dimanche 30 juin 2019

CHANGEMENT DE REVETEMENT DE SOL: TROUBLE OU DESORDRE ?

Lorsque la Direction de la construction a réuni en 1968 un groupe de travail interprofessionnel en vue d’élaborer la réglementation acoustique des bâtiments d’habitation et que le thème de la protection au bruit de choc entre appartements a été abordé, la question s’est alors posée de savoir si le critère d’exigence devait être fixé avec ou sans le revêtement de sol

La protection au bruit de choc hors revêtement de sol, c’est-à-dire depuis le plancher brut, imposant de fait la réalisation d’une chape flottante, les représentants des maîtres d’ouvrages sociaux ont fait valoir le renchérissement occasionné par une telle prestation, et comme il était difficile d’imposer des contraintes différentes suivant les types de logements il a finalement été retenu pour exigence une «isolation des planchers y compris les revêtements de sol » ; telle que définie par l’arrêté du 14 juin 1969 établissant pour la première fois officiellement les règles acoustiques de construction.

On rappelle que l’exigence réglementaire se trouve fixée en France en termes de performances, tandis que dans d’autres pays européens, comme par exemple en Allemagne, les prescriptions sont d’ordre normatif et renseignent les moyens à adopter ; avec pour ce pays des vérifications du bruit de choc réalisées hors revêtement de sol.

Ledit arrêté du 14 juin 1969 a ainsi confirmé l’usage suivant lequel dans un immeuble collectif le revêtement de sol contribue grandement, si ce n’est pour l’essentiel, à la protection au bruit de choc des appartements contigus et du dessous vis-à-vis des déplacements, en particulier des claquements de talon des chaussures de ville, ainsi que de la chute d’objets.

La pose de moquette constituant depuis les années cinquante un critère de confort, si ce n’est de standing, les maîtres d’ouvrage ont donc continué en application de la réglementation acoustique à poser ce type de revêtement directement sur les dalles de plancher en béton.

Cette habitude a perduré jusque dans les années quatre-vingt-dix où le parquet, alors devenu la référence de qualité dans le domaine de l’accession à la propriété, a remplacé la moquette et entraîné de fait la réalisation de chapes flottantes sur les planchers des nouvelles constructions.

Durant près de trente ans les immeubles en copropriété ont donc été conçus avec le revêtement de sol pour tout moyen de protection au bruit de choc entre voisins, en dépit de ce que ledit revêtement n’est pas une partie commune, mais réservé à l’usage et à la jouissance exclusifs du propriétaire du lot.

Pour prévenir la difficulté liée à cette ambiguïté les rédacteurs des règlements de copropriété ont parfois prévu en application de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 la clause fixant que le revêtement de sol des appartements ne peut être remplacé par un matériau de performance acoustique moindre que celui d’origine.

Il est rappelé que ledit article 9 prescrit que : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble ».

On remarque que la moquette la plus ordinaire, en velours ras ou bouclé sur dossier mousse, disposée par les constructeurs dans les pièces principales des logements de standing courant, contribuait déjà à une protection au bruit de choc de qualité et en tout cas très nettement supérieure au seuil d’infraction fixé par la réglementation de la construction.

On rappelle à cet égard que le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment proposait déjà de considérer dans le REEF (recueil des règles de l’art) édité en 1982 que le simple respect des valeurs réglementaires ne permettait pas d’assurer un confort « satisfaisant » lorsque l’environnement était silencieux et, s’agissant du domaine du bruit de voisinage, il est observé que la Cour de cassation retient que le seuil réglementaire correspond à un seuil de danger et non de gêne (Civ. 3ème, 8 mars 1978, D.1978.641, note Larroumet).

