dimanche 30 juin 2019
CHANGEMENT DE REVETEMENT DE SOL: TROUBLE OU DESORDRE ?
vendredi 29 mars 2019
L'EXPERTISE DE BRUIT
Processus du trouble et caractérisation
Aborder la question du bruit oblige à aborder le sujet des référentiels d’appréciation du bruit, dont fait partie le droit. Il convient également de rappeler que jamais un rapport d’expert n’a été annulé pour avoir « dit » le droit, ce que confirment les juges qui n’hésitent pas à s’emparer d’un avis juridique donné par un expert. Les dispositions réglementaires sont d’ailleurs rédigées par des techniciens.
Les deux instants du trouble
Ce mécanisme se manifeste en deux étapes,
l’une dite « perceptive » et l’autre d’ordre cognitif. L’étape
« perceptive » commence par une variation de pression de l’air qui
engendre une onde reconnue par l’oreille (1). Il s’ensuit une prise de conscience par le cerveau du bruit généré. La seconde
étape, « cognitive », concerne l’appréhension du bruit, et la façon
dont on le juge. Une autre forme de réaction au bruit est dite « archaïque »
– ou instinctive – lorsqu’il engendre une réaction de peur.
Pour autant, ces réactions se mélangent un peu, dans la mesure où le contrôle de l’appréhension reste plus ou moins conscient. Par rapport à la vue, qui est un sens plus analytique, l’ouïe constitue le sens de la vigilance, celui qui permet le mieux de détecter des signaux éloignés.
(1) L’oreille humaine peut apprécier des variations de pression 6 milliards de fois plus faibles que les variations atmosphériques
Le facteur n’est pas la lettre
Le nerf auditif étant directement relié aux
parties reptiliennes du cerveau, la réaction générée par un bruit est
immédiate, ce qui explique la confusion entre signifiant et signifié qui peut
s’opérer dans le cas d’une réaction instinctive à un bruit, comparable à la
réaction négative que l’on peut avoir à l’égard du facteur lorsqu’il dépose un
courrier désagréable. Une telle réaction est la conséquence d’un affect plus
que celle d’un bruit. L’expert devra donc conserver à l’esprit cette relation
particulière que l’on peut avoir par rapport au message sonore.
Le trouble n’est pas lié au niveau de bruit
Il suffit ainsi qu’un bruit soit jugé désagréable pour engendrer une réaction de gêne, sans qu’il soit nécessairement fort. A cet égard, l’unité employée pour mesurer le bruit – le décibel (dB) – a été créée en considérant que la sensation variait comme le logarithme de l’excitation, ce qui reste invérifiable. Le décibel n’est d’ailleurs pas reconnu dans le système des unités internationales. Par ailleurs, un bruit paraît d’autant plus fort qu’il émerge par rapport au bruit de fond.
Les atteintes au domaine fonctionnel
Les atteintes fonctionnelles peuvent être générées par des bruits supérieurs à 90 dB, qui sont susceptibles de détruire définitivement les cellules ciliées (2), voire de déchirer le tympan, mais également par des bruits dits « moyens » qui, s’ils sont continus, peuvent engendrer une fatigue de l’organisme en contraignant à une attention soutenue ou à une vigilance permanente de l’environnement. Dans nos missions d’expertise, il s’agit de nous intéresser au bruit objectivable et factuel, en dehors de tout aspect psychologique.
(2) Les cellules ciliées sont des cellules sensorielles faisant partie des systèmes auditif et vestibulaire des vertébrés
Quelle(s) réglementation(s) en matière de construction ?
Le contenu de l’article R 111-1.1 du CCH
L’article R 111-1.1 du Code de la construction
et de l’habitation (CCH) prévoit que la réglementation du bruit s’applique aux
constructions neuves ou aux extensions de bâtiments anciens. Si le dépôt de
permis de construire, la rénovation importante d’un ouvrage ou le changement
d’affectation ne sont donc pas de nature à entraîner l’application de ce
dispositif réglementaire, rien n’empêche un maître d’ouvrage de fixer des
seuils. Lorsqu’une rénovation s’approche des seuils réglementaires, il est
recommandé à l’expert d’en informer le juge afin d’assurer une protection
minimum.
