° Soit aura négligé délibérément de prendre les précautions appropriées ;
3° Soit aura fait preuve d'un comportement anormalement bruyant, ou n'aura pas mis obstacle à un comportement de même nature des personnes ou animaux placés sous sa responsabilité ».

Il est ainsi observé d’une part que la limite d’émergence de bruit fixée par le Code de la santé publique visait alors « toute personne », quelle que soit l’activité (et le statut de la personne), et d’autre part que le dépassement de cette limite ne donnait lieu à infraction qu’en cas de constat associé du non-respect de conditions réglementaires d’utilisation, d’un défaut de précaution ou d’un comportement excessif ; autrement dit le critère de l’émergence ne se trouvait alors pas un motif suffisant pour permettre de verbaliser.

Par la suite le Code de la santé publique a été modifié en application de la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 sur le bruit, laquelle fixe la disposition suivante :

« Art. 6. - Sans préjudice des autres dispositions législatives et réglementaires applicables, les activités bruyantes, exercées dans les entreprises, les établissements, centres d'activités ou installations publiques ou privées établis à titre permanent ou temporaire et ne figurant pas à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, peuvent être soumises à prescriptions générales ou, lorsqu'elles sont susceptibles, par le bruit qu'elles provoquent, de présenter les dangers ou de causer les troubles mentionnés à l'article 1er, à autorisation ».

On remarque que la loi de 1992 ne vise strictement que les activités et plus particulièrement les activités dites bruyantes (du moins celles qui ne sont pas réglementées par ailleurs), à l’exclusion donc des bruits d’origine domestique ou des particuliers.

Le décret n° 95-408 du 18 avril 1995 pris en application de la loi de 1992 a contribué à une simplification notable du contrôle de l’infraction en limitant strictement le critère d’émergence sonométrique aux « activités professionnelles, culturelles, sportives ou de loisir » et en écartant pour ces dernières les critères associés de non-respect des conditions d’utilisation autorisées, de défaut de précaution ou de comportement excessif.

De la sorte a été réintroduite dans le droit la possibilité de verbaliser à l’oreille, suivant des critères descriptifs non calibrés mais nécessairement factuels, toute manifestation sonore de voisinage étrangère aux activités professionnelles et autres suivant le dispositif général suivant :

« R. 48-2. - Sauf en ce qui concerne les chantiers de travaux publics et privés et les travaux intéressant les bâtiments et leurs équipements soumis à une procédure de déclaration ou d'autorisation, sera punie de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe toute personne qui, dans un lieu public ou privé, aura été à l'origine par elle-même ou par l'intermédiaire d'une personne d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité, d'un bruit particulier de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme par sa durée, sa répétition ou son intensité. »

Par la suite la circulaire du 27 février 1996, élaborée par les services des ministres de l’Environnement ainsi que du Travail et des affaires sociales, a explicité les dispositions du décret de 1995, en procédant cependant à différentes simplifications de langage, déterminantes dans l’interprétation réglementaire, en particulier pour deux points particuliers :

1.  L’assimilation de l’ensemble des bruits hors activités visées à des bruits de « comportement » :

« Bruits de voisinage liés au comportement et constatés sans mesure acoustique : L’article R. 48-2 du code de la santé publique caractérise les éléments constitutifs de l’infraction. Tout bruit de voisinage lié au comportement d’une personne ou d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité pourra être constaté et sanctionné, sans qu’il soit besoin de procéder à des mesures acoustiques, dès lors que le bruit engendré est de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage par l’une des caractéristiques suivantes : la durée, la répétition ou l’intensité. »

2.  La considération de ce que les activités visées sont celles normalement « peu bruyantes ».

« Sont concernées par la seule condition de dépassement de l’émergence les activités habituelles dont le fonctionnement normal est peu bruyant ou qui ne font l’objet d’aucune prescription particulière de fonctionnement en matière de bruit telles que :
- les activités du secteur tertiaire ;
- les manifestations culturelles et de loisirs, concerts, cinémas, théâtres, expositions ;
- les compétitions sportives pédestres, à vélo, à voile ;
- les petits commerces et les ateliers artisanaux ou industriels utilisant du matériel normalement peu bruyant, etc. »

Il s’agit bien en effet d’interprétation, puisque d’une part la loi vise sans restriction toutes les « activités bruyantes » (non réglementées par ailleurs), c’est-à-dire non seulement celles qui sont normalement « peu bruyantes », et d’autre part que rien ne permet de retenir à la lecture du Code de la santé publique que les « bruits particuliers » n’émanant pas d’activités (et ne nécessitant donc pas de mesure acoustique) seraient réductibles aux seuls bruits liés à la « manière d’être, d’agir ou de réagir » selon la définition du comportement par le dictionnaire Larousse.

