vendredi 17 septembre 2010

RAPPORTS ENTRE INFRACTION, ANORMALITE ET IMPROPRIETE


EN PREAMBULE 

Hormis la demande relative au non-respect d'une clause contractuelle, les deux fondements usuels de l'action en matière de bruit sont d'une part le trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage et d'autre part le dommage de nature à engendrer une impropriété à destination de l'ouvrage.

Dans un cas comme dans l'autre, la mesure d'instruction confiée à l'expert vise quand même l'appréciation de la conformité ou non aux dispositions réglementaires. 

Exemples courants de chefs de mission: 

- « préciser si les bruits dépassent les normes applicables » 
- « vérifier leur conformité aux dispositions réglementaires » 
- « préciser à quelles normes acoustiques répond l'ouvrage » 

Retenons de ces exemples la confusion récurrente entre le règlement et la norme et d'autre part la question de savoir s'il appartient bien au technicien, désigné pour instruire une question de fait, (art. 232 du C.P.C.), d'apprécier si l'action d'un constructeur ou celle d'un voisin se trouvent répréhensibles ou non puisqu'il s'agit d'une appréciation de droit. 

D'autres missions sont explicites du fondement de l'action, au sens d'une distinction entre les dispositions réglementaires et la notion d'impropriété ou d'anormalité, mais en retour le critère d'appréciation n'est pas ou peu renseigné, et de fait reste le plus souvent à déterminer par l'expert lui-même. 

Exemples de mission: 

- « dire si le fonctionnement occasionne des nuisances sonores caractérisant un trouble de voisinage manifestement anormal » 
- « réunir tous éléments techniques et de fait permettant à la cour de déterminer si les bruits sont susceptibles par leur nature, leur intensité, leur durée ou tout autre critère de causer un trouble anormal de voisinage » 
- « dire si l'immeuble est impropre à sa destination » 

Enfin, certaines missions lient sans équivoque l'infraction et l'anormalité, ou encore l'infraction et l'impropriété, en suggérant même que les règles de construction pourraient constituer le critère du trouble anormal. 

Exemple de mission correspondant: 

- « dire si la chaufferie et l'installation de chauffage ont subi des travaux de nature à constituer des troubles anormaux de voisinage eu égard aux normes de l'arrêté du 14 [juin] 1969 applicables à cet immeuble, bâti en 1970 » 

Il sera rappelé ici que l'arrêté du 14 juin 1969 s'applique aux constructions neuves et non aux travaux sur existants et par ailleurs que la chaufferie de l'immeuble n'appartient pas à un voisin, puisque le demandeur en est lui-même propriétaire au prorata de ses millièmes. 

Remarquons que la mission confiée est souvent le simple « copier-coller » de la mission sollicitée par le demandeur, mais après tout le procès est bien « l'affaire des parties ». 

Ces différents exemples de mission posent la question de savoir si les critères d'appréciation du trouble anormal ou de l'impropriété à destination peuvent effectivement être confondus avec les seuils d'infraction, fixés pour le premier par les différentes réglementations relatives à la protection du voisinage et pour le second par les règles de construction. 

I - LA REGLEMENTATION SUR LE BRUIT DE VOISINAGE 

Les critères d'appréciation de l'infraction sont fondés pour la plupart des dispositions réglementaires d'abord sur un niveau minimal de bruit puis au-delà de ce dernier sur une valeur limite d'émergence, c'est-à-dire une différence maximale entre le niveau du bruit incriminé et le niveau ambiant habituel du site, appelé bruit résiduel. 

On remarque que le niveau du bruit incriminé et le niveau du bruit résiduel sont exprimés en valeurs moyennes (en niveau de bruit équivalent), c'est-à-dire que les pointes de bruit sont gommées. 

Par ailleurs, la mesure doit être effectuée sur une période d'au moins trente minutes, soit la prise en compte dans les valeurs moyennes du bruit incriminé ou du bruit résiduel de sources de bruit occasionnelles et aléatoires étrangères à la plainte ou au litige. 

L'utilisation de valeurs moyennes vient de l'habitude d'apprécier le risque auditif en milieu de travail en termes de dose de bruit, habitude également prise pour quantifier le bruit de trafic. 