Une limite à ne pas franchir plutôt qu’une norme
Si la réglementation française fixe des seuils
d’infraction – la 3e chambre civile de la Cour de cassation rappelle d’ailleurs que les seuils d’infraction
sont des seuils de danger, et non de gêne – ces seuils ne peuvent en aucun cas
constituer des objectifs à atteindre. Il est pourtant récurrent que les
documentations commerciales des promoteurs indiquent respecter la Nouvelle
réglementation acoustique (NRA), publiée en 1994. Cela tient notamment au fait
que la rédaction de cette réglementation fixait, dans le cas des bruits
aériens, la possibilité d’atteindre le seuil limite.
Exprimés en termes d’exigence et non de
moyens, ces seuils ont pour objet de parvenir à un niveau de bruit défini, à
l’exception des parties communes des logements d’habitation, pour lesquelles
c’est un moyen d’absorption des bruits qui est recommandé.
Les critères retenus sont les suivants :
- isolement aux bruits aériens entre locaux
- niveaux de bruit de chocs
- bruits des équipements
- isolement vis-à-vis de l’espace extérieur
Les textes réglementaires en
question
Plusieurs arrêtés réglementaires…
Deux arrêtés du 30 juin 1999 définissent
les exigences et la tolérance, cette dernière étant fixée à 3 dB, ce qui
correspond à l’imprécision de la mesure. Les arrêtés du 23 juin 1978 et du
23 juillet 2013 concernent l’isolement de la façade. Les constructions
visées par ces textes sont les hôtels, les établissements d’enseignement et les
installations classées. Les établissements de santé sont visés par l’arrêté du
25 avril 2003, les Etablissements recevant du public (ERP) par celui du 1er août
2006. En revanche, les bureaux ne sont soumis qu’à des dispositions normatives.
…et de nombreuses questions
Il convient cependant d’émettre certaines réserves quant à cette réglementation. Ainsi, il est toujours fait référence à la norme de mesurage NFS 31-057, depuis longtemps abrogée par l’Association française de normalisation (AFNOR).
Par ailleurs, les seuils fixés par la réglementation sont exprimés en valeurs absolues, ce qui ne tient pas compte de l’évolution des équipements. Par exemple, le bruit maximal pouvant être produit par un ascenseur a été fixé, en 1963, à 33 dB(A) (3), alors que le bruit ambiant était couramment de 30 dB(A) à l’intérieur des logements. Bruits intérieurs et extérieurs se confondaient donc. Mais l’étanchéité des fenêtres s’étant améliorée, ce bruit ambiant est aujourd’hui d’environ 20 dB(A), entraînant une émergence de bruit de 13 dB, ce qui devient très perceptible.
(3) dBA : décibel pondéré en fonction de la courbe de sensibilité de l’oreille
Cette réglementation ne tient également pas
compte des basses fréquences générées par des bruits sourds tels que le passage
du métro, prétextant la difficulté de mesurage de ces bruits.
Enfin, concernant les bruits de choc, le
dispositif est prévu par rapport à des planchers maçonnés, ce qui génère des
difficultés dans le domaine de la construction bois.
Le cas des immeubles habités
Dans le cas d’une rénovation lourde dans des immeubles situés à proximité de zones de bruit, le décret du 14 juin 2016 et l’arrêté du 13 avril 2016 subséquent imposent un renforcement de façade, soit par une exigence d’isolement, soit par des indications d’affaiblissement de composants du bâtiment disposant de certifications acoustiques. Ces certifications sont cependant obtenues en laboratoires et se révèlent parfois éloignées de la réalité in situ.
