dimanche 30 juin 2019

CHANGEMENT DE REVETEMENT DE SOL: TROUBLE OU DESORDRE ?

Lorsque la Direction de la construction a réuni en 1968 un groupe de travail interprofessionnel en vue d’élaborer la réglementation acoustique des bâtiments d’habitation et que le thème de la protection au bruit de choc entre appartements a été abordé, la question s’est alors posée de savoir si le critère d’exigence devait être fixé avec ou sans le revêtement de sol

La protection au bruit de choc hors revêtement de sol, c’est-à-dire depuis le plancher brut, imposant de fait la réalisation d’une chape flottante, les représentants des maîtres d’ouvrages sociaux ont fait valoir le renchérissement occasionné par une telle prestation, et comme il était difficile d’imposer des contraintes différentes suivant les types de logements il a finalement été retenu pour exigence une «isolation des planchers y compris les revêtements de sol » ; telle que définie par l’arrêté du 14 juin 1969 établissant pour la première fois officiellement les règles acoustiques de construction.

On rappelle que l’exigence réglementaire se trouve fixée en France en termes de performances, tandis que dans d’autres pays européens, comme par exemple en Allemagne, les prescriptions sont d’ordre normatif et renseignent les moyens à adopter ; avec pour ce pays des vérifications du bruit de choc réalisées hors revêtement de sol.

Ledit arrêté du 14 juin 1969 a ainsi confirmé l’usage suivant lequel dans un immeuble collectif le revêtement de sol contribue grandement, si ce n’est pour l’essentiel, à la protection au bruit de choc des appartements contigus et du dessous vis-à-vis des déplacements, en particulier des claquements de talon des chaussures de ville, ainsi que de la chute d’objets.

La pose de moquette constituant depuis les années cinquante un critère de confort, si ce n’est de standing, les maîtres d’ouvrage ont donc continué en application de la réglementation acoustique à poser ce type de revêtement directement sur les dalles de plancher en béton.

Cette habitude a perduré jusque dans les années quatre-vingt-dix où le parquet, alors devenu la référence de qualité dans le domaine de l’accession à la propriété, a remplacé la moquette et entraîné de fait la réalisation de chapes flottantes sur les planchers des nouvelles constructions.

Durant près de trente ans les immeubles en copropriété ont donc été conçus avec le revêtement de sol pour tout moyen de protection au bruit de choc entre voisins, en dépit de ce que ledit revêtement n’est pas une partie commune, mais réservé à l’usage et à la jouissance exclusifs du propriétaire du lot.

Pour prévenir la difficulté liée à cette ambiguïté les rédacteurs des règlements de copropriété ont parfois prévu en application de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 la clause fixant que le revêtement de sol des appartements ne peut être remplacé par un matériau de performance acoustique moindre que celui d’origine.

Il est rappelé que ledit article 9 prescrit que : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble ».

On remarque que la moquette la plus ordinaire, en velours ras ou bouclé sur dossier mousse, disposée par les constructeurs dans les pièces principales des logements de standing courant, contribuait déjà à une protection au bruit de choc de qualité et en tout cas très nettement supérieure au seuil d’infraction fixé par la réglementation de la construction.

On rappelle à cet égard que le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment proposait déjà de considérer dans le REEF (recueil des règles de l’art) édité en 1982 que le simple respect des valeurs réglementaires ne permettait pas d’assurer un confort « satisfaisant » lorsque l’environnement était silencieux et, s’agissant du domaine du bruit de voisinage, il est observé que la Cour de cassation retient que le seuil réglementaire correspond à un seuil de danger et non de gêne (Civ. 3ème, 8 mars 1978, D.1978.641, note Larroumet).

La mode changeant et au motif d’hygiène sanitaire (les revêtements textiles réduiraient cependant favorablement la dispersion des allergènes dans l’air), les nouveaux occupants de ces appartements construits dans les années 70/90 ont très largement remplacé la moquette par du parquet, si ce n’est par du carrelage, et l’augmentation des bruits de pas et de chocs en résultant pour les voisins a eu pour effet d’alimenter un contentieux important, aggravé parfois des inconvénients inhérents aux changements de distribution de pièces, telle que l’installation d’une cuisine au-dessus d’une chambre.

Bien qu’il s’agisse à l’origine de trouble de voisinage, l’apparition ou pour le moins l’excès de bruit allégués en l’espèce par les demandeurs se trouvent le plus souvent motivés dans l’assignation par la dégradation de la qualité acoustique, autrement dit par un désordre immobilier.

Dans ce cadre, l’instruction technique judiciaire porte sur l’appréciation de la qualité de protection au bruit de choc procurée par le nouveau revêtement de sol en comparaison de celle assurée par le matériau d’origine de la construction; ce dernier étant en quelque sorte retenu comme référence contractuelle de confort acoustique dans l’immeuble.

Il est constaté lors des opérations d’expertise que la nature du revêtement de sol d’origine peut parfois se trouver difficile à établir à défaut de production d’une notice descriptive contractuelle (cas de la vente en VEFA). Cependant il n’est pas rare de retrouver ce revêtement au fond des placards et les parties dans la cause sont alors invitées à procéder à un repérage dans différents appartements de l’immeuble afin de présumer de la nature du matériau de référence.

Lorsque le revêtement de sol d’origine existe encore dans une pièce non modifiée de l’appartement, si ce n’est dans un autre appartement de l’immeuble, ou encore lorsqu’on constate la présence d’un matériau équivalent, l’expert acousticien procède alors à une mesure comparative au moyen de la machine à frapper normalisée, dite encore machine à choc, comportant des marteaux frappant sur le sol.

On rappelle que ce type de machine présente des modalités de frappe fixées par une norme internationale et qu’en conséquence des essais réalisés par des appareils de différentes marques sont comparables.

En cas d’impossibilité de mesure comparative dans l’immeuble et en présence d’un plancher dont on connait bien les performances par suite de multiples essais in-situ ou en laboratoire, comme par exemple une dalle pleine en béton armé, l’expert peut encore rapprocher le résultat de la mesure réalisée sur le revêtement modifié de celui estimé par le calcul sur la base des performances du matériau d’origine évaluées en laboratoire (les catalogues des fabricants et les publications techniques renseignent l’indice d’amélioration au bruit de choc « DLw » intrinsèque des revêtements de sol).