Pourtant la circulaire du 27 février 1996 inclut bien dans la liste des bruits de comportement des bruits qui précisément échappent à la définition du comportement, tels les bruits d’appareils ou d’équipements suivants :

« … - des appareils de diffusion du son et de la musique ;
        - des outils de bricolage, de jardinage ;
        - des appareils électroménagers ;
   … - de certains équipements fixes : ventilateurs, climatiseurs,
          pompes à chaleur, non liés à une activité fixée à l’article R. 48-3
          du code de la santé publique, etc.
»

Une telle réduction est reprise sur le site officiel de l’administration française « Service-Public.fr », pour lequel les troubles de bruit de voisinage se trouvent partagés d’une part entre les bruits de comportement et d’autre part les bruits d’activités ; en omettant ainsi de considérer que les bruits d’activité professionnelle peuvent aussi résulter de comportements, tout comme les bruits dits de comportement provenir autant de bruits d’équipements non professionnels (et donc verbalisables à l’oreille).

On remarque que le site officiel de l’administration procède encore par amalgame en confondant le « trouble anormal » avec le « trouble sanctionnable », tandis que le fondement de droit du premier est autonome du second ; toutefois il devient permis de se demander si une telle confusion ne devient pas inéluctable lorsque l’incongruité sociale ou culturelle d’un bruit l’emporte finalement dans la considération de la répréhensibilité.

Mais le plus remarquable de la part de ce site officiel de l’administration française consiste sans doute en la reconnaissance explicite de l’impunité du bruit de voisinage par le conseil suivant donné aux plaignants :

« Les bruits d’activité (bruit de chantier, à l’activité d’un karaoké ou d’un bar) peuvent être sanctionnés dès lors qu’ils troublent de manière anormale le voisinage. Pour cela, il est nécessaire de faire une démarche amiable. Si les troubles persistent malgré cette démarche, un recours devant le juge est envisageable. »

Il convient dès lors de considérer qu’après avoir transféré la police du bruit au maire et reconnu l’inefficience d’un tel transfert, l’État recommande désormais aux plaignants de recourir à la justice après une tentative amiable infructueuse, plutôt que d’en référer à qui de droit.

Deux décrets modifiant le Code de la santé publique sont intervenus à la suite de celui du 18 avril 1995, d’abord le décret n° 2006-1099 du 31 août 2006, instaurant le critère d’émergence par bandes de fréquence à l’égard des habitations puis le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 réformant la numérotation des articles concernés du Code pour introduire les lieux musicaux.


4.  LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION

On rappelle que la Chambre criminelle de la Cour de cassation est compétente en matière pénale, à savoir pour les crimes, les délits et les contraventions.

Cette chambre, qui peut prononcer la cassation et l’annulation des décisions de justice qui ont été rendues en méconnaissance de la loi ou à l’inverse rejeter le pourvoi rendant ainsi définitive la décision attaquée, se trouve garante des règles de droit pour ce qui concerne les dispositions réglementaires et donc en particulier celles concernant le bruit. 

Deux décisions de la Chambre criminelle se révèlent pour le moins instructives dans l’interprétation et par la suite dans l’application des dispositions du Code de la santé publique concernant d’une part l’aspect du comportement et d’autre part la désignation des activités concernées.

1. La décision du 8 mars 2016 (2) contribue à distinguer dans le cadre d’une activité professionnelle les bruits imputables au comportement :

« Vu les articles R.1337-7 et R.1334-31 (devenu R.1336-5) du code de la santé publique ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes qu’est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux résultant d’une activité professionnelle, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme ; que, selon le second de ces textes, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne,  d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ; 