Nota : Sur la question des immeubles anciens, on sait que les règles de construction d’il y a 30 ou 40 ans prévoyaient des isolements acoustiques d’une grande médiocrité. Dans ces immeubles, il va de soi que les bruits extérieurs se révèlent salutaires dans la mesure où ils « protègent » des bruits des voisins. Le renforcement acoustique de la façade d’un tel immeuble à l’occasion d’une rénovation thermique génère alors des catastrophes en rendant beaucoup plus présents les bruits intérieurs.
60 départements français ont adopté, par
arrêtés préfectoraux, une obligation de maintien de la qualité, de
non-dégradation et de précaution d’installation d’équipements nouveaux. Il
importe d’en connaître l’existence, notamment en province.
Quelle réglementation en
matière de trouble de voisinage ?
Les dispositions générales sont intégrées dans le Code de santé publique et dans le Code de l’environnement. Trois types d’activités sont visés : la vie domestique, les activités professionnelles en général, et les bruits de chantier.
Le bruit dans la vie domestique
Si la vie domestique fait bien l’objet d’une
réglementation dans le Code de santé publique, aucune limite d’émergence n’est
cependant fixée, seuls les critères de durée, d’intensité et de répétition sont
pris en compte. Pour remédier à cette lacune liée à la complexité de la
question, le Conseil national du bruit (CNB) a élaboré un guide destiné à aider
les agents à verbaliser.
Le bruit émis par les activités professionnelles
Ici, une exigence est formulée en termes d’émergence, qui tient compte du fonctionnement et de la sensibilité de l’oreille. Deux critères sont retenus par le législateur : une émergence globale toutes fréquences confondues exprimée en dB(A), qui renseigne sur l’impact physiologique du bruit ; cette émergence est de 3 dB (A) la nuit et de 5 dB(A) le jour. Le second critère concerne l’intérieur des habitations, et prévoit qu’au-delà de 25 dB les émergences sont fixées par bandes de fréquence, mais – là encore – sans exigences pour la bande basse fréquence en dépit des nombreux bruits de voisinage émis dans cette bande de fréquence.
Cette réglementation se révèle cependant inapplicable en raison du fait que l’émergence (qui est la différence entre le bruit ambiant et le bruit perturbateur) ne peut être vérifiée que de manière différée, avec un fort risque ponctuel de perturbation des mesures pouvant induire des émergences négatives. En outre, la norme de référence (NF S31-010) est également inapplicable, car rédigée sans tenir compte de la réalité sur le terrain.
Considérés comme nécessairement générateurs de
bruits, les chantiers sont en infraction dès lors que le matériel utilisé ne
répond pas aux normes, lorsqu’il n’est pas utilisé dans des conditions normées,
ou encore lorsque le comportement des acteurs du chantier est anormal ou
résulte d’un défaut de précaution. Il est intéressant de constater que ces
critères se rapprochent de ceux permettant d’apprécier le trouble anormal de
voisinage.
Les autres établissements réglementés
Il s’agit des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), avec des seuils d’émergences différents à la fois selon le type d’établissement et selon les équipements utilisés. Les Etablissements diffusant de la musique amplifiée (EDMA) sont également visés, avec à nouveau une insuffisance réglementaire liée à l’émission de bruits en basse fréquence.
L’expert et le dispositif réglementaire
Les exigences contractuelles étant souvent calées sur le dispositif réglementaire, l’expert a pour mission spécifique de renseigner le juge sur leur respect. Mais c’est surtout sur l’antériorité du générateur du bruit que son expertise est attendue. A cet égard, l’article 112-16 du CCH, prévoit que l’on ne peut se réclamer de l’antériorité que si l’activité s’est maintenue dans les mêmes conditions depuis le début et si la réglementation est respectée.
Trouble anormal de voisinage
et impropriété à destination
Le trouble anormal de
voisinage : audibilité et indicateurs factuels
Si le respect des dispositions réglementaires satisfait
les exigences de l’administration, le trouble de voisinage n’est pourtant pas
le problème de l’administration. Dans ce cadre, l’application de l’article 544
du Code civil et ses développements jurisprudentiels conduisent à retenir
l’idée que l’on ne peut causer à autrui
un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, ce qui implique que
les inconvénients de voisinage sont un fait admissibles. Dès lors, la
question posée est celle de l’excès. A cet égard, le juge demande à l’expert de
le renseigner sur les indicateurs permettant d’apprécier l’anormalité du
trouble.