On remarque qu’il convient certainement de distinguer le revêtement de sol d’origine de la construction vis-à-vis des revêtements de sol posés par les copropriétaires précédents ; il arrive ainsi parfois que des copropriétaires successifs du même appartement aient chacun leur tour aggravé la situation par le nombre de pièces modifiées et la mise en place au cours du temps de matériaux plus ou moins isolants.

A l’inverse la situation a pu être améliorée durant une période ; c’est en particulier le cas des appartements haussmanniens dont le revêtement de sol d’origine en parquet a été recouvert de moquette. Toutefois dans ce cadre il n’est pas rare que la dépose de la moquette ne se trouve accompagnée de modalités d’occupation plus bruyantes de la part des nouveaux occupants, à la fois plus jeunes que les précédents, ayant des enfants en bas âge, et susceptibles pour ces motifs de changer les habitudes du voisinage.

Il est important de souligner que l’analyse de la dégradation est d’autant plus importante pour renseigner le litige qu’il n’existe pas de référentiel de qualité de protection au bruit de choc dans un immeuble ancien et que les modifications apportées dans l’existant ne sont pas soumises aux dispositions en vigueur pour les nouvelles constructions.

On rappelle en effet que l’article R.111-1-1 du Code de la construction et de l’habitation, auquel fait référence la réglementation acoustique, vise expressément les nouvelles constructions ou les parties nouvelles ajoutées aux anciens bâtiments d’habitation.

En retour une soixantaine de départements français ont adopté un arrêté départemental rédigé suivant le modèle présenté dans la circulaire du ministre de la santé publique du 7 juin 1989 proposant que :
« Les éléments et équipements des bâtiments doivent être maintenus en bon état de manière qu’aucune diminution anormale des performances acoustiques n’apparaisse dans le temps ; Le même objectif doit être appliqué à leur remplacement »
et encore que :
« Les travaux ou aménagements, quels qu’ils soient, effectués dans les bâtiments ne doivent pas avoir pour effet de diminuer sensiblement les caractéristiques initiales d’isolement acoustique des parois »,
ce qui revient de fait à imposer l’absence de dégradation telle qu’implicitement fixée par l’article 9 précité de la loi du 10 juillet 1965

A la suite de la démonstration d’une dégradation de la qualité acoustique établie dans le cadre de l’instruction technique à l’aide de la machine à frapper, de nombreuses décisions de justice retiennent alors l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, comme par exemple:

- Cour d’appel de Paris - 2 mai 1983 (Gaz. Pal. 1983, 2, p. 457, note Morand)
« Considérant que les appelants font valoir à juste titre qu’ils ont droit à l’isolation phonique telle qu’elle a été contractuellement promise dans le devis descriptif… l’anormalité devant, comme tout trouble de voisinage, s’apprécier de façon concrète et spécifique en fonction de l’immeuble… »

- TGI de Bobigny - 28 janvier 1988 (confirmé par la Cour d’appel de Paris)
« Les modifications apportées par les époux X… au revêtement de sol de leur appartement ont amoindri l’isolation acoustique de celui-ci et causé un trouble de jouissance excédant les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris – 23 février 1990 (7ème chambre B)
« L’isolement acoustique existant ayant été atténué par une modification du revêtement de sol, il en résulte une perception de bruits d’impact excessifs et dépassant les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris - 8 avril 1999
« La diminution de l’isolation phonique résultant des travaux effectués est constitutive d’un trouble qui dépasse les inconvénients normaux de voisinage »

- Cour d’appel de Paris - 23 novembre 2000
« Les occupants d’un immeuble ayant droit à une isolation phonique d’un niveau équivalent à celui promis dans le devis descriptif, c’est à bon droit que les premiers juges ont condamné les responsables du trouble anormal de voisinage »

- Cour d’appel de Douai - 21 mai 2001
« … en remplaçant les revêtements de sol de son appartement, un copropriétaire manquait à son obligation née du règlement de copropriété de veiller à la tranquillité de l’immeuble et de ne produire aucun bruit de nature à gêner les voisins, dès lors que l’isolation phonique des nouveaux revêtements de sol, même si elle était conforme aux valeurs réglementaires, était de moindre qualité que celle d’origine » (extrait des attendus du pourvoi)

Ces différentes décisions se trouvant fondées sur le principe suivant lequel une dégradation de la qualité acoustique, attestée par l’augmentation du bruit de la machine à frapper entre l’ancien et le nouveau revêtement, conduit à un trouble excessif pour le voisinage, il doit cependant être observé :
- que ladite machine à frapper, constituée de cinq marteaux de 500 g tombant alternativement de 4 cm de haut à raison de 10 coups par seconde, d’une part ne reproduit nullement le comportement d’un marcheur et d’autre part occasionne des bruits nettement plus élevés que ceux produits par des pas réels, y compris avec des chaussures à talons durs
- que la réaction des planchers des immeubles sous l’effet des chocs de cette machine est très différente suivant leur constitution, avec en particulier des résultats anormalement favorables sur des planchers flexibles en bois en comparaison des effets réels produits par la masse d’un marcheur ; à cet égard le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment avait élaboré dans les années soixante-dix un prototype de machine à frapper visant à reproduire le bruit réel de la marche.
et surtout :
- qu’il s’agît d’un bruit provoqué aux fins d’une analyse technique, tandis que l’occupant de l’appartement dont le revêtement de sol est moins isolant que celui d’origine peut alléguer avoir adapté son comportement, en particulier par le port de chaussures à semelles souples ou de chaussons, ou encore se trouver précautionneux, voire occuper très occasionnellement les lieux.

Suivant ces différentes interprétations il se trouve ainsi retenu un trouble de voisinage sur le fondement d’un désordre acoustique, en quelque sorte comme si le plancher constituait par lui-même le fait générateur de bruit.

L’ambiguïté d’un tel raisonnement causal n’a pas échappé à la Cour d’appel de Paris, qui dans son arrêt du 24 novembre 2004 écarte ainsi l’objection : « Considérant que certes les essais pratiqués peuvent être qualifiés d’artificiels dans la mesure où ils sont effectués avec un appareil, mais que cette manière de procéder est adaptée aux investigations nécessaires et n’appelle pas de critiques » .