L'extension de cette pratique au bruit de voisinage est évidemment incongrue puisqu'un voisin n'émet jamais un bruit tel qu'un risque de lésion ou de fatigue auditive puisse se produire et par ailleurs, la gêne de voisinage tient assez souvent de l'apparition de bruits instantanés, dont ne rend donc pas compte l'expression d'une valeur moyenne de bruit. 

Le texte fondateur de la réglementation sur le bruit de voisinage est à l'origine une recommandation : le second des deux avis de la Commission d'Etudes du Bruit du Ministère de la Santé Publique du 21 juin 1963. 

Ce dernier, auquel la jurisprudence fait très largement référence pour l'appréciation du trouble anormal, propose de considérer que la gêne est « incontestable » lorsque l'émergence instantanée produite lors de l'apparition du bruit « perturbateur » est supérieure à la valeur de 5 dB le jour et de 3 dB la nuit, en niveau global (toutes fréquences confondues) ou par bandes de fréquence. 

Dans la pratique on oublie de considérer que la règle d'émergence proposée par l'avis s'adresse à un bruit préalablement reconnu comme « perturbateur » à savoir suivant l'avis : « un bruit repérable que l'on désire, pour des raisons diverses, distinguer du bruit d'ambiance ». 

Nous voyons ici l'obligation première de considérer les « raisons diverses » qui contribuent pour le plaignant à appréhender le bruit incriminé comme « perturbateur », car à l'évidence tout événement sonore émergeant de 3 dB ou de 5 dB n'est pas nécessairement gênant. 

Ces critères d'émergence de 3 dB et de 5 dB, correspondant suivant l'avis précité au seuil de modification « sensible » du bruit ambiant ou encore au seuil de perception « sans exiger un effort d'attention particulier », on comprend bien au sens de l'avis de la Commission d'Etude du Bruit que le caractère « incontestable » de la gêne ne résulte donc pas de la seule quantité de décibels, mais également de ces « raisons diverses » qui contribuent à rendre le bruit « perturbateur ». 

La difficulté réglementaire tient précisément de ce que les « raisons diverses » de gêne propres à l'environnement de chaque plaignant ne peuvent évidemment être appréhendées; car comment une réglementation générale pourrait-elle fixer des seuils en fonction des circonstances de la plainte ? 

La réglementation sur le bruit de voisinage des activités professionnelles, commerciales, sportives, culturelles ou de loisirs est fixée par le Code de la santé, suivant les dispositions du décret du 31 août 2006, qui abroge le décret du 18 avril 1995, ce dernier ayant abrogé lui-même le décret du 5 mai 1988. 

Dans ce cadre des activités courantes, le niveau du bruit incriminé n'est susceptible d'être sanctionné que s'il dépasse 25 dB(A) dans une pièce principale d'habitation et 30 dB(A) dans les autres cas. 

On remarque qu'avec un niveau de bruit de fond de 20 dB(A), tel que couramment rencontré dans une chambre sur cour avec une fenêtre de bonne qualité, on peut donc distinctement percevoir le bruit perturbateur avant qu'il ne soit répréhensible. 

Au-delà des valeurs de 25 dB(A) ou de 30 dB(A) suivant les cas, le critère d'infraction est celui de l'émergence moyenne (et non pas instantanée), en fixant une limite d'une part pour l'émergence globale toutes fréquences confondues et, d'autre part, pour l'émergence par bandes de fréquences (par bandes d'octave). 

La limite d'émergence globale est de 5 dB(A) le jour et de 3 dB(A) la nuit, avec une pondération en fonction de la durée du bruit incriminé : cette pondération est nulle pour une durée supérieure à 8h00, de 1 dB(A) entre 4h00 et 8h00, de 2 dB(A) entre 2h00 et 4h00 etc... 

Par exemple, la limite d'émergence globale pour un bruit perturbateur, dont la durée cumulée de l'apparition est comprise entre 2h00 et 4h00 est de 7 dB(A) le jour et de 5 dB(A) la nuit. 