La jurisprudence retient deux critères d’appréciation du trouble de voisinage : l’audibilité – c’est-à-dire le fait que le bruit soit audible sans effort d’attention particulier – et les indicateurs factuels de trouble.
Le critère d’audibilité
Ce critère est défini dans un avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963(4), lequel précise que l’audibilité sans effort particulier correspond à une émergence instantanée de +3 dB la nuit et de + 5 dB le jour. Il convient dès lors de vérifier si l’émergence est significative ou non, c’est-à-dire si le bruit est audible ou non, ce qui pourrait être effectué sans sonomètre.
(4) http://cnejac.org/wp-content/uploads/2017/04/Avis_comm_bruit_1963.pdf
Les indicateurs factuels de trouble
Dans ce second temps, il convient de fournir
les indicateurs factuels permettant de considérer le bruit comme pouvant
engendrer un trouble de fait, en dehors de toute considération d’ordre
psychologique. Un bruit étant considéré comme incongru dans un contexte donné,
il s’agit de dire au juge si le bruit appartient – ou non – à l’environnement
habituel ou attendu du site ou de l’habitation. Ainsi, un bruit d’équipement
n’est pas familier d’une habitation. Il convient également de renseigner le juge
sur l’utilité collective du bruit, sur sa causalité, sur l’ « évitabilité »
ou sur le défaut de précaution ou d’emploi.
Quels critères
d’incongruité ?
- Le cas récurrent de la Pompe à chaleur (PAC)
Placée à l’extérieur, elle se retrouve souvent
à proximité de l’habitation voisine, avec ses bruits habituels de
fonctionnement. Il convient dès lors d’évaluer non pas l’émergence, mais
l’anormalité, en fonction des usages, des coutumes, de la situation
géographique, etc. Dans la mesure où
il est techniquement possible sans difficulté d’installer une PAC qui ne
produit aucune gêne acoustique, notamment en zone pavillonnaire où un tel
équipement ne constitue pas encore la norme et l’habitude, il convient de dire
au juge qu’il s’agit manifestement d’un défaut de précaution.
- Un exemple d’anormalité du bruit : l’affaire
de la poule et du citadin
Dans une affaire opposant un citadin et le propriétaire d’un poulailler, la Cour d’appel de Riom, a considéré que le voisinage d’un poulailler de village ne pouvait pas justifier la colère d’un habitant de village. L’anormalité n’est dès lors pas constituée par le bruit lui-même tant que le poulailler considéré correspond aux poulaillers habituellement rencontrés dans ce type d’endroit. Ce sont donc bien les éléments factuels qui permettront au juge de décider de l’anormalité ou non du bruit.
- D’autres critères factuels tels que les
différences culturelles ou l’âge peuvent également être retenus.
- Retour sur les règles de construction : le
cas de la moquette
Quelle que soit l’épaisseur de la moquette
installée, le plancher finira par fléchir sous les pas des habitants, générant
ainsi une vibration audible sous la forme d’un choc. Il s’agit bien là d’un
inconvénient normal, auquel on ne peut échapper qu’en transformant
considérablement nos modes constructifs. A cet égard, force est de constater
que, lors de l’acquisition d’un appartement, l’acheteur ne se montre pas
particulièrement précautionneux vis-à-vis de ses caractéristiques techniques,
notamment en matière d’acoustique
A l’inverse de la théorie de l’impropriété à
destination, codifiée à l’article 1792 du Code civil, le trouble de
voisinage est autonome. Il pourra ainsi être reproché au juge de retenir
l’anormalité d’un trouble sur le seul fondement de l’infraction. Cela peut
conduire à considérer qu’une activité
réglementaire pourra être retenue comme anormalement gênante par le juge et,
inversement, qu’une installation manifestement en infraction ne pourra être
condamnée pour trouble anormal.
