mercredi 15 novembre 2023
ENTRE LES OREILLES, LA PENSEE DU BRUIT
vendredi 7 juillet 2023
INSTALLATIONS CVC ET TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE
En cas de bruit de voisinage, occasionné par exemple par une installation CVC, et à défaut de rapprochement amiable, les plaignants peuvent avoir recours à la justice pour régler leur différend.
L’action civile ou l’action pénale
On rappelle que l’action devant une juridiction civile a pour effet d’obtenir une réparation par suite d’un dommage, tandis que l’action devant une juridiction pénale vise à faire sanctionner le fauteur coupable d’une infraction.
Une telle distinction entre les deux types d’action est essentielle, puisque le critère d’appréciation du dommage n’est pas celui de l’infraction.
L’autonomie de l’appréciation d’un dommage
En effet, si le critère de l’action pénale dépend de l’application des dispositions réglementaires, celui de l’action civile résulte de la théorie prétorienne du « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », désignée usuellement sous l’expression de « trouble anormal de voisinage » (TAV), laquelle s’applique au cas d’espèce.
L’appréciation du dommage ne se trouvant pas déterminée par l’infraction, le TAV tient ainsi du régime de la responsabilité sans faute.
L’ancienneté de la théorie du TAV
La Cour de cassation a jugé que « l’exercice même légitime du droit de propriété devient générateur de responsabilité lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (Par exemple : Civ. 18 février 1907, DP 1907, 1, 3851 ; Civ. 2ème 24 mars 1966, D 1966, 435) en ajoutant que « la responsabilité du propriétaire qui a accompli des actes nuisibles aux voisins est engagée même si ces actes ont été autorisés par l’administration » (Civ. 2ème, 27 octobre 1964, JCP 65, II, 14288),
La Cour de cassation a encore jugé que « le caractère excessif du trouble s’apprécie en fonction des circonstances de temps et de lieu » (Civ. 3ème, 3 novembre 1977, D 78, 434), en relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Encore plus récemment, le 19 novembre 1986 (Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379) ou encore le 17 avril 1996 (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876, D. 1997), la Cour de cassation confirme le principe, indépendant des articles 544 et 1382 du Code civil, suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Le cadre du contentieux
Dans ce cadre contentieux civil l’engagement de responsabilité de l'auteur d'un trouble de voisinage exige la réunion de plusieurs critères : un lien de voisinage, l’anormalité du trouble, l’existence d’un dommage et la causalité entre le trouble et le préjudice.
Par ailleurs la charge de la preuve pèse sur la victime, laquelle dispose de cinq années pour agir " à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer " (article 2224 du Code civil).
Les critères d’appréciation du TAV
Les critères habituels d’appréciation du TAV, tels que retenus à travers l’analyse de la jurisprudence, apparaissent multiples et en tout cas circonstanciels, relevant du contexte, de la congruité, de l’intensité ou de l’émergence, de la durée et de la répétition, de la nature du bruit, de la période, de la zone, de l’activité des plaignants, de la négligence et du défaut de précaution.
L’instruction du TAV par l’expert judiciaire
L’expert désigné par le juge pour instruire le différend est le plus souvent un technicien. De la sorte l’instruction vise à renseigner le juge non pas sur le trouble de la personne mais sur le trouble à la personne ; soit un trouble de fait, en quelque sorte social, excluant toute considération médicale ou psychologique.
A cet égard l’expert doit en première étape rendre compte de l’effectivité du bruit.
Le référentiel retenu couramment par la jurisprudence est l’avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963, suivant lequel un bruit est de perception sensible ou encore perceptible sans exiger un effort particulier d’attention lorsque ce dernier engendre une émergence instantanée d’au moins + 3 dB la nuit et + 5 dB le jour, dans une bande de fréquence quelconque de bruit audible.
L’audibilité ne pouvant justifier à elle seule l’anormalité, il revient ensuite à l’expert de renseigner l’usualité de la source dans le contexte de voisinage, l’utilité collective, la causalité, l’évitabilité ou le défaut de précaution et d’emploi.
S’agissant plus particulièrement d’une PAC, il appartient à l’expert de rendre compte au juge des conditions d’implantation par rapport au voisin, de la sélection du type d’appareil, d’un modèle in-door ou out-door, des possibilités d’encloisonnement et d’ajout de silencieux etc.