La décision rendue le 30 juin 2009 par la Cour d’appel de Nîmes apporte une précision utile en rappelant que le trouble anormal de voisinage lié au bruit doit être certain et non hypothétique, qu’il s’agit d’un fait objectif qui doit être constaté et prouvé, comme la présence d’un voisin a priori bruyant ne suffit pas en soi à caractériser un trouble sonore a fortiori anormal:  « La circonstance que la salle associative construite par la SCI F… ne soit pas conforme à la réglementation acoustique et phonique ne fait pas par elle-même la preuve de la réalité de nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage, lesquelles doivent être effectivement constatées pour fonder la réparation du préjudice dont se plaint Madame X... » .

De la sorte plusieurs décisions conduisent à établir la distinction entre l’atteinte à la qualité acoustique et l’existence d’un trouble anormal :

- Cour d’appel de Paris - 8 janvier 1998
« Considérant que l’expert a mentionné que sur le sol du grand séjour et de la cuisine ont été posées des dalles en marbre… que l’existence de nuisances d’origine sonore n’a pas été constatée… qu’en tout état de cause n’est pas démontrée l’existence de troubles dépassant manifestement les inconvénients normaux de voisinage ».

- Cour d’appel d’Aix-en-Provence (4ème chambre civile section B) – 9 septembre 1997
« … les travaux litigieux entraînant une détérioration de l’isolation acoustique aux bruits d’impact, sans dépassement des normes réglementaires, ne nuisaient pas aux droits des copropriétaires, ne portaient pas atteinte à la destination de l’immeuble, dont l’isolation phonique d’origine n’était pas supérieure à celle imposée par les normes en vigueur et n’étaient pas à l’origine de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage … » (extrait des attendus du pourvoi).

- Cour d’appel de Chambéry - 30 août 2011
« Il n’est pas démontré l’existence d’un trouble anormal de voisinage ».

- Cour d’appel de Paris – 5 mars 2014
« Cependant, même si l’expert a pu constater une dégradation du confort acoustique par rapport à celui ayant pu exister à l’origine, il faut encore établir que cette dégradation constituait pour Madame M… un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage ».

Remarquons alors la précaution terminologique adoptée par la Cour d’appel de Versailles, qui dans la mission acoustique type reprise usuellement par les tribunaux du ressort fixe à l’expert:
« d’examiner les nuisances et/ou désordres allégués », de « procéder à toutes investigations utiles afin de renseigner l’existence de ces nuisances et/ou désordres »; ou encore « de donner un avis sur la réalité des nuisances et/ou désordres ».

Il apparaît bien suivant ladite juridiction une distinction à établir entre nuisance et désordre, laquelle doit inciter l’expert à s’interroger sur la différence de mode opératoire à adopter suivant l’objet de la demande afin d’apporter le meilleur éclairage au juge.

Par nuisance il est en général entendu ce qui nuit à la qualité de la vie ; l’origine étymologique de ce terme provenant du vieux mot français noise, synonyme de querelle, lequel se trouve défini par le dictionnaire Littré comme une « discorde accompagnée de bruit ». Remarquons que le mot noise signifie « bruit » en anglais, soit une origine linguistique commune.

La Cour d’appel de Versailles a retenu le terme de nuisance plutôt que celui de trouble, sans doute pour éviter à l’expert acousticien, qui est avant tout technicien, d’aborder des aspects psychologiques.

On remarque en effet que le trouble suggère l’idée d’affect, tandis que la nuisance, tout comme la pollution, caractérise d’abord une manifestation extérieure.

Mais en fait de quel trouble s’agit-il lorsqu’il est question suivant la théorie prétorienne issue de l’article 544 du Code civil de « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage » ?

A la lumière de la jurisprudence il apparaît que le trouble visé n’est pas le trouble de la personne à proprement parler mais plutôt le trouble de fait, définit de la manière suivante dans le dictionnaire du droit privé de Serge Braudo: « Une action commise sans droit par une ou plusieurs personnes qui empêchent une autre d’user de la chose dont elle est propriétaire, détenteur ou possesseur ».

Dans ces conditions il revient bien à l’expert de renseigner le fait contributif de l’empêchement, autrement dit l’origine physique et matérielle du trouble, et ceci dans le cadre non pas d’un risque ou d’une hypothèse mais d’une effective manifestation du bruit incriminé.

Toutefois la tâche de l’expert acousticien est parfois bien difficile pour attester du trouble lorsqu’il s’agit de bruits de comportement, le plus souvent irréguliers et susceptibles d’être prévenus par le suspecté bruiteur après l’annonce de visites dites inopinées, si ce n’est même dès que l’assignation a été délivrée par l’huissier.

Il est alors certain, en cas de changement de revêtement de sol et le cas échéant de modification de distribution de pièces, qu’une action fondée sur un désordre immobilier plutôt que sur le trouble à la personne est plus aisée à instruire par le technicien.

Citons encore le jugement du 11 mars 2004 du Tribunal de Grande instance de Toulouse lequel vient rappeler le droit de jouissance du copropriétaire procédant à des aménagements et l’atteinte à ce dernier en cas d’empêchement de réaliser des modifications privatives.

La difficulté provient ici de l’impossibilité en l’état de l’art de substituer à qualité acoustique équivalente une moquette même ordinaire par un parquet flottant ou un carrelage posés sur une sous-couche, y compris la plus isolante possible.

On rappelle en effet que l’efficacité de la qualité de protection au bruit de choc résulte de la capacité du revêtement de sol à s’enfoncer sous l’effet du choc. Une telle possibilité est offerte par une moquette qui s’écrase sous la pression du talon parce que la surface d’appui reste circonscrite à l’extrémité de la chaussure et que le matériau présente les capacités d’élasticité et de déformation correspondantes.

En retour dans le cas de pose d’un parquet, et quand bien même la moquette d’origine se trouve conservée comme sous-couche dudit parquet, il doit être retenu que l’appui du talon du marcheur se trouve alors réparti par les lames sur une plus grande surface de moquette, empêchant ainsi le poinçonnement de cette dernière et donc l’enfoncement nécessaire à l’isolement.  Autrement dit, en privant la moquette de s’écraser, le parquet en contrarie la qualité d’absorption des chocs et il en va de même de toute sous-couche de parquet et bien sûr de carrelage.


