La question de la sanité acoustique des bâtiments se trouvant essentiellement relative à la protection de l’homme contre les bruits, son approche nécessite au préalable de s’interroger sur l'effet des différents impacts sonores, mais surtout sur la notion de trouble.
1. Santé et bruit
Les atteintes du bruit se trouvant souvent réservées au seul domaine médical, la définition de la santé par l’O.M.S. mérite à juste titre d’être rappelée :
"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité."
Concernant plus particulièrement le trouble de bruit, l’O.M.S. définit ainsi la gêne :
"une sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé"
C’est pourquoi le Code de la Santé publique ne manque pas à l'article R.1336-5 d’associer santé et tranquillité :
"Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme… "
Il convient ainsi de retenir que la question de la sanité acoustique concerne les multiples domaines d’intervention au moyen desquels il est permis d’influer sur les perceptions sonores et leur interprétation.
Alors sans doute la conception architecturale ne se trouve pas en reste à travers le découpage des volumes, la distribution des activités, la création des ambiances et pour beaucoup la représentation spatiale.
2. Effets du bruit sur l'homme
Les effets du bruit sur l'homme sont de différentes natures :
- à niveau élevé le bruit provoque des lésions sur les cellules ciliées de l'oreille interne ; cellules dont l'objet est de transformer l'onde sonore en influx nerveux.
Les sources de bruit à l’origine de cette pathologie sont plutôt industrielles (ateliers de tôlerie, de chaudronnerie, d’embouteillage, de menuiserie…) ou musicales (concerts, discothèques, port du casque…).
- à niveau moyen un bruit ambiant, plus ou moins permanent, peut perturber l’écoute et obliger à forcer l'attention ; ceci contribue à une fatigue et un effet de stress pour défaut de communication et perte de repère.
On rappelle à cet égard que l’ouïe est le sens de la vigilance ; le seul sens susceptible de repérer à distance, dans toutes les directions, de jour comme de nuit, un danger éloigné ou dissimulé.
C’est ce qui explique que les oreilles sont dépourvues d'opercules, qu’on tourne la tête lorsqu’un bruit particulier surgit et qu'on continue à entendre durant le sommeil.
Cette veille instinctive, afin de maintenir le contrôle sécure de son environnement, ne manque pas de se trouver contrariée par effet de masque dans les ambiances bruyantes professionnelles et scolaires, ou encore au domicile en cas d’exposition à un bruit de trafic routier.
- à bas niveau un bruit est susceptible d’agacer ou d’irriter suivant l’appréhension personnelle du message sonore ; il s’agit alors d’une réaction purement subjective.
L’atteinte est cette fois liée à l'interprétation de l'information véhiculée par le bruit, c'est-à-dire au signifié du bruit et non au bruit lui-même comme signifiant ; on évoque alors l'effet non-auditif du bruit.
Les plaintes de voisinage ont pour cause ces bruits perturbateurs, jugés inopportuns ou incongrus par rapport à ce que chacun attend d'une situation ou d’un contexte suivant des critères personnels culturels, sociaux et d'équilibre psychologique.
3. Mécanismes du trouble
Les étapes successives du processus à l'origine d'un trouble de bruit devraient suivant un schéma cohérent être les suivantes :
1. Excitation (vibration dans l'air d’ordre acoustique)
2. Sensation (stimulus auditif sous l’effet de la vibration)
3. Perception (prise de conscience par la pertinence du stimulus)
4. Interprétation (jugement négatif sur le bruit perçu)
On remarque que le rapport entre chacune de ces étapes reste très relatif.
Le cortex central est en particulier capable d'inter-réagir sur le cortex auditif de manière à moduler la sensibilité auditive suivant la nature et/ou l’interprétation du bruit (cf. en particulier recherches de l’I.N.S.E.R.M.)
Ainsi la loi de Weber-Fechner, référence des acousticiens et selon laquelle la sensation varie comme le logarithme de l'excitation, apparaît strictement invérifiable ; ce qui permet de soutenir que l'unité de mesure du bruit qui en découle, le décibel, est dépourvue de sens.
De même la prise de conscience d’un bruit dépend de la pertinence accordée à ce dernier : le faible gémissement du nourrisson réveille une mère tandis qu’un grondement violent d’orage peut ne pas la tirer du sommeil.
La plupart des stimuli sonores qui nous environnent restent ainsi ignorés, en dépit d’être entendus, parce que jugés sans intérêt.