La limite d'émergence par bandes de fréquence, appelée à tort limite d'émergence « spectrale » puisqu'il ne s'agit pas d'une émergence tonale mais temporelle, n'est en retour, pas pondérée en fonction de la durée du bruit incriminé et le seuil d'infraction est fixé à 7 dB pour une émergence en basse fréquence et à 5 dB dans les fréquences moyennes et aiguës. 

On remarque que les dispositions des décrets de 1988 et de 1995 visaient déjà de fait à rendre répréhensibles en site urbain: les cours de récréation des écoles, les marchés, les terrasses de café, les terrains de sport... toutes ces activités traditionnelles dont le tort est de se trouver à proximité d'habitations. 

Avec le décret du 31 août 2006 et la limite d'émergence dite « spectrale », il devient désormais difficile d'exercer une activité commerciale au rez-de-chaussée d'un immeuble d'habitation sans se trouver en infraction. 

Les ministères concernés interrogés sur cette difficulté répondent que les agents de l'Etat agissent avec circonspection : alors, sans doute, la dite circonspection aurait-elle dû être inscrite dans le décret, mais cela reviendrait à aborder le critère de contexte laissé ainsi à la libre appréciation de l'autorité administrative. 

Nous voyons ici qu'il faudrait bientôt mettre les villes à la campagne comme le proposait déjà Alphonse Allais, mais non sans avoir au préalable rendus silencieux les coqs et les clochers. 

Les installations classées sont visées par une réglementation distincte, plutôt par deux réglementations (en fait davantage eu égard aux régimes spéciaux accordés en particulier aux installations EDF, à l'exploitation des carrières...). 

Les installations classées soumises au régime de la déclaration, sont concernées par l'arrêté du 20 août 1985 et celles soumises au régime de l'autorisation, par l'arrêté du 23 janvier 1997. 

Curieusement, dans le cas de l'instruction d'une gêne, les dispositions imposées à une installation soumise à déclaration apparaissent plus sévères que pour une installation plus puissante soumise à autorisation. 

En effet, l'arrêté du 20 août 1985, qui concerne le régime de la simple déclaration, fixe la limite d'émergence à 3 dB(A) de jour comme de nuit, tandis que l'arrêté du 23 janvier 1997 afférent au régime de l'autorisation fixe la limite d'émergence en zone calme (entre 35 dB(A) et 45 dB(A)) à 6 dB(A) le jour et à 4 dB(A) la nuit. 

Curieusement encore, l'émergence en zone calme peut être plus élevée qu'en zone bruyante où le bruit incriminé se trouve masqué et par suite moins perceptible. 

On remarque qu'une installation soumise au régime de l'autorisation a donc la possibilité de faire plus de bruit qu'une activité ordinaire, puisque l'infraction n'est considérée qu'à partir d'un niveau de bruit de 35 dB(A) dans le premier cas et de 25 dB(A) dans le second. 

En retour, pour l'installation classée soumise au régime de la déclaration, il n'existe pas de niveau minimal pour caractériser l'infraction d'émergence. 

Les régimes de la déclaration et de l'autorisation se distinguent encore par la pénalité apportée lorsque le bruit incriminé présente une tonalité marquée, c'est-àdire un son pur, exprimée tantôt en décibels (pénalité de 5 dB pour la déclaration), tantôt en durée (30 % de la durée de fonctionnement pour l'autorisation). 

Retenons, enfin, au titre de la réglementation des activités de voisinage, le décret du 15 décembre 1998 relatif aux établissements diffusant de la musique amplifiée. 

L'objet initial de ce texte étant la protection de l'ouïe du personnel et de la clientèle de ces établissements, il a été ajouté au projet in-extremis avant d'être publié des dispositions concernant le trouble de voisinage. 

A cet effet, l'isolement de l'établissement ou encore le réglage du niveau de bruit musical doivent être tels que l'émergence reste limitée à 3 dB par bandes de fréquence (bandes d'octave) dans les locaux d'habitation voisins et contigus. 

Toutefois, il s'agit ici encore d'émergence moyenne et la largeur d'une bande d'octave est trop importante naturellement pour que soit pris en compte le caractère tonal propre au bruit musical, qui outre le rythme rend ce dernier très perceptible même quand son niveau reste faible au voisinage. 