Interdisant alors à un copropriétaire la possibilité de choisir, à qualité de protection au bruit de choc équivalente, un autre revêtement de sol qu’une moquette, le Tribunal de Grande instance de Toulouse retient la nullité de la clause du règlement de copropriété: « En application des dispositions d’ordre public de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des autres copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble …


En l’espèce il est établi par l’expert et il n’est pas contesté qu’en l’état actuel des connaissances il est impossible d’obtenir d’un autre revêtement de sol les qualités d’isolation acoustiques produites par la moquette. Il s’ensuit que la clause du règlement de copropriété a pour effet d’interdire toute modification du type de revêtement initial … 

Il y a lieu dans ces conditions de prononcer l’annulation de l’alinéa 8 de la clause n°7 du règlement de copropriété, en ce qu’il porte atteinte à la liberté de jouissance des copropriétaires … 
Déboute les époux X… de leurs demandes tendant à la suppression du parquet flottant … ».


Mais alors, si l’on ne peut obliger un copropriétaire à remettre de la moquette et que l’on considère malgré tout que la dégradation apportée par le parquet atteint aux droits du voisin à une protection acoustique équivalente à celle prévue lors de l’établissement du règlement de copropriété, devient-il tout de même envisageable d’imposer audit copropriétaire d’adapter son comportement sachant la difficile corrélation, précédemment dénoncée, entre le désordre propre aux éléments de construction et le trouble qui résulte des conditions d’occupation ?

Remarquons à cet égard que si le propriétaire d’un bien est jugé responsable de troubles imputés à une insuffisance d’isolement (TGI Paris, 8ème ch. 25 janvier 2012), une telle insuffisance n’exonère pas le locataire d’adapter son comportement aux caractéristiques des lieux (CA Dijon, 29 janvier 1998).

A titre d’exemple la norme française P 05-100 de septembre 1991 relative aux « Conditions d’usage normal d’un logement » recommande les dispositions de comportement suivantes: 
« Si le sol ne comporte pas de dalle flottante ou équivalent ou s’il n’a pas été posé de moquette ou un revêtement de même effet, l’usage normal suppose qu’on ne porte pas de chaussures
pendant les heures normales de sommeil des voisins (c’est-à-dire de 22 h à 7 h).
Durant les mêmes heures, on ne doit pas se livrer à des activités entraînant des chocs sur le sol ou les murs. »

En tout état de cause l’isolement absolu entre appartements n’existant pas, il convient bien d’admettre l’atteinte inévitable à la jouissance imposée par l’habitat collectif et les frottements qui en résultent ; que ce soit de la part du bruiteur contraint dans ses aménagements et comportements et de la part du bruité obligé à une forme de tolérance à l’égard du voisinage ; en considérant que ce n’est pas l’inconvénient lui-même qui est répréhensible mais l’excès d’inconvénient.

Remarquons que les rôles de bruité ou de bruiteur sont relatifs, en particulier parce que les différences de comportement entre le sudiste et le nordiste se retrouvent à chaque degré de latitude terrestre et que l’âge avançant, il arrive parfois qu’on oublie d’avoir été jeune et sans doute aussi pétulant que son voisin.

Observons enfin qu’il n’est pas rare de constater que le demandeur qui se plaint du changement de revêtement de sol de son voisin a lui-même procédé à de telles modifications chez lui, comme d’ailleurs de nombreux autres résidents de l’immeuble ; ce qui ne manque pas de confirmer que l’allégation d’une dégradation de la qualité peut contenir implicitement des ressentiments que le seul désordre ne suffit à expliquer.

Sans doute le groupe de travail réuni en 1968 par la Direction de la construction afin d’élaborer la réglementation acoustique n’a-t’il donc pas considéré suffisamment l’exigence de pérennité qui devrait être attachée à toute règle constructive, en contribuant de fait à soumettre aux aléas des embellissements privatifs une exigence d’habitabilité aussi importante que celle de la protection aux bruits de choc entre appartements.

Une telle incohérence des règles de construction mériterait encore de s’interroger, cette fois dans un autre domaine que celui des relations de voisinage, sur l’impropriété à destination qui ne peut manquer de résulter de la dégradation d’une moquette dont la durée de vie moyenne reste inférieure à celle de la garantie décennale, à laquelle sont pour autant tenus les locateurs d’ouvrage en application du Code civil.

Mais c’est un autre débat.

Revue EXPERTS n° 144 - juin 2019


vendredi 29 mars 2019

L'EXPERTISE DE BRUIT


Processus du trouble et caractérisation

Le mécanisme du trouble

Aborder la question du bruit oblige à aborder le sujet des référentiels d’appréciation du bruit, dont fait partie le droit. Il convient également de rappeler que jamais un rapport d’expert n’a été annulé pour avoir « dit » le droit, ce que confirment les juges qui n’hésitent pas à s’emparer d’un avis juridique donné par un expert. Les dispositions réglementaires sont d’ailleurs rédigées par des techniciens.

Les deux instants du trouble

Ce mécanisme se manifeste en deux étapes, l’une dite « perceptive » et l’autre d’ordre cognitif. L’étape « perceptive » commence par une variation de pression de l’air qui engendre une onde reconnue par l’oreille (1). Il s’ensuit une prise de conscience par le cerveau du bruit généré. La seconde étape, « cognitive », concerne l’appréhension du bruit, et la façon dont on le juge. Une autre forme de réaction au bruit est dite « archaïque » – ou instinctive – lorsqu’il engendre une réaction de peur.

Pour autant, ces réactions se mélangent un peu, dans la mesure où le contrôle de l’appréhension reste plus ou moins conscient. Par rapport à la vue, qui est un sens plus analytique, l’ouïe constitue le sens de la vigilance, celui qui permet le mieux de détecter des signaux éloignés.

(1) L’oreille humaine peut apprécier des variations de pression 6 milliards de fois plus faibles que les variations atmosphériques

Le facteur n’est pas la lettre

Le nerf auditif étant directement relié aux parties reptiliennes du cerveau, la réaction générée par un bruit est immédiate, ce qui explique la confusion entre signifiant et signifié qui peut s’opérer dans le cas d’une réaction instinctive à un bruit, comparable à la réaction négative que l’on peut avoir à l’égard du facteur lorsqu’il dépose un courrier désagréable. Une telle réaction est la conséquence d’un affect plus que celle d’un bruit. L’expert devra donc conserver à l’esprit cette relation particulière que l’on peut avoir par rapport au message sonore.