Quels critères d’impropriété à destination ?
Dès lors se pose la question des critères de
l’impropriété à destination : perception de bruits ? Insuffisance de
confort ? Non-respect d’une clause contractuelle ? Inaptitude à
l’emploi ? Impossibilité d’usage ? Insalubrité ? Inhabitabilité ?
L’infraction aux dispositions réglementaires ne constituera cependant pas un
tel critère.
Pour ma part, j’estime que si le juge ne peut se référer au dispositif réglementaire, il convient de le renseigner sur le point de savoir si le niveau de qualité correspond au dispositif réglementaire en tant qu’il constitue une référence retenue par des professionnels pour apprécier les valeurs de confort minimum.
La question du changement de revêtement de sol
La réglementation sur l’isolation acoustique dans les bâtiments d’habitation prévoit une exigence en termes de bruits de choc avec revêtement de sol. Cela a incité les constructeurs à mettre en œuvre de la moquette sur tous les sols. Cependant, la mode des parquets visibles est revenue, ce qui a entraîné un contentieux considérable et toujours d’actualité, portant sur la question de savoir s’il s’agit d’un désordre (donc d’une dégradation de la qualité) ou d’un trouble (donc une augmentation du niveau de bruit).
La comparaison peut
être effectuée par calcul, dès lors que les performances du revêtement
d’origine sont connues. Lorsqu’elle est effectuée à l’aide de la machine à
frapper, il convient de se rappeler que les sons produits par cette machine ne
mettent pas en évidence les bruits produits par la flexion du plancher
engendrée par la marche.
Certaines décisions fondées sur une dégradation mise en évidence par la machine à frapper ont retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage. D’autres constatent une dégradation mais, conformément à l’obligation de constat factuel rappelée par la Cour de cassation, ne retiennent pas le trouble. Ainsi, un jugement récent constate une dégradation provoquée par la pose d’un carrelage sur un plancher, mais ne retient pas de trouble en raison de la présence épisodique et de la discrétion du propriétaire. Rappelons à cet égard que certains règlements de copropriété interdisent le remplacement d’un revêtement de sol par un autre de qualité acoustique moindre.
Cette situation résulte du fait qu’il n’existe pas de matériau dur sur sous-couche qui offre une performance acoustique équivalente à celle d’une moquette. En effet, lorsque l’on marche dessus, la moquette s’enfonce et allonge donc la durée du choc, limitant ainsi la durée du choc. Cette qualité acoustique disparaît donc lorsque l’on pose un parquet par-dessus. Il en va de même pour les sous-couches, quelles qu’elles soient. Pour y remédier, il conviendrait de rendre possible, dans les règlements de copropriété, la mise en place d’un parquet dans les meilleures conditions possible.
Bruit de chantier et référé
préventif
Le fondement juridique et la mission
Si le bruit de chantier n’est pas soumis à une
limitation de l’émergence du bruit, l’expert peut cependant avoir pour mission d’examiner l’impact du bruit de travaux avant
l’ouverture du chantier, ou bien d’examiner son impact en cours de travaux.
Le fondement juridique de cette action repose sur les articles 145 et 809
du Code de procédure civile, ce dernier permettant de « prescrire en référé les mesures
conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un
dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Certains juges considèrent en effet que le bruit
fait partie des aléas à instruire en référé préventif.
Une mission de constat sur place
La mission se révèle complexe, car il est
demandé à l’expert de rester en permanence à proximité du sonomètre, au risque
de voir invalider la période de mesures pendant laquelle il en aura été
éloigné. De même, l’identification des sources pose quelques difficultés :
comment avoir la certitude que la mesure provient bien du chantier incriminé,
et non d’un chantier voisin ? A l’inverse, la vérification des horaires de
fonctionnement du chantier ou du respect du cahier des charges fixées par le
maître d’ouvrage en limite de propriété n’exige pas la présence permanente sur
place – sauf pour la mesure de la propagation des bruits par voie vibratoire à
travers la structure des immeubles.