Attendu que, pour relaxer la société Nalou, le jugement attaqué retient que la prévenue, exploitante d’un restaurant à Saint-Tropez, est poursuivie sur le fondement des articles R. 1337-10, R. 1334-31 (devenu R.1336-5) et R. 1334-32 (devenu R.1336-6) du code de la santé publique, que l’article R. 1334-31 (devenu R.1336-5) n’est pas applicable aux établissements exerçant une activité professionnelle, que l’article R. 1334-32 (devenu R.1336-6) du même code dispose que l’atteinte à la tranquillité du voisinage est caractérisée si le bruit est supérieur à certaines valeurs, et qu’aucune mesure acoustique n’a été effectuée ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la prévenue était poursuivie pour un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix constituant non pas des bruits d’activités, mais des bruits de comportement relevant de l’article R. 1337-7 du code de la santé publique visé à la prévention, et ne nécessitant pas la réalisation de mesure acoustique, la juridiction de proximité a méconnu les textes susvisés ;

D’où il suit que la cassation est encourue. »

Il convient ainsi de retenir que le jugement relaxant l’exploitant d’un restaurant sous le prétexte de l’absence de mesure acoustique prévue par l’article R. 1334-32 (devenu R.1336-6) du Code de la santé publique pour les établissements exerçant une activité professionnelle a été cassé au motif que des bruits de musique, rires et éclats de voix constituent en fait des bruits de comportement relevant des articles R. 1337-7 et R. 1334-31 (devenu R.1336-5) du même code qui n’imposent pas une telle mesure.

(2) N° de pourvoi : 15-83503 ECLI : FR : CCASS : 2016 : CR00394
Publication : Bulletin criminel 2016, n° 67 ; Bull. 2016 n° 846, n° 1015 
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032193694/

2.  La décision du 14 janvier 2020 (3) contribue pour sa part à écarter des activités visées dans le Code de la santé publique celles dont la vocation n'est pas de créer des nuisances sonores :

« 9. Pour déclarer la prévenue coupable de la contravention d'émission de bruit portant atteinte à la tranquillité du voisinage et la condamner au paiement d'une amende de 200 euros, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de l'article R. 1337-7 du code de la santé publique qu'est puni d'une peine d'amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d'être à l'origine d'un bruit particulier autre que ceux résultant d'une activité professionnelle, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage. »

« 10. Les juges ajoutent que l'établissement à l'enseigne "le Nikki Beach" exploite un restaurant de type traditionnel, que son exploitation ne constitue donc pas "une activité professionnelle ou une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle et dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes" au sens de l'article R.1337-6 improprement invoqué en défense et qu'il n'entre pas plus, de par son objet social strictement entendu, dans la catégorie visée par la circulaire interministérielle du 23 décembre 2011 visant "les établissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée". »

« 12. En l'état de ces énonciations, relevant de son appréciation souveraine, et dès lors que les bruits de comportement relevant des articles R. 1337-7 et R. 1334-31(devenu R.1336-5) du code de la santé publique, n'imposent pas une mesure du son, la cour a justifié sa décision. »

« 13. Les griefs ne peuvent qu'être écartés. 

PAR CES MOTIFS, la Cour, REJETTE le pourvoi »

(3) N° de pourvoi : n° 19-82.085 ECLI : FR : CCASS : 2020 : CR02873
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041490361

La Cour de cassation retient ainsi que les dispositions de l’article R.1336-6 (ex R.1334-32) visent en fait les activités ayant vocation à faire du bruit, ce qui n’est donc pas le cas d’un restaurant traditionnel, lequel doit en conséquence relever du régime comportemental non soumis à la mesure.

Il parait difficile de ne pas voir transparaître effectivement dans ces deux décisions la notion civile de trouble anormal de voisinage comme fondement de la sanction contraventionnelle, n’exigeant pas alors pour sa constatation le caractère matériel de l’infraction et se trouvant en l’espèce recevable dès lors que le procès-verbal émane d’agents assermentés.

Ces deux décisions de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français en charge d’harmoniser le droit, viennent ici apporter une base juridique solide au constat auditif par rapport aux dispositions générales de l’article R.1336-5 (ex R.1334-31) du Code de la santé publique, facilitant ainsi la police du bruit de la part des agents des collectivités territoriales, à la fois non formés en acoustique et dépourvus de sonomètres.


5.  LA RELATIVITE DU CRITERE D’EMERGENCE

La circulaire du 7 juin 1989 présentant la mesure de bruit comme de nature à assurer « une plus grande objectivité dans la caractérisation des infractions » et « le cas échéant … d’éclairer l’exercice des pouvoirs de police », l’analyse des modalités propres à caractériser l’émergence réglementaire conduit en fait à relativiser de tels propos.