Le trouble n’est pas lié au niveau de bruit

Il suffit ainsi qu’un bruit soit jugé désagréable pour engendrer une réaction de gêne, sans qu’il soit nécessairement fort. A cet égard, l’unité employée pour mesurer le bruit – le décibel (dB) – a été créée en considérant que la sensation variait comme le logarithme de l’excitation, ce qui reste invérifiable. Le décibel n’est d’ailleurs pas reconnu dans le système des unités internationales. Par ailleurs, un bruit paraît d’autant plus fort qu’il émerge par rapport au bruit de fond.

Les atteintes au domaine fonctionnel

Les atteintes fonctionnelles peuvent être générées par des bruits supérieurs à 90 dB, qui sont susceptibles de détruire définitivement les cellules ciliées (2), voire de déchirer le tympan, mais également par des bruits dits « moyens » qui, s’ils sont continus, peuvent engendrer une fatigue de l’organisme en contraignant à une attention soutenue ou à une vigilance permanente de l’environnement. Dans nos missions d’expertise, il s’agit de nous intéresser au bruit objectivable et factuel, en dehors de tout aspect psychologique.

(2) Les cellules ciliées sont des cellules sensorielles faisant partie des systèmes auditif et vestibulaire des vertébrés


Les réglementations du bruit

Quelle(s) réglementation(s) en matière de construction ?

 Le contenu de l’article R 111-1.1 du CCH

L’article R 111-1.1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) prévoit que la réglementation du bruit s’applique aux constructions neuves ou aux extensions de bâtiments anciens. Si le dépôt de permis de construire, la rénovation importante d’un ouvrage ou le changement d’affectation ne sont donc pas de nature à entraîner l’application de ce dispositif réglementaire, rien n’empêche un maître d’ouvrage de fixer des seuils. Lorsqu’une rénovation s’approche des seuils réglementaires, il est recommandé à l’expert d’en informer le juge afin d’assurer une protection minimum.

Une limite à ne pas franchir plutôt qu’une norme

Si la réglementation française fixe des seuils d’infraction – la 3e chambre civile de la Cour de cassation rappelle d’ailleurs que les seuils d’infraction sont des seuils de danger, et non de gêne – ces seuils ne peuvent en aucun cas constituer des objectifs à atteindre. Il est pourtant récurrent que les documentations commerciales des promoteurs indiquent respecter la Nouvelle réglementation acoustique (NRA), publiée en 1994. Cela tient notamment au fait que la rédaction de cette réglementation fixait, dans le cas des bruits aériens, la possibilité d’atteindre le seuil limite.

Les critères de bruits

Exprimés en termes d’exigence et non de moyens, ces seuils ont pour objet de parvenir à un niveau de bruit défini, à l’exception des parties communes des logements d’habitation, pour lesquelles c’est un moyen d’absorption des bruits qui est recommandé.

Les critères retenus sont les suivants :

  • isolement aux bruits aériens entre locaux
  • niveaux de bruit de chocs
  • bruits des équipements
  • isolement vis-à-vis de l’espace extérieur

Les textes réglementaires en question

Plusieurs arrêtés réglementaires…

Deux arrêtés du 30 juin 1999 définissent les exigences et la tolérance, cette dernière étant fixée à 3 dB, ce qui correspond à l’imprécision de la mesure. Les arrêtés du 23 juin 1978 et du 23 juillet 2013 concernent l’isolement de la façade. Les constructions visées par ces textes sont les hôtels, les établissements d’enseignement et les installations classées. Les établissements de santé sont visés par l’arrêté du 25 avril 2003, les Etablissements recevant du public (ERP) par celui du 1er août 2006. En revanche, les bureaux ne sont soumis qu’à des dispositions normatives.

…et de nombreuses questions

Il convient cependant d’émettre certaines réserves quant à cette réglementation. Ainsi, il est toujours fait référence à la norme de mesurage NFS 31-057, depuis longtemps abrogée par l’Association française de normalisation (AFNOR).

Par ailleurs, les seuils fixés par la réglementation sont exprimés en valeurs absolues, ce qui ne tient pas compte de l’évolution des équipements. Par exemple, le bruit maximal pouvant être produit par un ascenseur a été fixé, en 1963, à 33 dB(A) (3), alors que le bruit ambiant était couramment de 30 dB(A) à l’intérieur des logements. Bruits intérieurs et extérieurs se confondaient donc. Mais l’étanchéité des fenêtres s’étant améliorée, ce bruit ambiant est aujourd’hui d’environ 20 dB(A), entraînant une émergence de bruit de 13 dB, ce qui devient très perceptible.

(3) dBA : décibel pondéré en fonction de la courbe de sensibilité de l’oreille

Cette réglementation ne tient également pas compte des basses fréquences générées par des bruits sourds tels que le passage du métro, prétextant la difficulté de mesurage de ces bruits.

Enfin, concernant les bruits de choc, le dispositif est prévu par rapport à des planchers maçonnés, ce qui génère des difficultés dans le domaine de la construction bois.

Le cas des immeubles habités

Dans le cas d’une rénovation lourde dans des immeubles situés à proximité de zones de bruit, le décret du 14 juin 2016 et l’arrêté du 13 avril 2016 subséquent imposent un renforcement de façade, soit par une exigence d’isolement, soit par des indications d’affaiblissement de composants du bâtiment disposant de certifications acoustiques. Ces certifications sont cependant obtenues en laboratoires et se révèlent parfois éloignées de la réalité in situ.

Nota : Sur la question des immeubles anciens, on sait que les règles de construction d’il y a 30 ou 40 ans prévoyaient des isolements acoustiques d’une grande médiocrité. Dans ces immeubles, il va de soi que les bruits extérieurs se révèlent salutaires dans la mesure où ils « protègent » des bruits des voisins. Le renforcement acoustique de la façade d’un tel immeuble à l’occasion d’une rénovation thermique génère alors des catastrophes en rendant beaucoup plus présents les bruits intérieurs.

Les règles locales

60 départements français ont adopté, par arrêtés préfectoraux, une obligation de maintien de la qualité, de non-dégradation et de précaution d’installation d’équipements nouveaux. Il importe d’en connaître l’existence, notamment en province.

Quelle réglementation en matière de trouble de voisinage ?

