Différents médias locaux, français ou étrangers, font état depuis l’instauration du confinement d’une recrudescence de plaintes pour bruit de voisinage.
La région de gendarmerie de Normandie annonce près de 30 à 40 % d’appels en plus sur l’Eure et la Seine-Maritime.
A Narbonne la police constate une augmentation « importante » des différends entre voisins.
Dans l’agglomération de Soissons une trentaine de faits ont été recensés entre le 18 mars et le 9 avril « La seule différence par rapport à la situation habituelle est que nous intervenons pour des tapages diurnes ; Ce qui arrive normalement très rarement » explique un gendarme.
Le patron de la police de Toulouse fait état d’une augmentation de 20% des appels au 17 ; une chiffre qui s’explique par « une augmentation importante des interventions pour tapages, différents de voisinage, mais aussi des violences intra-familiales ».
A Genève la police cantonale compte une centaine d’interventions en plus par semaine par rapport à la même période l’année passée.
Dans le canton de Fribourg la police est intervenue 38 fois en dix jours, soit plus du double que l’année dernière à la même époque.
A Granby, dans la province de Québec, le Service de police de la ville indique recevoir un nombre d’appels plus élevé qu’à l’habitude de « plaintes de bruit et du voisinage ».
Devant l’ « explosion » des plaintes pour nuisances sonores, le directeur général de l’office public pour l’habitat du jura déplore une « pénurie de civisme ».
L’expression de la plainte telle que rapportée par ces médias locaux apparaît très variée.
« Pour Yann, 29 ans, les nuisances sonores des voisins étaient déjà un problème mais le confinement aggrave les choses « Les deux premiers jours, avec un casque sur les oreilles, ça a permis de relativiser un peu », explique le jeune homme qui télétravaille, mais après quatre jours il n’en peut plus « J’ai le sentiment d’être désormais otage des bruits de pas d’éléphant, des chaises qui grincent sur le carrelage et de leurs karaokés dissonants ».« Notre voisin du dessus alterne tous les jours les travaux, l’aspirateur trois fois par jour et une playlist à fond, avec les mêmes chansons en boucle » raconte Olga, 24 ans.« Pour Alexis, ce sont les ébats bruyants qui sont durs à supporter « Ils ont fait ça quatre fois en une matinée, ça me rend ouf ».« Je n’en peux plus. Les enfants des voisins crient et tapent toute la journée par terre » explique Valérie, dans la soixantaine ».« Notre fils travaille ses examens, mais les mômes des voisins cognent les murs, hurlent, et les parents leur crient dessus » raconte Sophie ».« Mes enfants n’arrivent pas à s’endormir le soir, car mon voisin du dessus fait beaucoup de bruit jusqu’à 23h » s’inquiète Sonia, 33 ans ».« Ceux du palier mettent la musique à fond et au-dessus, ils se disputent et s’insultent en hurlant. Ça crée une atmosphère très pesante » indique un cadre d’entreprise en chômage partiel ».
Mais ces différents témoignages permettent-ils de retenir que le trouble se trouve effectivement répandu ?
L’enquête réalisée pour CONSOLAB par l’IFOP sur les « conditions de logement des Français confinés » à partir d’un échantillon de 3000 personnes jugé représentatif de la population française a précisément conduit à poser la question suivante : « Et depuis que vous êtes confiné, vous arrive-t ’il de souffrir du bruit de votre voisinage ? »
La réponse des personnes est de prime abord un peu inattendue :
- 68 % ne voient pas de différence- 21 % sont moins gênés qu’auparavant- 11 % déclarent souffrir davantage
Sans doute ces résultats méritent-ils de se trouver relativisés en particulier en considération de ce que 12 % des franciliens ont quitté leur région (plutôt 17 % suivant l’opérateur ORANGE) et que l’occupation significative de maisons individuelles a même augmenté de 56 % à 63 % depuis le début du confinement.
Par ailleurs 22% des sondés indiquant souffrir davantage de promiscuité ou d’un manque d’intimité par rapport aux personnes vivant sous le même toit et 29 % des actifs affirmant éprouver des difficultés à travailler en présence des autres membres du foyer, une confusion des ressentiments reste toujours possible; mais il est surtout permis de proposer qu'on entend moins le bruit de ses voisins quand il y en a plus chez soi.