La mode changeant et au motif d’hygiène sanitaire (les revêtements textiles réduiraient cependant favorablement la dispersion des allergènes dans l’air), les nouveaux occupants de ces appartements construits dans les années 70/90 ont très largement remplacé la moquette par du parquet, si ce n’est par du carrelage, et l’augmentation des bruits de pas et de chocs en résultant pour les voisins a eu pour effet d’alimenter un contentieux important, aggravé parfois des inconvénients inhérents aux changements de distribution de pièces, telle que l’installation d’une cuisine au-dessus d’une chambre.

Bien qu’il s’agisse à l’origine de trouble de voisinage, l’apparition ou pour le moins l’excès de bruit allégués en l’espèce par les demandeurs se trouvent le plus souvent motivés dans l’assignation par la dégradation de la qualité acoustique, autrement dit par un désordre immobilier.

Dans ce cadre, l’instruction technique judiciaire porte sur l’appréciation de la qualité de protection au bruit de choc procurée par le nouveau revêtement de sol en comparaison de celle assurée par le matériau d’origine de la construction; ce dernier étant en quelque sorte retenu comme référence contractuelle de confort acoustique dans l’immeuble.

Il est constaté lors des opérations d’expertise que la nature du revêtement de sol d’origine peut parfois se trouver difficile à établir à défaut de production d’une notice descriptive contractuelle (cas de la vente en VEFA). Cependant il n’est pas rare de retrouver ce revêtement au fond des placards et les parties dans la cause sont alors invitées à procéder à un repérage dans différents appartements de l’immeuble afin de présumer de la nature du matériau de référence.

Lorsque le revêtement de sol d’origine existe encore dans une pièce non modifiée de l’appartement, si ce n’est dans un autre appartement de l’immeuble, ou encore lorsqu’on constate la présence d’un matériau équivalent, l’expert acousticien procède alors à une mesure comparative au moyen de la machine à frapper normalisée, dite encore machine à choc, comportant des marteaux frappant sur le sol.

On rappelle que ce type de machine présente des modalités de frappe fixées par une norme internationale et qu’en conséquence des essais réalisés par des appareils de différentes marques sont comparables.

En cas d’impossibilité de mesure comparative dans l’immeuble et en présence d’un plancher dont on connait bien les performances par suite de multiples essais in-situ ou en laboratoire, comme par exemple une dalle pleine en béton armé, l’expert peut encore rapprocher le résultat de la mesure réalisée sur le revêtement modifié de celui estimé par le calcul sur la base des performances du matériau d’origine évaluées en laboratoire (les catalogues des fabricants et les publications techniques renseignent l’indice d’amélioration au bruit de choc « DLw » intrinsèque des revêtements de sol).

On remarque qu’il convient certainement de distinguer le revêtement de sol d’origine de la construction vis-à-vis des revêtements de sol posés par les copropriétaires précédents ; il arrive ainsi parfois que des copropriétaires successifs du même appartement aient chacun leur tour aggravé la situation par le nombre de pièces modifiées et la mise en place au cours du temps de matériaux plus ou moins isolants.

A l’inverse la situation a pu être améliorée durant une période ; c’est en particulier le cas des appartements haussmanniens dont le revêtement de sol d’origine en parquet a été recouvert de moquette. Toutefois dans ce cadre il n’est pas rare que la dépose de la moquette ne se trouve accompagnée de modalités d’occupation plus bruyantes de la part des nouveaux occupants, à la fois plus jeunes que les précédents, ayant des enfants en bas âge, et susceptibles pour ces motifs de changer les habitudes du voisinage.

Il est important de souligner que l’analyse de la dégradation est d’autant plus importante pour renseigner le litige qu’il n’existe pas de référentiel de qualité de protection au bruit de choc dans un immeuble ancien et que les modifications apportées dans l’existant ne sont pas soumises aux dispositions en vigueur pour les nouvelles constructions.

On rappelle en effet que l’article R.111-1-1 du Code de la construction et de l’habitation, auquel fait référence la réglementation acoustique, vise expressément les nouvelles constructions ou les parties nouvelles ajoutées aux anciens bâtiments d’habitation.