Les dispositions générales sont intégrées dans le Code de santé publique et dans le Code de l’environnement. Trois types d’activités sont visés : la vie domestique, les activités professionnelles en général, et les bruits de chantier.

Le bruit dans la vie domestique

Si la vie domestique fait bien l’objet d’une réglementation dans le Code de santé publique, aucune limite d’émergence n’est cependant fixée, seuls les critères de durée, d’intensité et de répétition sont pris en compte. Pour remédier à cette lacune liée à la complexité de la question, le Conseil national du bruit (CNB) a élaboré un guide destiné à aider les agents à verbaliser.

Le bruit émis par les activités professionnelles

Ici, une exigence est formulée en termes d’émergence, qui tient compte du fonctionnement et de la sensibilité de l’oreille. Deux critères sont retenus par le législateur : une émergence globale toutes fréquences confondues exprimée en dB(A), qui renseigne sur l’impact physiologique du bruit ; cette émergence est de 3 dB (A) la nuit et de 5 dB(A) le jour. Le second critère concerne l’intérieur des habitations, et prévoit qu’au-delà de 25 dB les émergences sont fixées par bandes de fréquence, mais – là encore – sans exigences pour la bande basse fréquence en dépit des nombreux bruits de voisinage émis dans cette bande de fréquence.

Cette réglementation se révèle cependant inapplicable en raison du fait que l’émergence (qui est la différence entre le bruit ambiant et le bruit perturbateur) ne peut être vérifiée que de manière différée, avec un fort risque ponctuel de perturbation des mesures pouvant induire des émergences négatives. En outre, la norme de référence (NF S31-010) est également inapplicable, car rédigée sans tenir compte de la réalité sur le terrain. 

Les bruits de chantier

Considérés comme nécessairement générateurs de bruits, les chantiers sont en infraction dès lors que le matériel utilisé ne répond pas aux normes, lorsqu’il n’est pas utilisé dans des conditions normées, ou encore lorsque le comportement des acteurs du chantier est anormal ou résulte d’un défaut de précaution. Il est intéressant de constater que ces critères se rapprochent de ceux permettant d’apprécier le trouble anormal de voisinage.

Les autres établissements réglementés

Il s’agit des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), avec des seuils d’émergences différents à la fois selon le type d’établissement et selon les équipements utilisés. Les Etablissements diffusant de la musique amplifiée (EDMA) sont également visés, avec à nouveau une insuffisance réglementaire liée à l’émission de bruits en basse fréquence.

L’expert et le dispositif réglementaire

Les exigences contractuelles étant souvent calées sur le dispositif réglementaire, l’expert a pour mission spécifique de renseigner le juge sur leur respect. Mais c’est surtout sur l’antériorité du générateur du bruit que son expertise est attendue. A cet égard, l’article 112-16 du CCH, prévoit que l’on ne peut se réclamer de l’antériorité que si l’activité s’est maintenue dans les mêmes conditions depuis le début et si la réglementation est respectée.


Trouble anormal de voisinage et impropriété à destination

Le trouble anormal de voisinage : audibilité et indicateurs factuels

Si le respect des dispositions réglementaires satisfait les exigences de l’administration, le trouble de voisinage n’est pourtant pas le problème de l’administration. Dans ce cadre, l’application de l’article 544 du Code civil et ses développements jurisprudentiels conduisent à retenir l’idée que l’on ne peut causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, ce qui implique que les inconvénients de voisinage sont un fait admissibles. Dès lors, la question posée est celle de l’excès. A cet égard, le juge demande à l’expert de le renseigner sur les indicateurs permettant d’apprécier l’anormalité du trouble.

La jurisprudence retient deux critères d’appréciation du trouble de voisinage : l’audibilité – c’est-à-dire le fait que le bruit soit audible sans effort d’attention particulier – et les indicateurs factuels de trouble.

Le critère d’audibilité

Ce critère est défini dans un avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963(4), lequel précise que l’audibilité sans effort particulier correspond à une émergence instantanée de +3 dB la nuit et de + 5 dB le jour. Il convient dès lors de vérifier si l’émergence est significative ou non, c’est-à-dire si le bruit est audible ou non, ce qui pourrait être effectué sans sonomètre.

(4) http://cnejac.org/wp-content/uploads/2017/04/Avis_comm_bruit_1963.pdf

Les indicateurs factuels de trouble

Dans ce second temps, il convient de fournir les indicateurs factuels permettant de considérer le bruit comme pouvant engendrer un trouble de fait, en dehors de toute considération d’ordre psychologique. Un bruit étant considéré comme incongru dans un contexte donné, il s’agit de dire au juge si le bruit appartient – ou non – à l’environnement habituel ou attendu du site ou de l’habitation. Ainsi, un bruit d’équipement n’est pas familier d’une habitation. Il convient également de renseigner le juge sur l’utilité collective du bruit, sur sa causalité, sur l’ « évitabilité » ou sur le défaut de précaution ou d’emploi.

Quels critères d’incongruité ?

- Le cas récurrent de la Pompe à chaleur (PAC)

Placée à l’extérieur, elle se retrouve souvent à proximité de l’habitation voisine, avec ses bruits habituels de fonctionnement. Il convient dès lors d’évaluer non pas l’émergence, mais l’anormalité, en fonction des usages, des coutumes, de la situation géographique, etc. Dans la mesure où il est techniquement possible sans difficulté d’installer une PAC qui ne produit aucune gêne acoustique, notamment en zone pavillonnaire où un tel équipement ne constitue pas encore la norme et l’habitude, il convient de dire au juge qu’il s’agit manifestement d’un défaut de précaution.

- Un exemple d’anormalité du bruit : l’affaire de la poule et du citadin

Dans une affaire opposant un citadin et le propriétaire d’un poulailler, la Cour d’appel de Riom, a considéré que le voisinage d’un poulailler de village ne pouvait pas justifier la colère d’un habitant de village. L’anormalité n’est dès lors pas constituée par le bruit lui-même tant que le poulailler considéré correspond aux poulaillers habituellement rencontrés dans ce type d’endroit. Ce sont donc bien les éléments factuels qui permettront au juge de décider de l’anormalité ou non du bruit.

- D’autres critères factuels tels que les différences culturelles ou l’âge peuvent également être retenus.