En tout état de cause 41 % des personnes interrogées déclarent souffrir plus qu’auparavant de « périodes intenses de stress, de nervosité ou d’anxiété » depuis qu’ils sont confinés.
Une publication récente du LANCET (revue scientifique britannique) confirme l’impact négatif du confinement, avec l’apparition ou l’amplification de troubles de l’humeur (anxiété, angoisse, colère, peur, agressivité, chute de moral, dépression), d'états de confusion mentale, des risques augmentés de suicide, voire l’instauration d’un syndrome de stress post-traumatique (trouble anxieux sévère à la suite d’un événement traumatique).
Les explications données sont multiples et il convient bien sûr de retenir le risque d’être contaminé avec celui de transmettre le virus à ses proches, la déstructuration du temps et de l’espace ainsi que les nombreuses incertitudes que la pandémie fait peser.
Pour l’acousticien un des facteurs important de trouble lié au confinement est la diminution du niveau sonore ambiant extérieur, contribuant de fait à priver l’intérieur de l'habitat de l’effet de masque indispensable à l’intimité.
Il est rappelé ici que l’audibilité d’une source de bruit tient davantage de son émergence, c’est-à-dire de son dépassement par rapport au bruit de fond, que de son niveau intrinsèque.
On observera par analogie que les rochers aux bord de la mer sont toujours au même niveau, mais qu’on les voit davantage à marée basse qu’à marée haute. Il en va ainsi de la perception des bruits et certainement ceux du voisinage; que le confinement contribue ainsi indirectement à faire apparaître par suite de l’abaissement du bruit de fond de la ville.
A cet égard l’organisme de surveillance BRUITPARIF constate une diminution du niveau de bruit ambiant dans Paris intra-muros de 8 à 9 dB(A) le long de différentes voies et de 11 à 20 dB(A) le week-end dans des quartiers de bars et de restaurants.
De même l’organisme ACOUCITE en Rhône-Alpes observe une réduction du niveau sur la place Bellecour à Lyon de 8 à 11 dB(A) le jour et jusqu’à 13 dB(A) la nuit en période de week-end, ainsi que de 6 dB(A) le jour et de 8 à 10 dB(A) la nuit dans la grande rue de Gières près de Grenoble.
De telles réductions très significatives, y compris physiologiquement, du niveau de bruit ambiant ont ainsi pour effet d’augmenter la perception des bruits de voisinage et les désagréments correspondants; soit le même impact négatif que lorsqu’on remplace chez soi des fenêtres anciennes par des menuiseries étanches à l’air et donc au bruit.
Cette nouvelle perception sonore de la ville engendre des avis très partagés.
D’aucuns s’enthousiasment de la perception heureuse de bruits naturels, tels que des champs d’oiseaux ou le bruissement des feuilles dans les arbres.
D’autres au contraire vivent très mal la ville silencieuse; un octogénaire romain explique que cette situation extraordinaire a bouleversé son quotidien. “La seule chose qui m’angoisse, c’est le silence… On n’entend pas un bruit, pas une voiture, les rues sont vides… Quand on sort marcher et qu’on entend des pas derrière soi, on a presque peur et on se retourne inquiet” dit-il.
L’historien Alain Corbin, auteur d’une Histoire du silence de la renaissance à nos jours, explique ainsi :
« Nos villes se sont soudain transformées en sites archéologiques du futur. Le bruit de fond des voitures a disparu. L'absence de bruit n'est jamais naturelle dans une ville. La situation que nous vivons renvoie inconsciemment au silence de la campagne par nuit noire. Mais plus que l'angoisse, c'est l'ennui qu'il semble distiller. C'est le fameux silence du dimanche, lorsque les gens avaient le nez collé à la vitre sans pouvoir sortir. Pensez à la chanson de Trenet « Les Enfants s'ennuient le dimanche ». Peut-être les Français associent-ils le confinement d'aujourd'hui à un très long dimanche. D'ailleurs, ils éprouvent très symboliquement le besoin de le rompre, chaque soir, par les salves d'applaudissements destinés aux soignants. »
On peut ainsi souhaiter que ce partage sonore entre balcons puisse inaugurer de nouvelles formes de relations de voisinage : « Hier soir, nous avons organisé un apéro balcon avec de la musique, nous étions tous à notre terrasse en train de boire un verre en dansant ! Un super esprit de groupe et de solidarité » s’enthousiasme Sophia.