De la sorte, il est proposé de convenir que ce n’est pas le bruit de la sonnerie du réveil-matin qui réveille mais bien le message associé à la sonnerie ; c’est ainsi que, lorsqu'on oublie de l'arrêter la veille, le réveil peut sonner le dimanche matin sans qu’on s’en aperçoive.
Remarquons que l’attitude instinctive consistant à devoir entendre en permanence se révèle très encombrante ; ceci conduit souvent à prendre le bruit en tant que tel, comme un mauvais objet et par la suite pour un bouc-émissaire sur lequel on vient projeter ses ressentiments ; le bruit est alors assimilable à un crochet sur lequel on vient suspendre toutes sorte d’images négatives.
Observons encore que le fonctionnement archaïque de l’oreille (qui n'a donc pas le caractère conceptuel de l’œil) conduit à des réactions incontrôlées, parfois violentes, par suite de la confusion entre le bruit perçu et les émotions qu’il suscite ; c’est alors que le message est confondu avec le messager ; comme si on incriminait le facteur chaque fois que ce dernier dépose une mauvaise nouvelle dans la boite aux lettres.
Il s’en suit une confusion récurrente entre le bruit occasionné et le bruit ressenti ; ce que le professeur Leroy dénonce en remarquant qu'il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi et conduit en différentes occasions à se demander si c'est le bruit qui engendre la gêne ou plutôt la gêne qui occasionne le bruit ?
On ne peut donc mesurer le trouble et pourtant une telle présomption est bien présente dans l’imaginaire des techniciens qui restent fidèles aux théories physicalistes et psychophysiques du 19ème siècle, en dépit des critiques depuis longtemps formulées, déjà par Bergson.
4. Audibilité
Si l’appréhension négative d’un bruit n'est ainsi pas liée à son niveau, il convient encore de noter que l’audibilité n'en dépend pas plus exclusivement.
On apprécie en fait la force d'un bruit essentiellement par référence au bruit de fond ; c'est ce qu'on appelle l'émergence.
En guise de comparaison, si le niveau des rochers au bord de la mer reste constant, on les voit pourtant davantage à marée basse qu’à marée haute.
On observe que ces rochers peuvent même disparaître à marée haute, c'est ce qu'on appelle l'effet de masque ; lequel contribue grandement au confort acoustique dans les habitations sans pour autant que le bruit de fond soit nécessairement important.
L’appréciation de l'excès de bruit et par suite l'appréciation de l'atteinte à la tranquillité est donc essentiellement relative à l'émergence ; ce que le ministère de la santé a bien retenu pour l'appréciation du trouble de voisinage en référant l’infraction à des seuils d'émergence, mais toujours pas le ministère du logement qui fixe les critères réglementaires en termes de niveaux absolus sans aucune relation avec le bruit de fond; comme il est permis de le retenir en observant que le critère de niveau de bruit d’équipement n’a pas évolué depuis 1963 en dépit du calfeutrement des façades largement intervenu depuis rendant les intérieurs silencieux.
On doit donc retenir que pour garantir la tranquillité dans les immeubles l’action sur le niveau du bruit reste très relative si l’on ne prend pas en compte à la fois le fond sonore, ou plutôt l’absence de fond sonore, et certainement la connotation du bruit à l’origine de la gêne.
5. Trouble ou désordre
La mission type de la Cour d’appel de Versailles en matière de bruit prend la précaution de solliciter de l’expert l’instruction alternative et complémentaire d’une nuisance et/ou d’un désordre.
Une telle distinction entre le trouble et le désordre est nécessaire, car la sanité acoustique d'un ouvrage de garantit pas pour autant la tranquillité des personnes qui l'habitent, comme à l'inverse le trouble des habitants ne peut se déduire de la seule insanité sonore d'un l'immeuble.
Une telle confusion est récurrente au point que les demandes en justice consécutives à une dégradation de la qualité acoustique à la suite de travaux d’aménagement sont le plus souvent improprement motivées sur le seul fondement du trouble ; c'est le cas en particulier pour les changements de revêtement de sol dans les immeubles d'habitation existants.
De nombreuses décisions retiennent ainsi le trouble de bruit au motif de la dégradation acoustique attestée par l’expert. Pour autant la Cour de cassation ne manque pas de rappeler que le trouble lié au bruit doit être certain et non hypothétique, qu’il s’agit d’un fait objectif qui doit être constaté et prouvé (Audience publique du jeudi 8 juillet 2010 - N° de pourvoi : 09-69432).