Retenons pour l'essentiel de ce survol des textes réglementaires relatifs au bruit de voisinage que certaines activités peuvent faire plus de bruit que d'autres sans qu'on ne puisse y trouver de justification, que la prise en compte de l'émergence moyenne est sans rapport avec le mécanisme de la gêne et surtout que ne sont pas prises en compte les contraintes de contexte et de situation (sauf pour les bruits de chantier) faisant qu'il puisse exister des bruits à la fois répréhensibles et normaux. 

Observons ainsi qu'à ignorer le contexte et sous prétexte que tout bruit émergeant peut engendrer un inconvénient, l'évolution réglementaire devrait bientôt aboutir sous la pression associative à imposer le silence. 

Peut-être, alors, pourrait-on rappeler que « la Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » (art. 5 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen) et qu'en ce sens, la réglementation sur le bruit ne devrait pas avoir pour objectif de garantir le confort, mais seulement de couvrir un danger, en l'occurrence une menace pour la santé. 

II- LE TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE 

La théorie du trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage vient précisément par son autonomie réparer une réglementation par trop générale, en visant le cas d'espèce. 

Citons, à titre d'exemple, un arrêt qui reflète l'interprétation classique en la matière : 
L'arrêt de la Cour de Cassation (3è ch. Civ.) du 8 mars 1978, vient confirmer un arrêt de la Cour d'Appel suivant lequel le seuil réglementaire doit être considéré comme un « seuil de danger et non de gêne » et que des engins « même conformes à la réglementation en vigueur, peuvent, par l'utilisation qui en est faite, sa fréquence, leur nombre et l'emplacement où on les met en action, entraîner des dommages pour les tiers ». 

Il est, en effet, admis que le respect des dispositions réglementaires ne constitue pas un motif d'absence de trouble. 

Toutefois il reste possible, puisque cette théorie prétorienne est pleinement autonome, de considérer le contraire comme le démontre cette autre décision : 

L'arrêt de la Cour d'Appel de Caen du 13 mars 2001 dans une affaire LAINE contre GAUCHET motive ainsi la décision : « Le seul fait que la Société LAINE ait pu exploiter la carrière en infraction à une disposition réglementaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ainsi qu'il le sera établi ci-après, n'est pas constitutif d'un trouble anormal de voisinage ». 

Il est ainsi confirmé que le bruit d'une activité peut donc se trouver à la fois répréhensible et normal, c'est-à-dire n'excédant pas les inconvénients normaux, et ceci est conforme à la préservation de la cité et à la vie en société où se mélangent depuis la nuit des temps, les habitations, les commerces, les loisirs, les écoles... 

Le bruit étant aujourd'hui décrié comme un fléau insupportable, toutes sources confondues, sans doute serions-nous avisés de considérer davantage l'aspect subjectif de ce dernier comme le faisait déjà SOPHOCLE vers 450 avant notre ère, lorsque ce dernier énonçait : « Pour qui a peur tout est bruit ». 

L'homme moderne a-t-il donc peur de son voisinage au point de vouloir protéger autant son habitat de toute intrusion sonore ? 

Une meilleure acceptation du bruit par une meilleure intelligence de ce dernier ne peut pour autant faire disparaître bien sûr l'obligation de précaution au sens de l'application de l'article 544 du code civil ou encore des articles 1382 et 1383. 

La mission de l'expert, lorsque le fondement de l'action est le trouble anormal, n'est-elle pas alors, après avoir mesuré le bruit incriminé et attesté de son audibilité, voire renseigné la conformité réglementaire, de tout mettre en œuvre pour rendre compte au juge du contexte (objectif) du litige et c'est bien ici qu'il est attendu de l'expert de justice d'être davantage qu'un technicien, en quelque sorte l'oreille du juge

Nous rappelons l'avis du CNEJAC (Collège National des Experts Judiciaires en Acoustique) du 27 janvier 1993 suivant lequel : « La gêne sonore est considérée comme excessive lorsqu'une émergence globale dépassera 3 dB(A) de nuit et 5 dB(A) de jour, sous réserve que le bruit incriminé constitue soit une anomalie, soit une incongruité, soit une intrusion ou, encore, soit étranger au site... ». 