En retour une soixantaine de départements français ont adopté un arrêté départemental rédigé suivant le modèle présenté dans la circulaire du ministre de la santé publique du 7 juin 1989 proposant que :
« Les éléments et équipements des bâtiments doivent être maintenus en bon état de manière qu’aucune diminution anormale des performances acoustiques n’apparaisse dans le temps ; Le même objectif doit être appliqué à leur remplacement »
et encore que :
« Les travaux ou aménagements, quels qu’ils soient, effectués dans les bâtiments ne doivent pas avoir pour effet de diminuer sensiblement les caractéristiques initiales d’isolement acoustique des parois »,
ce qui revient de fait à imposer l’absence de dégradation telle qu’implicitement fixée par l’article 9 précité de la loi du 10 juillet 1965

A la suite de la démonstration d’une dégradation de la qualité acoustique établie dans le cadre de l’instruction technique à l’aide de la machine à frapper, de nombreuses décisions de justice retiennent alors l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, comme par exemple:

- Cour d’appel de Paris - 2 mai 1983 (Gaz. Pal. 1983, 2, p. 457, note Morand)
« Considérant que les appelants font valoir à juste titre qu’ils ont droit à l’isolation phonique telle qu’elle a été contractuellement promise dans le devis descriptif… l’anormalité devant, comme tout trouble de voisinage, s’apprécier de façon concrète et spécifique en fonction de l’immeuble… »

- TGI de Bobigny - 28 janvier 1988 (confirmé par la Cour d’appel de Paris)
« Les modifications apportées par les époux X… au revêtement de sol de leur appartement ont amoindri l’isolation acoustique de celui-ci et causé un trouble de jouissance excédant les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris – 23 février 1990 (7ème chambre B)
« L’isolement acoustique existant ayant été atténué par une modification du revêtement de sol, il en résulte une perception de bruits d’impact excessifs et dépassant les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris - 8 avril 1999
« La diminution de l’isolation phonique résultant des travaux effectués est constitutive d’un trouble qui dépasse les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris - 23 novembre 2000
« Les occupants d’un immeuble ayant droit à une isolation phonique d’un niveau équivalent à celui promis dans le devis descriptif, c’est à bon droit que les premiers juges ont condamné les responsables du trouble anormal de voisinage »

- Cour d’appel de Douai - 21 mai 2001
« … en remplaçant les revêtements de sol de son appartement, un copropriétaire manquait à son obligation née du règlement de copropriété de veiller à la tranquillité de l’immeuble et de ne produire aucun bruit de nature à gêner les voisins, dès lors que l’isolation phonique des nouveaux revêtements de sol, même si elle était conforme aux valeurs réglementaires, était de moindre qualité que celle d’origine » (extrait des attendus du pourvoi)

Ces différentes décisions se trouvant fondées sur le principe suivant lequel une dégradation de la qualité acoustique, attestée par l’augmentation du bruit de la machine à frapper entre l’ancien et le nouveau revêtement, conduit à un trouble excessif pour le voisinage, il doit cependant être observé :
- que ladite machine à frapper, constituée de cinq marteaux de 500 g tombant alternativement de 4 cm de haut à raison de 10 coups par seconde, d’une part ne reproduit nullement le comportement d’un marcheur et d’autre part occasionne des bruits nettement plus élevés que ceux produits par des pas réels, y compris avec des chaussures à talons durs
- que la réaction des planchers des immeubles sous l’effet des chocs de cette machine est très différente suivant leur constitution, avec en particulier des résultats anormalement favorables sur des planchers flexibles en bois en comparaison des effets réels produits par la masse d’un marcheur ; à cet égard le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment avait élaboré dans les années soixante-dix un prototype de machine à frapper visant à reproduire le bruit réel de la marche.
et surtout :
- qu’il s’agît d’un bruit provoqué aux fins d’une analyse technique, tandis que l’occupant de l’appartement dont le revêtement de sol est moins isolant que celui d’origine peut alléguer avoir adapté son comportement, en particulier par le port de chaussures à semelles souples ou de chaussons, ou encore se trouver précautionneux, voire occuper très occasionnellement les lieux.