La personnalisation du trouble
Il sera observé que le propriétaire de la PAC incriminée conteste en général que son appareil est bruyant, tout en refusant cependant son déplacement sur la terrasse de son salon.
Il en va ainsi du bruit, faisant dire au professeur Leroy qu’ « il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ».
Le risque du TAV, qui justifie d’autant mieux de ne pas retenir le seuil d’infraction réglementaire comme objectif à satisfaire de la part de l’installateur, est la prise en compte au titre de l’anormalité de l’effet « nocebo » engendré par l’état anxieux du plaignant, avec ses conséquences somatiques.
On rappelle qu’un tel effet est reconnu par l’OMS, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux suivant la décision de la Cour d’appel de Toulouse du 8 juillet 2021, concernant en l’espèce le voisinage d’éoliennes mais susceptible de concerner d’autres types d’installations.
Les règles de voisinage supposent ainsi de manifester, au-delà des aspects techniques, l’intention de précaution.
mardi 27 juin 2023
LE FAIT DE BRUIT SUIVANT L'ARTICLE 145 DU CPC
Une fissure dans un mur, le tuilage d’un parquet ou une fuite de chauffe-eau relèvent de manifestations tangibles et leur allégation, dûment accompagnée d’un constat photographique, se trouve aisément recevable.
Dans ce cadre où le désordre est apparent, il est effectivement permis d’asseoir le litige sur des arguments concrets.
Pour le bruit c’est une tout autre affaire, puisque le trouble sonore peut être réel ou imaginaire, sans relation avec l’intensité et le cas échéant résulter de la seule aversion pour la source.
À cet égard l’attestation médicale par le plaignant de troubles cardio-vasculaires, neuroendocriniens, digestifs ou respiratoires ne justifie en rien que de tels symptômes puissent résulter de bruits réels.
L’Académie de médecine rappelle ainsi que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance » et l’O.M.S confirme dans la définition de la gêne l’effet nocebo d’un bruit : « une sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé ».
On rappelle que le bruit c’est à la fois du son et de l’information; le Petit Robert discernant à juste titre dans la définition du mot bruit : le niveau sonore du bruit.
En d’autres termes le bruit ne se mesure pas, mais uniquement le niveau sonore, et l’on sait bien que l’intensité de la source est sans rapport avec le trouble, puisqu’un bruit de faible niveau peut devenir une réelle source de stress à force de durée et de répétition; c’est le cas récurrent du bruit de la pompe à chaleur du voisin, dont le niveau sonore est pourtant plus faible que les autres bruits de l’environnement pour leur part pleinement tolérés.
Le trouble de bruit résultant de multiples facteurs et donc non nécessairement acoustiques, d’où la désignation de troubles non-auditifs, l’allégation correspondante reste en conséquence très relative et en tout cas difficile à prendre au mot; dans ce cas il se peut que la demande ne porte pas sur des faits avérés, mais supposés.
Chaque expert acousticien a eu à instruire des affaires où le bruit est imaginaire, c’est-à-dire dont le niveau sonore n’est pas physiquement mesurable, en dépit de témoignages multiples ou même de constats d’huissier faisant état de sources sonores, qui après examen se révèlent en fait sans relation avec le bruit particulier décrit par le demandeur.
Rappelons à cet égard que des personnes peuvent souffrir d'acouphènes, à savoir de bruits que l'on perçoit sans qu'ils aient été émis par une source extérieure, que l'inimitié vis-à-vis d'un voisin peut conduire à lui imputer toutes sortes d’intentions sonores, voire ultrasonores ou même électromagnétiques, mais encore que la sincérité de l'attestation d'un tiers peut en toute bonne foi et par empathie se trouver empreinte de suggestion.
Pourtant lorsqu’un plaignant allègue entendre des bruits sourds, décrits comme volontairement occasionnés par son voisin dès qu’il approche de son domicile et qu’il les perçoit même depuis l’intérieur de son véhicule sans être encore arrivé chez lui, sans doute doit-on s’interroger sur la sincérité de l’assignation à comparaître dudit voisin.
On rappelle que des problèmes de santé chroniques liés au stress, comme l'hypertension, figurent parmi les principaux facteurs de risque de perte auditive neurosensorielle à des fréquences aiguës et d'acouphènes primaires; ressentir des bourdonnements en réaction de stress à son domicile et ne plus les ressentir en dehors de chez soi lorsqu’on est par exemple en vacances ou chez des amis, ne saurait donc en rien justifier qu’un voisin, en dépit d’être antipathique, soit à l’origine desdits bourdonnements.