Il revient alors à l'expert acousticien de renseigner tous facteurs susceptibles de rendre le bruit incongru: 

- Le bruit résulte-t-il d'un défaut de précaution, d'entretien ? Est-il évitable ? Est-il remédiable ? 
- Quel est le degré d'appartenance du bruit au contexte sonore usuel ? Est-il coutumier ? 

III - LA REGLEMENTATION DE LA CONSTRUCTION 

Le décret du 22 octobre 1955 fixait qu'« un isolement sonore suffisant, compte tenu de leur destination, doit être assuré aux pièces d'habitation ». 

Cette obligation d'un isolement suffisant a été explicitée et quantifiée une première fois par la circulaire du 14 novembre 1958 et une seconde fois par la circulaire du 17 décembre 1963. 

Remarquons qu'il était déjà proposé à cette époque que le niveau du bruit des équipements collectifs ou individuels de l'immeuble n'excède pas 30 dB(A) dans une chambre à coucher, valeur toujours en vigueur aujourd'hui. 

Observons également qu'en novembre 1958 il était recommandé de maîtriser la réverbération dans les circulations communes des immeubles, disposition qui n'a été reprise qu'en 1994. 

L'arrêté du 14 juin 1969 est venu renforcer les exigences d'isolement au bruit aérien et au contraire diminuer celles concernant les bruits de chocs ou le bruit des équipements individuels. 

L'arrêté du 28 octobre 1994, désigné comme la « NRA » (Nouvelle Réglementation Acoustique) et présenté comme l'aboutissement du confort acoustique au point de devenir une sorte de Label, en est revenu à peu près aux performances de 1963 pour le bruit de choc et a réinstauré, à la fois l'exigence de réverbération dans les parties communes et d'isolement minimal de façade. 

Enfin, l'arrêté du 30 juin 1999 a tenté d'adapter au mieux les exigences de l'arrêté du 28 octobre 1994 aux indices européens, mais sans modifier ou presque les caractéristiques minimales des immeubles. 

Rappelons qu'outre le logement se trouvent réglementées les constructions des établissements d'enseignement, des hôtels et des établissements de santé. 

Il est observé que le plus significatif dans l'évolution réglementaire n'est pas l'accroissement des performances minimales exigées mais plutôt l'expression de ces exigences. 

L'évolution rédactionnelle du règlement est explicite d'un glissement sémantique de la fonction réglementaire qui ne viserait plus à établir la limite à ne pas franchir mais plutôt celle à atteindre. 

Si dans l'ancienne réglementation de la construction (arrêté du 14 juin 1969) il est rédigé que le niveau du bruit aérien « ... ne doit pas dépasser » la valeur fixée, il ne manque pas d'être constaté dans la « Nouvelle Réglementation Acoustique » (arrêtés du 28 octobre 1994 puis du 30 juin 1999) que cette même exigence au bruit aérien (formulée non plus en niveau mais en isolement) est exprimée ainsi: « doit être égal ou supérieur ». 

En exposant aujourd'hui que le niveau d'isolement limite est acceptable, le texte réglementaire devient normatif, c'est-à-dire qu'il devient un exemple d'objectif de protection acoustique et par suite une référence du bien construit. 

Le ministère du logement édite à cet égard un cahier d'exemples de solutions permettant de viser les exigences réglementaires. 

Ceci permet aux constructeurs de vanter la qualité acoustique des ouvrages au seul motif de la satisfaction réglementaire, comme s'il s'agissait d'une norme de confort et non de la limite de la sanction pénale. 

De même les fabricants soulignent les performances de leurs produits en annonçant qu'elles permettent de respecter la réglementation, comme s'il s'agissait alors d'un objectif à atteindre et non de la limite à ne pas franchir. 

Une norme correspondant à ce qu'il est recommandé de faire, un tel principe génère naturellement de l'incompréhension chez les plaignants qui s'étonnent qu'un ouvrage puisse à la fois être conforme et non satisfaisant. 

L'inconvénient résultant aujourd'hui d'une telle interprétation normative de la réglementation se traduit par l'absence de réflexion sur les bons objectifs à atteindre en fonction des situations. 