Suivant ces différentes interprétations il se trouve ainsi retenu un trouble de voisinage sur le fondement d’un désordre acoustique, en quelque sorte comme si le plancher constituait par lui-même le fait générateur de bruit.

L’ambiguïté d’un tel raisonnement causal n’a pas échappé à la Cour d’appel de Paris, qui dans son arrêt du 24 novembre 2004 écarte ainsi l’objection : « Considérant que certes les essais pratiqués peuvent être qualifiés d’artificiels dans la mesure où ils sont effectués avec un appareil, mais que cette manière de procéder est adaptée aux investigations nécessaires et n’appelle pas de critiques » .

La décision rendue le 30 juin 2009 par la Cour d’appel de Nîmes apporte une précision utile en rappelant que le trouble anormal de voisinage lié au bruit doit être certain et non hypothétique, qu’il s’agit d’un fait objectif qui doit être constaté et prouvé, comme la présence d’un voisin a priori bruyant ne suffit pas en soi à caractériser un trouble sonore a fortiori anormal:  « La circonstance que la salle associative construite par la SCI F… ne soit pas conforme à la réglementation acoustique et phonique ne fait pas par elle-même la preuve de la réalité de nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage, lesquelles doivent être effectivement constatées pour fonder la réparation du préjudice dont se plaint Madame X... » .

De la sorte plusieurs décisions conduisent à établir la distinction entre l’atteinte à la qualité acoustique et l’existence d’un trouble anormal :

- Cour d’appel de Paris - 8 janvier 1998
« Considérant que l’expert a mentionné que sur le sol du grand séjour et de la cuisine ont été posées des dalles en marbre… que l’existence de nuisances d’origine sonore n’a pas été constatée… qu’en tout état de cause n’est pas démontrée l’existence de troubles dépassant manifestement les inconvénients normaux de voisinage ».

- Cour d’appel d’Aix-en-Provence (4ème chambre civile section B) – 9 septembre 1997
« … les travaux litigieux entraînant une détérioration de l’isolation acoustique aux bruits d’impact, sans dépassement des normes réglementaires, ne nuisaient pas aux droits des copropriétaires, ne portaient pas atteinte à la destination de l’immeuble, dont l’isolation phonique d’origine n’était pas supérieure à celle imposée par les normes en vigueur et n’étaient pas à l’origine de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage … » (extrait des attendus du pourvoi).

- Cour d’appel de Chambéry - 30 août 2011
« Il n’est pas démontré l’existence d’un trouble anormal de voisinage ».

- Cour d’appel de Paris – 5 mars 2014
« Cependant, même si l’expert a pu constater une dégradation du confort acoustique par rapport à celui ayant pu exister à l’origine, il faut encore établir que cette dégradation constituait pour Madame M… un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage ».

Remarquons alors la précaution terminologique adoptée par la Cour d’appel de Versailles, qui dans la mission acoustique type reprise usuellement par les tribunaux du ressort fixe à l’expert:
« d’examiner les nuisances et/ou désordres allégués », de « procéder à toutes investigations utiles afin de renseigner l’existence de ces nuisances et/ou désordres »; ou encore « de donner un avis sur la réalité des nuisances et/ou désordres ».

Il apparaît bien suivant ladite juridiction une distinction à établir entre nuisance et désordre, laquelle doit inciter l’expert à s’interroger sur la différence de mode opératoire à adopter suivant l’objet de la demande afin d’apporter le meilleur éclairage au juge.

Par nuisance il est en général entendu ce qui nuit à la qualité de la vie ; l’origine étymologique de ce terme provenant du vieux mot français noise, synonyme de querelle, lequel se trouve défini par le dictionnaire Littré comme une « discorde accompagnée de bruit ». Remarquons que le mot noise signifie « bruit » en anglais, soit une origine linguistique commune.