- Retour sur les règles de construction : le cas de la moquette

Quelle que soit l’épaisseur de la moquette installée, le plancher finira par fléchir sous les pas des habitants, générant ainsi une vibration audible sous la forme d’un choc. Il s’agit bien là d’un inconvénient normal, auquel on ne peut échapper qu’en transformant considérablement nos modes constructifs. A cet égard, force est de constater que, lors de l’acquisition d’un appartement, l’acheteur ne se montre pas particulièrement précautionneux vis-à-vis de ses caractéristiques techniques, notamment en matière d’acoustique

L’impropriété à destination

A l’inverse de la théorie de l’impropriété à destination, codifiée à l’article 1792 du Code civil, le trouble de voisinage est autonome. Il pourra ainsi être reproché au juge de retenir l’anormalité d’un trouble sur le seul fondement de l’infraction. Cela peut conduire à considérer qu’une activité réglementaire pourra être retenue comme anormalement gênante par le juge et, inversement, qu’une installation manifestement en infraction ne pourra être condamnée pour trouble anormal.

Quels critères d’impropriété à destination ?

Dès lors se pose la question des critères de l’impropriété à destination : perception de bruits ? Insuffisance de confort ? Non-respect d’une clause contractuelle ? Inaptitude à l’emploi ? Impossibilité d’usage ? Insalubrité ? Inhabitabilité ? L’infraction aux dispositions réglementaires ne constituera cependant pas un tel critère.

Pour ma part, j’estime que si le juge ne peut se référer au dispositif réglementaire, il convient de le renseigner sur le point de savoir si le niveau de qualité correspond au dispositif réglementaire en tant qu’il constitue une référence retenue par des professionnels pour apprécier les valeurs de confort minimum.


La question du changement de revêtement de sol

Trouble ou désordre ?

La réglementation sur l’isolation acoustique dans les bâtiments d’habitation prévoit une exigence en termes de bruits de choc avec revêtement de sol. Cela a incité les constructeurs à mettre en œuvre de la moquette sur tous les sols. Cependant, la mode des parquets visibles est revenue, ce qui a entraîné un contentieux considérable et toujours d’actualité, portant sur la question de savoir s’il s’agit d’un désordre (donc d’une dégradation de la qualité) ou d’un trouble (donc une augmentation du niveau de bruit).

La comparaison peut être effectuée par calcul, dès lors que les performances du revêtement d’origine sont connues. Lorsqu’elle est effectuée à l’aide de la machine à frapper, il convient de se rappeler que les sons produits par cette machine ne mettent pas en évidence les bruits produits par la flexion du plancher engendrée par la marche.

Certaines décisions fondées sur une dégradation mise en évidence par la machine à frapper ont retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage. D’autres constatent une dégradation mais, conformément à l’obligation de constat factuel rappelée par la Cour de cassation, ne retiennent pas le trouble. Ainsi, un jugement récent constate une dégradation provoquée par la pose d’un carrelage sur un plancher, mais ne retient pas de trouble en raison de la présence épisodique et de la discrétion du propriétaire. Rappelons à cet égard que certains règlements de copropriété interdisent le remplacement d’un revêtement de sol par un autre de qualité acoustique moindre.

Cette situation résulte du fait qu’il n’existe pas de matériau dur sur sous-couche qui offre une performance acoustique équivalente à celle d’une moquette. En effet, lorsque l’on marche dessus, la moquette s’enfonce et allonge donc la durée du choc, limitant ainsi la durée du choc. Cette qualité acoustique disparaît donc lorsque l’on pose un parquet par-dessus. Il en va de même pour les sous-couches, quelles qu’elles soient. Pour y remédier, il conviendrait de rendre possible, dans les règlements de copropriété, la mise en place d’un parquet dans les meilleures conditions possible.


Bruit de chantier et référé préventif

Le fondement juridique et la mission

Un double fondement juridique

Si le bruit de chantier n’est pas soumis à une limitation de l’émergence du bruit, l’expert peut cependant avoir pour mission d’examiner l’impact du bruit de travaux avant l’ouverture du chantier, ou bien d’examiner son impact en cours de travaux. Le fondement juridique de cette action repose sur les articles 145 et 809 du Code de procédure civile, ce dernier permettant de « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Certains juges considèrent en effet que le bruit fait partie des aléas à instruire en référé préventif.

Une mission de constat sur place

La mission se révèle complexe, car il est demandé à l’expert de rester en permanence à proximité du sonomètre, au risque de voir invalider la période de mesures pendant laquelle il en aura été éloigné. De même, l’identification des sources pose quelques difficultés : comment avoir la certitude que la mesure provient bien du chantier incriminé, et non d’un chantier voisin ? A l’inverse, la vérification des horaires de fonctionnement du chantier ou du respect du cahier des charges fixées par le maître d’ouvrage en limite de propriété n’exige pas la présence permanente sur place – sauf pour la mesure de la propagation des bruits par voie vibratoire à travers la structure des immeubles.

Une mission d’analyse

L’entreprise ayant l’obligation de prendre des précautions, l’expert a également pour mission la qualification des matériels de chantier et l’analyse du mode opératoire. L’expert tente alors d’établir les précautions « normales » adoptées en considérant le voisinage. Son rôle, à cet égard, est également de mettre en évidence les périodes durant lesquelles on ne peut pas reprocher à l’entreprise d’utiliser des matériels bruyants tels que le marteau-piqueur. Désigner suffisamment tôt ces périodes permet en outre de mener une étude d’impact destinée à faire connaître le risque acoustique et engager, entre les parties, un débat sur les règles d’horaires.

Une mission de facilitateur

A cet égard, organiser des réunions d’information préalables permet au voisinage de constater qu’il est pris en compte, atténuant ainsi l’impact du bruit en vertu du fait qu’un bruit « prévenu » se révèle moins fort qu’il ne l’est. Le bruit sera d’autant mieux accepté que sa survenance et le moment de sa survenance sont prévus. Si la conciliation ne peut lui être ordonnée par le juge, rien n’empêche l’expert de s’emparer de ce rôle de facilitateur.

Il est également demandé à l’expert de donner un avis sur la gêne sonore et les tolérances admises afin d’apprécier l’anormalité du trouble.