Il convient au premier chef de rappeler que les valeurs d’émergence globales de + 3 dB(A) la nuit et de + 5 dB(A) le jour ont été empruntées par le législateur au 2ème avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la santé publique du 21 Juin 1963, dont l’objet était de caractériser l’audibilité « sensible » ou encore la possibilité d’une perception sensible d’un bruit « sans exiger un effort particulier d’attention » ; permettant ainsi d’attester d’un trouble à l’égard d’un bruit préalablement reconnu comme « perturbateur ».

De ce fait et comme l’exige l’appréciation de l’audibilité, cette émergence se trouvait établie par un relèvement instantané du niveau de bruit, en considérant à juste titre l’effet de surgissement dans la prégnance auditive.

Or en dépit de la conservation des valeurs de + 3 dB(A) et de + 5 dB(A) l’approche réglementaire de l’émergence ne correspond plus du tout à la notion d’audibilité, puisqu’il s’agit cette fois de comparer des doses moyennes de bruit ; comme pratiqué pour l’appréciation médicale de la fatigue auditive ou du risque de traumatisme, en estimant ainsi que l’inconvénient de bruit de voisinage résulterait en quelque sorte d’une charge sonore pendant une durée d’exposition. 

On rappelle que l'émergence est définie suivant l’article R.1336-8 du Code de la santé « par la différence entre le niveau de bruit ambiant comportant le bruit particulier en cause et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels extérieurs et intérieurs ».

L'arrêté du 5 décembre 2006 complète la définition de l’émergence en précisant :

- que « la durée cumulée des intervalles de mesurage du niveau sonore, qui doit comprendre des périodes de présence du bruit particulier et des périodes de présence du bruit résiduel seul, est au moins égale à trente minutes »

- que « le mesurage du niveau de bruit ambiant se fait uniquement sur les périodes de présence du bruit particulier et le mesurage du niveau de bruit résiduel se fait sur toute la durée des intervalles de mesurage en excluant les périodes de présence du bruit particulier »

- que « les périodes d'apparition de bruits exceptionnels ou de bruits additionnels liés à la réalisation des mesurages (aboiements liés à la présence de l'opérateur, conversations, véhicules isolés ou en stationnement proche, etc.) sont exclues de l'intervalle de mesurage ».

De la sorte il convient d’observer :

- d’une part que si la durée minimale du cumul des échantillons de mesure sur les deux périodes de bruit ambiant comportant le bruit particulier et de bruit résiduel doit être d’au moins trente minutes, aucune indication ne se trouve en retour apportée sur la durée minimale propre à chacune des périodes ; laissant ainsi le choix à l’opérateur de privilégier telle période ou telle autre.

- d’autre part que le choix des échantillons de mesure (ou intervalles de mesure) permettant de caractériser les périodes de bruit particulier et de bruit résiduel, mais encore celui des bruits isolés ou proches à exclure du calcul, relèvent tout autant de l’appréciation personnelle de l’opérateur.

Si l’on ajoute encore que le choix de l’instant du constat est de nature à faire varier le calcul de l’émergence par suite des fluctuations du niveau de bruit résiduel suivant les horaires, le jour de la semaine, les périodes de l’année et les conditions météorologiques, on doit donc bien admettre le caractère très relatif des procès-verbaux.

L’aspect aléatoire et subjectif du contrôle réglementaire conduit ainsi à observer que la même source de bruit peut se trouver tantôt conforme tantôt irrégulière suivant l’agent qui intervient ou les circonstances environnementales ; quand ce ne sont pas celles correspondant aux modalités d’apparition de la source incriminée.

En fait l’incohérence majeure du dispositif réglementaire résulte dans l’impossibilité de vérifier l’équivalence, indispensable pour permettre de justifier la pertinence du critère d’infraction, entre la période du bruit résiduel et celle du bruit ambiant dont on aurait retranché le bruit particulier ; en effet les périodes respectives du bruit résiduel et du bruit ambiant comportant le bruit particulier se trouvant décalées dans le temps, il est bien impossible de garantir que les mêmes évènements sonores extérieurs de l’environnement se sont reproduits à l’identique lors de l’enregistrement de chacune.

Cette méthode réglementaire conduit ainsi à ce que des procès-verbaux établis par des établissements publics de l’État fassent état d’émergences négatives entre le bruit particulier et le bruit résiduel, autrement dit attestent de niveaux de bruit plus faibles lorsque la source incriminée se manifeste que lorsque cette dernière se trouve à l’arrêt ; soit une situation évidemment difficile à expliquer à un plaignant.