La Cour d’appel de Versailles a retenu le terme de nuisance plutôt que celui de trouble, sans doute pour éviter à l’expert acousticien, qui est avant tout technicien, d’aborder des aspects psychologiques.

On remarque en effet que le trouble suggère l’idée d’affect, tandis que la nuisance, tout comme la pollution, caractérise d’abord une manifestation extérieure.

Mais en fait de quel trouble s’agit-il lorsqu’il est question suivant la théorie prétorienne issue de l’article 544 du Code civil de « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage » ?

A la lumière de la jurisprudence il apparaît que le trouble visé n’est pas le trouble de la personne à proprement parler mais plutôt le trouble de fait, définit de la manière suivante dans le dictionnaire du droit privé de Serge Braudo: « Une action commise sans droit par une ou plusieurs personnes qui empêchent une autre d’user de la chose dont elle est propriétaire, détenteur ou possesseur ».

Dans ces conditions il revient bien à l’expert de renseigner le fait contributif de l’empêchement, autrement dit l’origine physique et matérielle du trouble, et ceci dans le cadre non pas d’un risque ou d’une hypothèse mais d’une effective manifestation du bruit incriminé.

Toutefois la tâche de l’expert acousticien est parfois bien difficile pour attester du trouble lorsqu’il s’agit de bruits de comportement, le plus souvent irréguliers et susceptibles d’être prévenus par le suspecté bruiteur après l’annonce de visites dites inopinées, si ce n’est même dès que l’assignation a été délivrée par l’huissier.

Il est alors certain, en cas de changement de revêtement de sol et le cas échéant de modification de distribution de pièces, qu’une action fondée sur un désordre immobilier plutôt que sur le trouble à la personne est plus aisée à instruire par le technicien.

Citons encore le jugement du 11 mars 2004 du Tribunal de Grande instance de Toulouse lequel vient rappeler le droit de jouissance du copropriétaire procédant à des aménagements et l’atteinte à ce dernier en cas d’empêchement de réaliser des modifications privatives.

La difficulté provient ici de l’impossibilité en l’état de l’art de substituer à qualité acoustique équivalente une moquette même ordinaire par un parquet flottant ou un carrelage posés sur une sous-couche, y compris la plus isolante possible.

On rappelle en effet que l’efficacité de la qualité de protection au bruit de choc résulte de la capacité du revêtement de sol à s’enfoncer sous l’effet du choc. Une telle possibilité est offerte par une moquette qui s’écrase sous la pression du talon parce que la surface d’appui reste circonscrite à l’extrémité de la chaussure et que le matériau présente les capacités d’élasticité et de déformation correspondantes.

En retour dans le cas de pose d’un parquet, et quand bien même la moquette d’origine se trouve conservée comme sous-couche dudit parquet, il doit être retenu que l’appui du talon du marcheur se trouve alors réparti par les lames sur une plus grande surface de moquette, empêchant ainsi le poinçonnement de cette dernière et donc l’enfoncement nécessaire à l’isolement.  Autrement dit, en privant la moquette de s’écraser, le parquet en contrarie la qualité d’absorption des chocs et il en va de même de toute sous-couche de parquet et bien sûr de carrelage.


Interdisant alors à un copropriétaire la possibilité de choisir, à qualité de protection au bruit de choc équivalente, un autre revêtement de sol qu’une moquette, le Tribunal de Grande instance de Toulouse retient la nullité de la clause du règlement de copropriété: « En application des dispositions d’ordre public de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des autres copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble …


En l’espèce il est établi par l’expert et il n’est pas contesté qu’en l’état actuel des connaissances il est impossible d’obtenir d’un autre revêtement de sol les qualités d’isolation acoustiques produites par la moquette. Il s’ensuit que la clause du règlement de copropriété a pour effet d’interdire toute modification du type de revêtement initial … 

Il y a lieu dans ces conditions de prononcer l’annulation de l’alinéa 8 de la clause n°7 du règlement de copropriété, en ce qu’il porte atteinte à la liberté de jouissance des copropriétaires … 
Déboute les époux X… de leurs demandes tendant à la suppression du parquet flottant … ».