En effet si les seuils réglementaires de construction des immeubles peuvent être jugés satisfaisants en cas de bruit ambiant significatif, il n'en va plus de même en présence d'un bruit de fond très bas, privant de tout effet de masque et rendant perceptibles les plus faibles bruits de l'immeuble. 

A cet égard, le CSTB avertissait à juste titre en 1982 dans la rubrique acoustique du REEF que « le simple respect des valeurs réglementaires en matière d'isolation interne ne permet pas un confort satisfaisant si l'environnement est totalement silencieux (campagne) ». 

De même, une réflexion portant sur la signification des bruits produits par une activité projetée et les conditions particulières du voisinage devrait conduire à moduler les efforts de traitement, or une telle distinction peut difficilement être approchée dans un cadre réglementaire général. 

La confusion entre norme et réglementation conduit alors à faire l'économie de l'étude de programme indispensable à une bonne adéquation de l'ouvrage avec son environnement et sa future utilisation, si ce n'est à la cohérence avec la qualité affichée lors de la commercialisation. 

IV - L'IMPROPRIETE A DESTINATION 

Pour le technicien cette théorie de l'impropriété qui semble prendre sa source dans le droit de la vente apparaît bien complexe dès lors qu'elle s'est trouvée attachée non plus au manquement à une obligation contractuelle mais aux désordres visés par l'article 1792 du Code Civil, suivant lequel « Tout constructeur est responsable des dommages rendant un ouvrage impropre à sa destination ». 

N'en vient-on pas ici à confondre, par la conservation du même vocable, le défaut de conformité avec le vice de la chose ? 

La question du critère de l'impropriété en matière acoustique ne pouvant être évitée dès lors qu'il est demandé à l'expert de rapporter les éléments permettant au juge de statuer, nous observons que la jurisprudence est loin d'être constante sur ce point; toutefois les divergences d'appréciation ne résultent-elles pas encore de circonstances de fait ? 

Alors quel doit être le critère de l'impropriété à destination ? 

Un silence excessif par un trop grand isolement de façade rendant alors tout bruit de l'immeuble perceptible, un bruit incongru ou insolite, l'insuffisance de confort, le non-respect d'une clause contractuelle, l'infraction aux règles de construction, l'inaptitude à l'emploi, l'impossibilité d'usage, l'insalubrité ou l'inhabitabilité ? 

Les constructeurs préféreraient sans doute disposer d'une référence explicite afin de construire leur ouvrage en conséquence, et beaucoup de professionnels en appellent ainsi à la référence réglementaire. 

Citons à titre d'exemple deux décisions : 

- l'arrêt de la Cour d'Appel d'AGEN du 17 octobre 1991, suivant lequel « ...dans la mesure où les minima imposés par la réglementation ont été respectés, il n'est pas possible d'écrire qu'il y a impropriété des immeubles à leur destination », 

- l'arrêt de la Cour de Cassation (3è ch. Civ.) du 20 février 1991 , suivant lequel il est reproché aux premiers juges d'avoir manqué « de rechercher si, nonobstant la conformité aux normes réglementaires applicables, les désordres d'isolation phonique relatifs à la diffusion des bruits aériens ne rendaient pas l'immeuble impropre à sa destination ». 

L'arrêt de la cour de cassation du 20 février 1991 a été confirmé le 9 décembre 2003, puis encore le 16 septembre, mais sans jamais apporter de réponse à la question du critère d'appréciation. 

V - CONCLUSIONS 

Le juge civil dispose du pouvoir souverain d'appréciation tant de l'anormalité du trouble que de l'impropriété de l'ouvrage, en toute indépendance des dispositions réglementaires. 

Si l'on considère que la décision du juge prend appui sur l'avis de l'expert et que ce dernier ne peut renseigner l'existence du désordre sur la base des seuils réglementaires, il convient alors d'imputer audit expert la responsabilité de l'établissement des critères d'appréciation du trouble de voisinage ou de l'impropriété de l'ouvrage; ce qui revient, en la circonstance, à proposer le droit.

Nul n'admettra ici qu' un tel  rôle soit accordé au technicien par le Code de procédure civile.


18e rencontres "Droit & Construction" de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence - 17 septembre 2010