En l’état du dispositif réglementaire il n’apparaît donc possible d’avoir l’assurance d’une infraction qu’en cas de niveau du bruit particulier significativement plus important que les périodes les plus bruyantes du bruit ambiant hors bruit particulier ; ce qui reste une situation exceptionnelle et en tout cas telle que la démonstration sonométrique ne manque pas alors d’apparaître superflue pour mettre en évidence un excès de bruit.

Il convient encore d’observer que l'arrêté du 5 décembre 2006 fixe de vérifier l’émergence réglementaire en référence aux dispositions du code d’essai décrit dans la norme NF S 31-010 de décembre 1996 qui, à contre-emploi de l’objet visé, ne manque pas d’attirer l’attention sur la relativité de l’indicateur d’émergence réglementaire, si ce n’est même en conteste le principe dans des situations particulières.

Ladite norme rapporte ainsi que « les indicateurs acoustiques sont destinés à fournir une description simplifiée d'une situation sonore complexe », ce qui confirme bien l’approximation sonométrique, en ajoutant que « l'indicateur préférentiel est l'émergence en niveau global pondéré A … évaluée en comparant le niveau de pression acoustique continu équivalent », mais qu’ « en cas d'un bruit d'environnement marqué par une importante dynamique … le Leq ne constitue pas un indicateur suffisant pour l'appréciation des effets du bruit », ou encore qu’ « il peut être nécessaire de s'intéresser à des périodes temporelles bien précises ou bien d'utiliser un descripteur acoustique mieux adapté à la situation : - indices fractiles, - Leq Gauss », pour finalement attirer l’attention sur le fait que « lorsqu'une source de bruit prédomine nettement en niveau et en durée sur l'ensemble des autres sources, le concept d'émergence de niveau n'a plus de sens et ne peut donc plus être utilisé ».

Au-delà de la relativité du calcul de l’émergence par suite des différents choix possibles d’indicateurs ou encore de l’inaptitude de ces derniers, la norme NF S 31-010 attire également l’attention sur le caractère personnel du choix des échantillonnages de mesure laissé à l’initiative de l’opérateur :

« Lors des mesurages, il faut notamment veiller à ce que le bruit résiduel intègre l'ensemble des bruits correspondant à l'occupation normale du lieu considéré ainsi qu'à l'utilisation et au fonctionnement normal des équipements, infrastructures et installations du voisinage.

Ces notions d'occupation, d'utilisation et de fonctionnement normaux ne peuvent à l'évidence être définies de façon précise. Leur évaluation est laissée à l'appréciation de l'opérateur »

Il convient enfin d’observer que la norme NF S 31-010 fixe de multiples clauses à satisfaire pour que le constat soit recevable. On retiendra en particulier la nécessité de vérifier pour une mesure effectuée à l’extérieur « s’il n’y a pas eu de pluies dans les dix derniers jours précédant le mesurage » pour retenir que le sol est sec ou au contraire « s’il est tombé au moins 4 mm à 5 mm d’eau dans les dernières 24 h » pour pouvoir considérer que le sol est humide ; contribuant ainsi à faire du constat d’infraction une sorte d’étude d’impact.

Tout ceci conduit à de multiples incertitudes, une grande subjectivité et des irrégularités rédactionnelles de constat rendant ainsi légitimes et recevables les contestations de procès-verbaux d’infraction devant les tribunaux.


6.  LE CONSTAT AUDITIF

Le constat auditif ou constat à l’oreille est inhérent à l’application générale de l’article R.1336-5 du C.S.P. et concerne suivant la jurisprudence de la Cour de cassation tout bruit relevant d’un comportement ou d’une activité de type traditionnel non bruyante par vocation.

On rappelle que l’infraction se trouve établie dans ce cadre sur le fondement du constat d’un bruit particulier portant atteinte à la tranquillité « par sa durée, sa répétition ou son intensité » dans « un lieu public ou privé ».

Il est certain que ce constat auditif se heurte à la difficulté associée du manque de calibrage du référentiel de durée, de répétition, ou d’intensité ainsi que de l’absence d’une mesure physique (quelle qu’en soit la pertinence ou la validité) comme prétexte d’objectivation.