Les critères d’appréciation de l’anormalité du trouble

Puisqu’il n’existe pas de seuil, il ne subsiste qu’une obligation de précaution. Quant aux critères d’appréciation de l’anormalité du bruit de chantier, la jurisprudence retient, de façon récurrente, l’intensité du bruit, la durée du chantier, le non-respect des arrêtés préfectoraux fixant les horaires, le non-respect des préconisations de l’expert judiciaire et l’absence de précaution que ce dernier aura relevée.

Toutefois, certaines décisions relèvent l’anormalité du moindre bruit de chantier alors que d’autres considèrent qu’il s’agit d’un inconvénient normal de la vie de la cité.


L’impact du développement durable sur le bruit

Ce sujet sera rapidement abordé.

L’orientation et le dimensionnement des baies peuvent conduire à des orientations du bâtiment défavorables par rapport aux sources de bruit extérieures. Les doublages thermiques rapportés à l’intérieur des ouvrages, qui présentent tous une fréquence de résonance particulière, sont de nature à augmenter la transmission de bruits entre appartements par les parois verticales. A l’inverse, le doublage thermique extérieur rend les locaux beaucoup plus réverbérants.

Il en va de même des équipements techniques tels que la ventilation double-flux ou de la limitation de la porosité de l’enveloppe, qui a pour effet de diminuer drastiquement le bruit de fond dans les immeubles.


La pathologie courante

Les bruits structurels

Les parois séparatives en plaque de plâtre

Ces parois séparatives présentent très souvent un défaut d’étanchéité en pied de cloison, entraînant un effet de sifflement ressemblant à celui que l’on peut percevoir dans le cas de fenêtres mal calfeutrées, qui ne laissent passer que les fréquences aiguës. Pour y remédier, il convient de placer une bande élastomère.

Lorsque ces séparatifs sont réalisés après doublage thermique, il est impératif que la cloison aille jusqu’à la maçonnerie.

Le cas du mur-rideau

Dans le cas de mur-rideau, la transmission se produit de deux manières : soit par un défaut de calfeutrement entre le nez du plancher et la façade rideau, soit par un effet de rayonnement latéral produit par la flexion de la façade.

Les menuiseries intérieures

En menuiserie intérieure, on constate des défauts de calfeutrement des portes palières, attestés par les traces d’empoussièrement visibles. Il convient alors d’éviter de boucher les entrées d’air du logement.

Les chapes flottantes

La mise en œuvre d’une chape flottante continue par-dessus laquelle sont posées les cloisons légères ne pose plus de problèmes acoustiques par effet de contact entre l’about de la cloison et la chape.

Si l’on a de moins en moins de problèmes de défauts de relevé de la chape flottante et de défauts liés à la qualité de la sous-couche en polyéthylène (désormais interdite), on constate cependant quasiment systématiquement, au niveau de la circulation carrelée du rez-de-chaussée, un relevé entre la chape et l’appartement au nez du fond de feuillure de l’huisserie de la porte palière. La colle du carrelage jointoie alors la chape flottante de la circulation commune avec celle de l’appartement, ce qui génère une transmission de bruit. Le meulage à l’endroit du joint permet de gagner 10 à 15 dB.

Le carrelage

La pose de carrelage dans les salles de bains peut parfois contrarier l’indépendance de la chape. De même, lorsque le carrelage posé sur une sous-couche perméable, si la colle s’avère trop liquide, elle fait reposer le carrelage sur la dalle, ce qui entraîne une augmentation du bruit.

 Le bois

Les planchers en bois dans les constructions bois posent également d’importants problèmes de flexion. Il existe deux possibilités : soit un plancher avec un plafond réellement indépendant du plancher, soit – et c’est le mieux – un plancher collaborant réalisé avec une dalle collée sur l’ossature bois.

Les bruits d’équipement

- Les bruits de plomberie

En matière d’équipements, on retrouve de façon récurrente les problèmes de dévoiement de chutes d’eaux-vannes en ce qu’ils génèrent des vibrations qui se propagent à la structure de l’immeuble ou au cloisonnement.

- Les bruits de ventilation

Les caissons de Ventilation mécanique contrôlée (VMC) placés dans les charpentes bois doivent, autant que faire se peut, être installés sur le béton de la circulation commune plutôt que de le suspendre à la charpente ou le poser sur les fermes, au risque de générer des rayonnements acoustiques.

- Les bruits d’ascenseur

Le moteur des ascenseurs étant désormais placé dans le volume de la gaine, il n’est pas possible de le désolidariser par une suspension élastique, il convient d’utiliser les moteurs qui vibrent le moins. Les ascensoristes sont toutefois incapables de renseigner les forces vibratoires de leurs matériels. Lorsqu’une pièce principale se trouve contiguë à la gaine, il convient de prévoir la double gaine recommandée par le DTU, ou encore une double paroi à partir du plancher inférieur.

- Les bruits de ventouse électromagnétique de porte

Pour éviter le claquement lié au jeu de la contre-plaque, il convient a minima de régler la temporisation de l’électro-aimant, de telle sorte que le verrouillage ne s’enclenche qu’une fois le battant refermé. Les gâches d’autrefois étaient à cet égard plus faciles à régler.

- Les bruits de grille

Un vérin de fermeture de grille se fermant plus rapidement en été qu’en hiver en raison de la température, il conviendrait de disposer un galet équipé d’un petit vérin de fermeture, qui accompagne la fermeture en douceur.

Les bruits d’ornements de façade

S’agissant des ornements de façade, les problèmes surviennent au droit des coffres, qui doivent être renforcés – au détriment de la performance thermique. Par ailleurs, les éléments de façade guidant les écoulements d’eau de pluie produisent des bruits souvent constatés, ainsi que les dilatations d’habillages de bardage en tôle.

L’impact d’une construction sur les constructions voisines

L’onde sonore se réfléchissant comme un rayon lumineux, la construction d’une façade peut renvoyer du bruit vers les autres bâtiments. C’est notamment le cas de l’immeuble de Canal+ à Boulogne-Billancourt, dont le portique et la dalle portée répercutent le bruit des véhicules passant sur les quais vers les cours des immeubles situés derrière. A Meudon, ce sont les sons générés par la voie ferrée qui sont renvoyés par des immeubles récemment construits vers des bâtiments qui n’étaient pas gênés auparavant. A Saint-Maurice, la structure d’un immeuble en béton a « rapproché », en termes vibratoires, les maisons des voies ferrées.


Conférence à la 165ème table ronde nationale du Collège National des Experts Architectes Français le 29 mars 2019