Une mission d’analyse
L’entreprise ayant l’obligation de prendre des
précautions, l’expert a également pour mission la qualification des matériels
de chantier et l’analyse du mode opératoire. L’expert tente alors d’établir les
précautions « normales » adoptées en considérant le voisinage. Son
rôle, à cet égard, est également de mettre en évidence les périodes durant
lesquelles on ne peut pas reprocher à l’entreprise d’utiliser des matériels
bruyants tels que le marteau-piqueur. Désigner suffisamment tôt ces périodes
permet en outre de mener une étude d’impact destinée à faire connaître le
risque acoustique et engager, entre les parties, un débat sur les règles
d’horaires.
A cet égard, organiser des réunions
d’information préalables permet au voisinage de constater qu’il est pris en
compte, atténuant ainsi l’impact du bruit en vertu du fait qu’un bruit
« prévenu » se révèle moins fort qu’il ne l’est. Le bruit sera
d’autant mieux accepté que sa survenance et le moment de sa survenance sont
prévus. Si la conciliation ne peut lui être ordonnée par le juge, rien
n’empêche l’expert de s’emparer de ce rôle de facilitateur.
Il est également demandé à l’expert de donner
un avis sur la gêne sonore et les tolérances admises afin d’apprécier
l’anormalité du trouble.
Les critères d’appréciation de l’anormalité du
trouble
Puisqu’il n’existe pas de seuil, il ne
subsiste qu’une obligation de précaution. Quant aux critères d’appréciation de
l’anormalité du bruit de chantier, la
jurisprudence retient, de façon récurrente, l’intensité du bruit, la durée du
chantier, le non-respect des arrêtés préfectoraux fixant les horaires, le non-respect
des préconisations de l’expert judiciaire et l’absence de précaution que ce
dernier aura relevée.
Toutefois, certaines décisions relèvent
l’anormalité du moindre bruit de chantier alors que d’autres considèrent qu’il
s’agit d’un inconvénient normal de la vie de la cité.
L’impact du développement
durable sur le bruit
Ce sujet sera rapidement abordé.
L’orientation et le dimensionnement des baies peuvent conduire à des orientations du bâtiment défavorables par rapport aux sources de bruit extérieures. Les doublages thermiques rapportés à l’intérieur des ouvrages, qui présentent tous une fréquence de résonance particulière, sont de nature à augmenter la transmission de bruits entre appartements par les parois verticales. A l’inverse, le doublage thermique extérieur rend les locaux beaucoup plus réverbérants.
Il en va de même des équipements techniques tels que la ventilation double-flux ou de la limitation de la porosité de l’enveloppe, qui a pour effet de diminuer drastiquement le bruit de fond dans les immeubles.
La pathologie courante
Les parois séparatives en plaque de plâtre
Ces parois séparatives présentent très souvent
un défaut d’étanchéité en pied de cloison, entraînant un effet de sifflement
ressemblant à celui que l’on peut percevoir dans le cas de fenêtres mal
calfeutrées, qui ne laissent passer que les fréquences aiguës. Pour y remédier,
il convient de placer une bande élastomère.
Lorsque ces séparatifs sont réalisés après
doublage thermique, il est impératif que la cloison aille jusqu’à la
maçonnerie.
Le cas du mur-rideau
Dans le cas de mur-rideau, la transmission se
produit de deux manières : soit par un défaut de calfeutrement entre le
nez du plancher et la façade rideau, soit par un effet de rayonnement latéral
produit par la flexion de la façade.
Les menuiseries intérieures
En menuiserie intérieure, on constate des
défauts de calfeutrement des portes palières, attestés par les traces
d’empoussièrement visibles. Il convient alors d’éviter de boucher les entrées
d’air du logement.
Les chapes flottantes
La mise en œuvre d’une chape flottante
continue par-dessus laquelle sont posées les cloisons légères ne pose plus de
problèmes acoustiques par effet de contact entre l’about de la cloison et la
chape.