Le groupe « bruit de voisinage » du Conseil national du bruit a précisément élaboré en 2018 dans l’intention de faciliter l’instruction des plaintes par les agents des collectivités territoriales un fascicule intitulé : « Guide de constat d’infraction sans mesurage des bruits de voisinage » (4) afin de présenter différents repères factuels de verbalisation.

(4) https://www.bruit.fr/images/stories/pdf/cnb-guide-constat-bruits-voisinage.pdf

Par analogie avec l’instruction du trouble anormal de voisinage dans le cadre judiciaire ce guide propose à l’agent verbalisateur d’étayer son procès-verbal sur des critères d’exposition sonore et de contexte environnemental ou comportemental :

- Critère d'exposition

Le bruit incriminé est significatif lorsque son intensité le rend perceptible sans effort particulier d'attention depuis le lieu du voisinage et lorsqu'il est de nature à durer ou à se répéter, que ce bruit se propage par l'air ou par les structures des bâtiments.

- Critère de contexte

Le bruit incriminé est anormal lorsqu'il déroge aux exigences de tranquillité d'un lieu habité ou lorsqu'il provient d'une insuffisance manifeste d'isolation ou de protection acoustique, ou encore lorsqu'il est causé sans nécessité ou résulte d'un manque de précaution.

L'infraction est constituée lorsque le critère d'exposition au bruit se trouve renforcé par le critère de contexte.

Différentes recommandations sont apportées dans ce guide au titre de l’aide à l’objectivation :

Le constat, fondé principalement sur l'appréciation auditive et complété par l'observation visuelle ainsi que sur l'analyse de la situation, vise à recueillir des éléments de fait objectifs.

Afin de garantir la représentativité de l'observation et dans le but d'éviter que l'auteur du bruit ne se trouve soupçonné de modifier son comportement ou l'utilisation d'appareils, le constat est réalisé unilatéralement et en toute discrétion après qu'il a été convenu en concertation avec le plaignant des jours et horaires appropriés.

Le choix de la date du constat doit tenir compte des événements particuliers du calendrier et il convient d'éviter les situations météorologiques défavorables à l'audibilité du bruit incriminé (pluie, vent).

Les constatations sont effectuées chez le plaignant, dans des conditions d'occupation et de vie domestique habituelles eu-égard à la nature des lieux.

Le constat doit conduire à l'identification de la source de bruit à l'origine de la plainte, en décrivant la nature particulière du bruit incriminé et ce qui permet de le distinguer des autres sources de l'environnement, ainsi que sa provenance.

Un tel guide, qui a déjà reçu un accueil favorable, reste certainement à compléter, notamment au moyen d’indicateurs factuels d’incongruité sonore, comme il en existe sur le plan visuel dans les documents d’urbanisme, et à diffuser plus largement dans le cadre d’une formation itinérante et /ou dématérialisée à développer plus avant par le CidB (Centre d’information sur le bruit) en référence à la formation existante sur le constat de bruit de voisinage (5).

(5) https://www.bruit.fr/le-cidb/nos-formations/


7.  DES PROPOSITIONS 

Il faut bien admettre que vouloir fixer une limite d’émergence de bruit de voisinage c’est certes tenter de limiter l’inconvénient mais c’est aussi instaurer le droit de nuire (pour des valeurs inférieures) ; on rappelle à cet égard la pertinence civile de la théorie prétorienne du trouble anormal de voisinage (6) permettant de retenir la responsabilité d’un bruiteur en dépit de la conformité réglementaire du bruit (régime de la responsabilité sans faute).

 (6) https://www.thierrymignot.com/search/label/trouble%20anormal%20de%20voisinage

En fait, ce dont on peut souffrir pour ce type d’exposition sonore de voisinage ce n’est pas du bruit mais de bruits. C’est bien ainsi que la loi de 92 cible les bruits émis « sans nécessité ou par défaut de précaution » et que la circulaire du 27 février 1996 retient au titre de l’origine du trouble les bruits « inutiles, désinvoltes ou agressifs », avec pour motivation de l’infraction la négligence ou le défaut de précaution, autrement dit le fait de ne pas tenir compte de son voisinage.

Dans ce cadre la mesure sonométrique dite objective n’est certainement pas pertinente, puisque le trouble ne résulte pas de la quantité de bruit mais de la signification du bruit ; signification qui dépend certes de l’appréhension personnelle de la source du bruit mais prend en retour un caractère collectif lorsque la négligence ou le défaut de précaution relèvent d’incivisme.