Mais alors, si l’on ne peut obliger un copropriétaire à remettre de la moquette et que l’on considère malgré tout que la dégradation apportée par le parquet atteint aux droits du voisin à une protection acoustique équivalente à celle prévue lors de l’établissement du règlement de copropriété, devient-il tout de même envisageable d’imposer audit copropriétaire d’adapter son comportement sachant la difficile corrélation, précédemment dénoncée, entre le désordre propre aux éléments de construction et le trouble qui résulte des conditions d’occupation ?

Remarquons à cet égard que si le propriétaire d’un bien est jugé responsable de troubles imputés à une insuffisance d’isolement (TGI Paris, 8ème ch. 25 janvier 2012), une telle insuffisance n’exonère pas le locataire d’adapter son comportement aux caractéristiques des lieux (CA Dijon, 29 janvier 1998).

A titre d’exemple la norme française P 05-100 de septembre 1991 relative aux « Conditions d’usage normal d’un logement » recommande les dispositions de comportement suivantes: 
« Si le sol ne comporte pas de dalle flottante ou équivalent ou s’il n’a pas été posé de moquette ou un revêtement de même effet, l’usage normal suppose qu’on ne porte pas de chaussures
pendant les heures normales de sommeil des voisins (c’est-à-dire de 22 h à 7 h).
Durant les mêmes heures, on ne doit pas se livrer à des activités entraînant des chocs sur le sol ou les murs. »

En tout état de cause l’isolement absolu entre appartements n’existant pas, il convient bien d’admettre l’atteinte inévitable à la jouissance imposée par l’habitat collectif et les frottements qui en résultent ; que ce soit de la part du bruiteur contraint dans ses aménagements et comportements et de la part du bruité obligé à une forme de tolérance à l’égard du voisinage ; en considérant que ce n’est pas l’inconvénient lui-même qui est répréhensible mais l’excès d’inconvénient.

Remarquons que les rôles de bruité ou de bruiteur sont relatifs, en particulier parce que les différences de comportement entre le sudiste et le nordiste se retrouvent à chaque degré de latitude terrestre et que l’âge avançant, il arrive parfois qu’on oublie d’avoir été jeune et sans doute aussi pétulant que son voisin.

Observons enfin qu’il n’est pas rare de constater que le demandeur qui se plaint du changement de revêtement de sol de son voisin a lui-même procédé à de telles modifications chez lui, comme d’ailleurs de nombreux autres résidents de l’immeuble ; ce qui ne manque pas de confirmer que l’allégation d’une dégradation de la qualité peut contenir implicitement des ressentiments que le seul désordre ne suffit à expliquer.

Sans doute le groupe de travail réuni en 1968 par la Direction de la construction afin d’élaborer la réglementation acoustique n’a-t’il donc pas considéré suffisamment l’exigence de pérennité qui devrait être attachée à toute règle constructive, en contribuant de fait à soumettre aux aléas des embellissements privatifs une exigence d’habitabilité aussi importante que celle de la protection aux bruits de choc entre appartements.

Une telle incohérence des règles de construction mériterait encore de s’interroger, cette fois dans un autre domaine que celui des relations de voisinage, sur l’impropriété à destination qui ne peut manquer de résulter de la dégradation d’une moquette dont la durée de vie moyenne reste inférieure à celle de la garantie décennale, à laquelle sont pour autant tenus les locateurs d’ouvrage en application du Code civil.

Mais c’est un autre débat.

Revue EXPERTS n° 144 - juin 2019