mardi 28 février 2006

LA REGLEMENTATION PREVIENT LE DANGER, PAS LA GÊNE

(Interview)

Comment la réglementation acoustique évolue-t-elle ? 


Pour le BTP, elle vise les rubriques bruits aériens, bruits de chocs, bruits d'équipement, auxquelles s'est ajoutée une réglementation relative à l'isolement de façades. Cette réglementation n'assure pas le confort car elle ne prend pas en compte l'émergence du bruit et donc les conditions de perception. Elle fixe des valeurs quel que soit le site concerné. Pour autant, il ne faut pas considérer que la réglementation ait pour objet d'assurer le confort, car la loi ne doit établir que des sanctions strictement nécessaires. C'est ce que nous rappelle la troisième chambre civile de la Cour de cassation : le seuil réglementaire est un seuil de danger et non de gêne.

Il ne faut donc pas considérer que la réglementation est faite pour assurer la tranquillité mais seulement pour prévenir un danger en termes de santé publique. Considérer que la réglementation est une norme est une erreur. Une norme dit ce qu'il faut faire pour bien faire. La réglementation fixe en retour le seuil de l'infraction. En France, nous sommes en régime réglementaire, par différence à d'autres pays comme l'Allemagne qui sont en régime normatif. La difficulté vient que nos concitoyens sont placés dans l'attente de ne plus entendre de bruit, ce que la réglementation française ne vise certainement pas...

D'où vient l'erreur ? 


Le problème de l'expression réglementaire c'est qu'elle ne prend pas en compte le bruit de fond. On entend d'autant mieux un bruit que la différence en décibels entre ce dernier et le bruit de fond est importante. Fixer un seuil à 30 dB(A) pour un ascenseur c'est bien quand le bruit de fond est de l'ordre de 30 dB(A) lui aussi. Si le bruit de fond est de 20 dB(A), le même ascenseur devient évidemment bruyant.

Vous avez évoqué la différence entre les conceptions allemande et française, pouvez-vous donner un exemple ? 


On peut prendre les bruits de choc. Beaucoup d’expertises se font sur des changements de revêtement de sol. La réglementation française impose une protection minimale aux bruits de choc susceptible d'être respectée par le seul revêtement de sol. En Allemagne, il est prévu une protection depuis le plancher brut. Mais en copropriété, le revêtement de sols est une partie privative. Or les gens font naturellement ce qu'ils veulent. Il aurait fallu imposer un isolement de moindre valeur, le cas échéant, mais depuis le plancher brut, ce qui implique certes une chape flottante.

Et l'harmonisation européenne dans tout cela ? 


La directive européenne de 1999 vise à ce que les matériaux et matériels puissent être échangés entre pays de l'Union. Il a donc fallu une uniformisation du vocabulaire. En France, on a traduit et adopté la terminologie allemande. On a ainsi abandonné le dB(A) pour les bruits aériens et de choc au profit de gabarits de références plus difficiles à corréler et qui compliquent, de ce fait, la conception optimale des ouvrages. La réglementation de 1999 a eu pour objet de traduire les exigences minimales sans faire évoluer les performances et donc les coûts. Mais caler une valeur limite unique sur des courbes de spectre différentes est difficile et les artisans du bâtiment ont donc du mal à suivre. La complexité croissante de l'application réglementaire tend à rendre systématiquement nécessaire l'intervention d'un ingénieur-conseil et ceci n'est pas bien réaliste dans le cas de menus travaux.

Dans quel « bon » sens, selon vous, la réglementation devrait-elle évoluer ? 


Ma vision d'expert est naturellement pessimiste puisque confrontée quotidiennement à des sinistres. Pour autant, la majeure partie des ouvrages respecte la réglementation acoustique. Mais il faut cesser de faire la confusion entre confort et seuil d'infraction. Il ne faut pas escompter de la réglementation l'assurance d'une absence de gêne sauf à provoquer un renchérissement inacceptable du coût de la construction. Et d'ailleurs, comme déjà indiqué, le confort n'a pas à être réglementé. Au lieu de s'arc-bouter sur les règlements, je souhaiterais que l'on soit davantage sous une politique d'incitation à la qualité afin que les maîtres d'ouvrage étiquettent leurs ouvrages par classes d'isolement. Ainsi, nous pourrions élaborer un label (avec une, deux ou trois oreilles), en prenant comme base, par exemple, le seuil réglementaire et en accordant une oreille tous les 5 dB(A) gagnés et en considérant naturellement le bruit de fond. Avec ce système, le locataire ou l'acquéreur du logement saurait où il emménage et des litiges seraient sans doute évités.

Revue Qualité Construction - N° 94 - janvier-février 2006