On comprend dès lors l’évolution réglementaire et jurisprudentielle visant à objectiver l’infraction à travers une approche comportementale, qui dépasse en fait l’aspect du geste pour viser l’attitude sociale du bruiteur. 

Sans doute le trouble de fait, à savoir « une action commise sans droit par une ou plusieurs personnes qui empêchent une autre d'user de la chose dont elle est propriétaire, détenteur ou possesseur » (7) doit ainsi constituer le premier repère d’infraction (dans les limites imposées par les exigences de la collectivité et en fonction des contextes culturel, sociologique, technique et économique).

(7) Dictionnaire de droit privé par Serge Braudo, Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles

Il est ainsi proposé que le contrôle sonométrique puisse se trouver réservé aux situations de récidive, avec des modalités opératoires ne relevant plus d’une étude d’impact mais du principe du constat, visant à établir un état de fait au strict moment de l’intervention, en ne recherchant à établir ni la répétitivité ni la reproductibilité possibles dudit constat.

Au titre de la simplification envisagée par le P.N.S.E.4, il pourrait encore être proposé de circonscrire le constat à la mise en évidence de l’audibilité du bruit reconnu comme perturbateur, dans des formes comparables aux dispositions du 2ème avis de la Commission d’étude du bruit (actualisées à la mesure numérique).

A cet égard la comparaison entre un échantillon sonore prélevé à l’instant même de l’apparition du bruit incriminé (fortuite ou reproduite) et la valeur du bruit de fond (indice L90) évaluée sur une durée de quelques minutes pourrait se trouver renseignée au moyen d’un « indicateur d’émergence » témoignant du dépassement du seuil limite par un voyant lumineux.

Il est noté qu’un tel appareil ne venant qu’en appui (à titre accessoire) du constat des faits délictueux ne devrait pas être assimilé à un instrument de mesure.

On remarque que les cahiers des charges établis par différents bureaux d’études acoustiques dans le cadre de projets de construction ou d’aménagement intègrent les dispositions du 2ème avis de la Commission d’étude du bruit au titre de référentiel récurrent d’appréciation du trouble anormal de voisinage par les juges civils ; ce qui, en prenant la précaution lors des études préliminaires d’évaluer le bruit de fond dans les situations critiques prévisibles, est de nature à assurer la cohérence d’un engagement contractuel dans le cadre de marchés de travaux avec le critère d’audibilité dudit avis.

Il est proposé de retenir qu’une telle procédure de verbalisation reprenant les critères de l’avis de la Commission d’étude du bruit présenterait l’avantage de rapprocher les obligations civiles et pénales.

À la différence du critère d’infraction visant ainsi principalement l’action et l’attitude sociale, la labellisation proposée par le P.N.S.E.4 devrait concerner plutôt la qualité de l’environnement sonore en retenant pour critère d’ambiance calme ou apaisée des espaces urbains privilégiés, où les sources de bruit incongrues s’estompent pour laisser place, sans nécessité de tendre l’oreille, à celles attendues ou implicites. 

De la sorte différents indicateurs qualitatifs pourraient participer à la définition des espaces calmes et des moments apaisés, tels les suivants : 

- des lieux où il est permis d’entendre les sources environnantes proches sans qu’il ne soit nécessaire de tendre l’oreille (rapport signal/bruit correspondant au paysage sonore hi-fi de R. Murray SCHAFER (8))
- des lieux où n’émergent que des sources implicites, si ce n’est attendues, du contexte paysager
- des lieux sonifères (8) au moyen de sources sonores naturelles, telles que fontaines et jets d’eaux, arbres à oiseaux, feuillages à bruissement … (contribuant à isoler par effet de masquage)
- des lieux disposant d’aménagements et de mobiliers insonores permettant de cloisonner acoustiquement les espaces (bancs avec dossier et capote absorbants, écrans ponctuels …)
- des lieux responsables, où le civisme sonore se trouve explicitement convoqué (panneaux éducatifs …)

(8) Le Paysage sonore – R. Murray SCHAFER – Ed. JCLattès 1979

Qu’il soit alors permis de revendiquer au-delà de la seule quantité de décibels une maîtrise de l’environnement sonore à la fois qualitative et responsabilisée, donnant toute sa place à la lecture symbolique des bruits environnants, en particulier telle que le voisinage se trouve non seulement entendu, mais perçu.