Si l’on a de moins en moins de problèmes de
défauts de relevé de la chape flottante et de défauts liés à la qualité de la
sous-couche en polyéthylène (désormais interdite), on constate cependant
quasiment systématiquement, au niveau de la circulation carrelée du
rez-de-chaussée, un relevé entre la chape et l’appartement au nez du fond de
feuillure de l’huisserie de la porte palière. La colle du carrelage jointoie
alors la chape flottante de la circulation commune avec celle de l’appartement,
ce qui génère une transmission de bruit. Le meulage à l’endroit du joint permet
de gagner 10 à 15 dB.
Le carrelage
La pose de carrelage dans les salles de bains
peut parfois contrarier l’indépendance de la chape. De même, lorsque le
carrelage posé sur une sous-couche perméable, si la colle s’avère trop liquide,
elle fait reposer le carrelage sur la dalle, ce qui entraîne une augmentation
du bruit.
Les planchers en bois dans les constructions
bois posent également d’importants problèmes de flexion. Il existe deux
possibilités : soit un plancher avec un plafond réellement indépendant du
plancher, soit – et c’est le mieux – un plancher collaborant réalisé avec une
dalle collée sur l’ossature bois.
En matière d’équipements, on retrouve de façon
récurrente les problèmes de dévoiement de chutes d’eaux-vannes en ce qu’ils
génèrent des vibrations qui se propagent à la structure de l’immeuble ou au
cloisonnement.
Les caissons de Ventilation mécanique contrôlée
(VMC) placés dans les charpentes bois doivent, autant que faire se peut, être installés
sur le béton de la circulation commune plutôt que de le suspendre à la
charpente ou le poser sur les fermes, au risque de générer des rayonnements
acoustiques.
Le moteur des ascenseurs étant désormais placé
dans le volume de la gaine, il n’est pas possible de le désolidariser par une
suspension élastique, il convient d’utiliser les moteurs qui vibrent le moins.
Les ascensoristes sont toutefois incapables de renseigner les forces
vibratoires de leurs matériels. Lorsqu’une pièce principale se trouve contiguë
à la gaine, il convient de prévoir la double gaine recommandée par le DTU, ou
encore une double paroi à partir du plancher inférieur.
- Les bruits de ventouse électromagnétique de
porte
Pour éviter le claquement lié au jeu de la
contre-plaque, il convient a minima
de régler la temporisation de l’électro-aimant, de telle sorte que le
verrouillage ne s’enclenche qu’une fois le battant refermé. Les gâches
d’autrefois étaient à cet égard plus faciles à régler.
- Les bruits de grille
Un vérin de fermeture de grille se fermant
plus rapidement en été qu’en hiver en raison de la température, il conviendrait
de disposer un galet équipé d’un petit vérin de fermeture, qui accompagne la
fermeture en douceur.
Les bruits d’ornements de façade
S’agissant des
ornements de façade, les problèmes surviennent au droit des coffres, qui
doivent être renforcés – au détriment de la performance thermique. Par
ailleurs, les éléments de façade guidant les écoulements d’eau de pluie
produisent des bruits souvent constatés, ainsi que les dilatations d’habillages
de bardage en tôle.
L’impact d’une construction sur les
constructions voisines
L’onde sonore se réfléchissant comme un rayon lumineux, la construction d’une façade peut renvoyer du bruit vers les autres bâtiments. C’est notamment le cas de l’immeuble de Canal+ à Boulogne-Billancourt, dont le portique et la dalle portée répercutent le bruit des véhicules passant sur les quais vers les cours des immeubles situés derrière. A Meudon, ce sont les sons générés par la voie ferrée qui sont renvoyés par des immeubles récemment construits vers des bâtiments qui n’étaient pas gênés auparavant. A Saint-Maurice, la structure d’un immeuble en béton a « rapproché », en termes vibratoires, les maisons des voies ferrées.
Conférence à la 165ème table ronde nationale du Collège National des Experts Architectes Français le 29 mars 2019