jeudi 2 avril 2015

EXPERTISES DU FUTUR EN ACOUSTIQUE

Il est bien difficile d'anticiper le contentieux à venir en matière acoustique, si ce n'est peut-être en considérant la progression de la demande de confort sonore ainsi que les modifications constructives attendues des dispositions relatives à la transition énergétique.

SUR LE CONFORT ACOUSTIQUE 

Concernant l’aspect du confort sonore, il convient d’abord de souligner que les critères réglementaires et normatifs actuels d’appréciation de la qualité acoustique des constructions se trouvent très en retrait du domaine de sensibilité de l’appareil auditif et décalés par rapport au mécanisme de la sensation sonore.

Observons à cet égard que le ressenti d’un bruit est pour l’essentiel proportionnel au bruit de fond ; plus le bruit ambiant est faible plus les bruits particuliers deviennent perceptibles.

Ainsi un bruit d’ascenseur de 30 dB(A) ne manque pas d’apparaître fort lorsque le bruit de fond est bas, aux alentours de 20 dB(A) par exemple, tandis que ce même bruit d’ascenseur apparaît au contraire faible lorsque le bruit ambiant est également de l’ordre de 30 dB(A).

Autrement dit la force ressentie d’un bruit ne tient pas du niveau du bruit mais de son émergence ; bien que les rochers au bord de la mer restent toujours au même niveau, on les aperçoit d’avantage à marée basse qu’à marée haute.

Quand les ministres de la Construction et de la Santé publique ont proposé en 1963 de limiter le bruit des ascenseurs à 30 dB(A) dans les logements neufs (circulaire du 17 décembre 1963 prise en application du décret du 22 octobre 1955), c’est au motif que les fenêtres des immeubles d’habitation n’étaient alors pas très étanches et que les bruits qui parvenaient de l’extérieur étaient du même ordre de grandeur et qu’ils pouvaient donc contribuer à les masquer, si ce n’est les confondre.

Chacun peut constater qu’en l’espace de cinquante ans le calfeutrement des baies a considérablement évolué et que le bruit de fond dans les logements est aujourd’hui couramment de 20 dB(A), ce qui rend totalement incongrue cette limite de 30 dB(A) fixée pour les bruits d’équipements en 1963, mais toujours en vigueur pour la réglementation de la construction et curieusement pour l’obtention des labels Habitat et Environnement ou Qualitel.

L’autre incongruité des critères réglementaires et normatifs par rapport à la sensibilité de l’oreille est de ne pas tenir compte des bruits de basse fréquence, ceux situés en dessous de la bande d’octave centrée sur 125 Hz.

Il est ainsi très difficile d’expliquer à un plaignant que le bruit de la musique « techno» du voisin ou le ronronnement sourd du caisson de VMC ne sont pas prévus pour être contenus par le législateur ou le certificateur et par suite par les constructeurs.

L’augmentation prévisible du contentieux de bruit dans le domaine de la construction relève donc de l’inadéquation entre la qualité de l’offre et celle de la demande, mais surtout de la désinformation de nos concitoyens laissant penser que les seuils réglementaires ainsi que les critères des labels environnementaux ou de qualité viseraient le confort tandis qu’il n’est question que de prévenir l’infraction.

Rappelons à cet égard que la 3ème chambre civile de la cour de cassation a retenu dans une décision du 8 mars 1978 visant une affaire de bruit que les règlements fixent un « seuil de danger et non de gêne » et rappelons encore que la « propriété à destination » à laquelle sont tenus les locateurs d’ouvrage en application de l’article 1792 du code civil n’est pas réductible à la satisfaction des seuils réglementaires.

Tout ceci devrait donc conduire les pouvoirs publics et les certificateurs à d’autres positionnements et a minima à une caractérisation modulée de la qualité acoustique des ouvrages par exemple au moyen de labels acoustiques de type 1 oreille, 2 oreilles ou 3 oreilles.

SUR LES ECONOMIES D’ENERGIE

L’autre motif proposé dans le cadre d’une projection sur le contentieux et la pathologie future sur le bruit pourrait concerner la dégradation de la qualité acoustique engendrée par les actions d’économie d’énergie.