Observons que le trouble que doit apprécier l'expert en bâtiment n'est certainement pas le trouble de la personne, domaine de la psychologie ou de la psychiatrie, mais plutôt le trouble à la personne ; assimilable au trouble de fait suivant le dictionnaire de Serge Braudo est :
« une action commise sans droit par une ou plusieurs personnes qui empêche une autre d'user de la chose dont elle est propriétaire, détenteur ou possesseur »
Le trouble de fait est celui instruit habituellement dans le cadre d'une demande fondée sur la théorie du trouble excédant les inconvénients normaux (ou théorie du trouble anormal de voisinage) ; à savoir le trouble résultant d’un bruit insolite ou incongru selon les usages et les pratiques habituelles ou par rapport à l'environnement sonore coutumier d'un site ; ou encore un bruit évitable, causé sans nécessité ou en l'absence de précautions, un bruit aisément remédiable ; tous ces indicateurs restant strictement factuels.
6. Pathologie et prévention
Il est bien difficile d'évoquer la pathologie acoustique d'un bâtiment, c’est-à-dire d’imputer le trouble à l’ouvrage, dès lors qu'il suffit d'y entendre un bruit jugé indésirable pour être gêné.
le bruit du voisin venant en quelque sorte faire intrusion chez soi et conduisant alors à prendre ce dernier pour un importun, on observe qu’un visiteur indésirable ne l’est pas moins en chaussons qu’avec des bottes.
Il semble a contrario non souhaitable, même si on pouvait y parvenir, qu'un immeuble collectif puisse prévenir toute perception sonore de voisinage.
Par ailleurs, il est certainement exclu de prendre les règles de construction pour référence de sanité si l'on veut bien considérer que les critères réglementaires ne couvrent pas le domaine de sensibilité de l'oreille, ni ne correspondent aux façons de vivre habituelles.
En effet la réglementation de la construction de prend pas en compte les bruits de basse fréquence ni ceux de courte durée et oblige à vivre chez soi toutes portes fermées ou à n'entendre les bruits qu'au milieu des pièces.
Afin de relativiser encore la relation entre la qualité acoustique des bâtiments et la bonne santé physique, mentale et sociale de leurs occupants, il est nécessaire de considérer la désinformation récurrente sur le bruit dont fait l’objet la population.
Il convient certainement de dénoncer l’artéfact écolo-médiatique psychogène suivant lequel le bruit serait un générateur obligé de gêne ; artefact dommageable par suite de l'effet nocébo qu’il engendre.
Des études démontrent à cet égard les inquiétudes collectives sur des sujets de santé publique comme par exemple les effets des rayonnements électromagnétiques ; il a ainsi été observé des troubles apparus chez des riverains d'une antenne-relais de téléphonie alors même que l'installation n'avait pas encore été mise en service.
Il s'avère que la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance. Une expérience scandinave a démontré qu'en l’absence de tout environnement nocif un nombre significatif d’individus se plaignaient de symptômes divers gastro-intestinaux, musculaires et névralgiques après la diffusion d’informations erronées sur une pollution par des médias et des réseaux sociaux.
Sans doute devrait-on plus souvent s’interroger sur l'impact du bruit sur la santé lorsque le bruit est considéré a priori comme perturbant.
Mais ne pourrait-on pas reconnaître tout de même, au-delà du seul fondement de la perception de bruits, la pathologie acoustique d’un bâtiment devant l’absence de prévention de l’incongruité de ces derniers ? Ceci au motif d’observer qu’à niveau égal un bruit de vidange de chasse d’eau provenant des étages supérieurs est évidemment plus dérangeant dans un séjour que dans la salle de bain ou certainement dans les W.C.
Une action acoustiquement sanitaire sur les bâtiments devrait donc conduire à homogénéiser la nature des bruits par rapport à l’activité des pièces, en évitant par exemple de superposer ou de juxtaposer une cuisine à une chambre, en ne prenant pas la cloison d’une chambre comme cloison de gaine technique sanitaire, en situant plutôt la gaine d’ascenseur contre une pièce de service …
Remarquons que le principe de l’homogénéité sonore de voisinage se trouvait mieux respecté autrefois qu’aujourd’hui.
Il pourrait encore être proposé qu'un bâtiment puisse se trouver potentiellement pathologique lorsque la distribution des circulations communes compromet les relations de voisinage par une excessive individualisation des déplacements.
A l'évidence lorsque le voisin cesse d'être un étranger, ses bruits deviennent moins incongrus ; de la sorte l’étude des cheminements dans les parties communes et l’aménagement d’espaces collectifs dans les immeubles devrait contribuer à renforcer le lien social et la communication entre les habitants, indispensables au vivre-ensemble.
Ceci relève bien de la compétence des architectes.