L’orientation et la compacité des bâtiments

La recherche des apports thermiques gratuits guide l’orientation des façades et le dimensionnement des baies suivant la direction du soleil, tandis que les sources de bruit de l’environnement dont il convient de se protéger ne sont pas évidemment pas toujours situées au nord.

Par ailleurs l’optimisation de la surface extérieure des bâtiments conduit à regrouper ces derniers ; d’où la densification du bâti, l’augmentation des proximités et par suite le développement des maisons en bandes plutôt qu’individuelles, ce qui n’est pas sans conséquence sur le bruit de voisinage.

L’isolation thermique des murs et l’inertie

Les doublages thermiques intérieurs rapportés contre les parois des façades ont pour effet d’augmenter la transmission des bruits entre appartements effet de résonance du mur doublé, or ce dernier coïncide plus ou moins suivant la nature de l’isolant avec les fréquences de sensibilité de l’oreille 

Par ailleurs les exigences de stockage de l’énergie et de confort thermique d’été conduisent à privilégier l’isolement thermique par l’extérieur et par suite à augmenter la réverbération dans les locaux puisque les doublages acoustiques intérieurs contribuent certes à augmenter la transmission de bruit entre voisins mais absorbent les sons en basse fréquence.

Les équipements techniques

Outre l’installation de ventilation mécanique double flux, la transition énergétique favorise le développement d’équipements tels que les P.A.C. et V.R.V. ou plus rarement les éoliennes domestiques, qui à défaut de précautions de sélection et d'aménagement se révèlent à la fois bruyants et vibrants dans l’environnement des habitations.

L’imperméabilité à l’air et la ventilation

La limitation de la porosité de l’enveloppe, surtout au droit des baies, contribue à abaisser le bruit de fond dans les logements tandis que le confinement aéraulique qui en résulte nécessite l’installation de réseaux de gaines entre les pièces propices à la transmission des bruits, dont celui des ventilateurs.

On revient ici à l’exemple de l’ascenseur d’autant plus bruyant que le niveau de bruit de fond est faible.

A l’évidence la transition énergétique ne va pas manquer d’engendrer un vaste contentieux, tel celui engendré il y a quelques années dans les immeubles HBM le long des boulevards des maréchaux, lorsque le remplacement des fenêtres des immeubles anciens a privé les habitants de ce bruit extérieur indispensable à l’intimité de la vie familiale et aux bonnes relations de voisinage.

Observons que nul renforcement acoustique intérieur n’est de nature à compenser la réduction critique du bruit de fond dans toutes les fréquences audibles des bruits de voisinage permettant de recouvrer la protection initiale.

EN CONCLUSION

Les dispositions architecturales et techniques propres à abaisser la consommation d’énergie ont un impact direct sur l’ambiance sonore des habitations.

Il reste certes possible de concilier l'exigence acoustique au sens restreint de son acception normative actuelle, toutefois la perception auditive revêt une toute autre dimension.

Pour prévenir la demande en justice, il conviendrait sans doute d’avoir la probité de dire clairement à nos concitoyens que les règles de construction et les labels de qualité ne visent, suivant les termes de la cour de cassation, qu’à prévenir un danger et non une gêne et de prendre le soin d’éviter de s’engager au confort dès lors que l’objectif visé se trouve confondu avec le seuil d’infraction.

Enfin, et toujours dans le but de limiter les recours, il faudrait expliquer aux habitants des immeubles anciens avant de procéder au renforcement de l’isolement de leur façade que les économies d’énergie supposent en retour de supporter le bruit des voisins.

Il reste toutefois permis d’escompter que la considération de l’impact économique du bruit en matière de dépenses de santé et de baisse de productivité vienne aussi susciter pour l’avenir la nécessité de relativiser l’impératif énergétique pour une forme d’écologie plus humaine.

COLLOQUE CNIDECA – 02/04/15 - « BATIMENT DE DEMAIN / EXPERTISES DU FUTUR »