Dans un autre cas le bruit est décrit comme tellement fort la nuit que même les tableaux bougent sur les murs, cependant sans que les voisins immédiats dans l’immeuble ne perçoivent pour leur part la moindre manifestation sonore ou vibratoire; une telle affaire ayant conduit au remplacement du premier expert pour incompétence parce qu’il ne trouvait pas l’origine du phénomène ; qui en réalité relevait bien d’acouphènes et n’était donc pas mesurable.
Remarquons que le principe de la contradiction vise en la circonstance la démonstration partagée de l’absence de réalité physique du phénomène décrit, au moyen par exemple de simulations de bruit visant à rendre compte de l’impossibilité matérielle de transmission et de perception.
La question se pose encore du crédit à apporter à l’assignation lorsque le plaignant n’entend le bruit perturbateur qu’en collant son oreille contre le mur, à un endroit précis aisément repérable par la trace sur le papier peint, où l’expert se trouve donc invité à coller lui aussi son oreille.
Que dire encore des demandeurs qui se plaignent non pas d’un excès de bruit mais seulement d’entendre; comme de pouvoir percevoir le simple passage d’une voiture dans la rue.
Chaque expert acousticien a encore eu à connaître la situation, où, après que le niveau sonore de la source incriminée a été mesuré et constaté conforme, le demandeur déclare qu’il n’est plus gêné et sollicite de l’expert, comme si ce dernier en avait le pouvoir, de mettre un terme à sa mission.
Un telle issue se produit souvent après de multiples mises en cause et des dépenses expertales conséquentes, engendrées par les réunions successives pour rendre les opérations contradictoires aux traitants, sous-traitants et leurs assureurs; sans pour autant que le demandeur ne s’en émeuve.
La question est donc de savoir si la mise en évidence d’un bruit perturbateur doit relever de l’initiative du demandeur, afin de lui permettre de prétendre à l’action en justice, ou si c’est à la justice de prendre en charge la démonstration du bruit en désignant un expert à cet effet; lequel se trouve missionné, en quelque sorte, comme prestataire de service du demandeur.
Il est ainsi récurrent de voir le demandeur solliciter de l'expert désigné de procéder à l'audit de ses sensations sonores afin de démontrer leur factualité, si ce n'est leur origine, au motif que la mission ordonnée prévoit toutes investigations utiles.
Au titre des mesures d'instruction relatives à l'administration de la preuve, l'article 143 du Code de procédure civile fixe que " Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible ".
On rappelle qu'un fait est un évènement advenant ou advenu, lequel se caractérise par son extériorité contrairement à l'idée qui relève de l'intériorité; au sens étymologique du latin le fait relève de l'action et de la réalisation; son effectivité le distingue ainsi des produits de la pensée.
Le fait tel qu'il se trouve visé par le Code de procédure se caractérise semble-t-il par une existence matérielle et en tout cas observable, qu'il s'agisse d'un objet, d'un évènement ou de circonstances.
Qu'il soit permis le truisme suivant lequel le fait relève essentiellement de la factualité.
Il convient ainsi de distinguer la manifestation d'un trouble de la réalité d'un fait. À cet égard l’expression d'une sensation sonore ne devrait certainement pas être confondue avec la démonstration d'un fait de bruit, qui seul devrait permettre d'asseoir la présomption.
L'article 144 dudit code précise que " Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer ".
Par la suite, l'article 145 fixe que " S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnée à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ".
Il convient ainsi de retenir que la mission d'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 145, qui vise d’abord à renseigner le juge, tient pour objectif non pas de conserver ou d'établir les faits mais de conserver ou d’établir la preuve des faits ; la précision des termes employés par le Code de procédure civile levant toute ambiguïté sur la distinction à opérer entre le fait et la preuve du fait et donc sur l’exercice essentiellement probatoire de la mesure d’instruction technique.
Autrement-dit, si la demande d'expertise se trouve recevable à la lecture de témoignages ou de constats que peut en avoir le juge des référés, l'ordonnance ne semble pas pour autant affranchir l'expert de l'application des règles de procédure au sens induit de l'appréciation technicienne de la demande, à laquelle ce dernier se trouve précisément convoqué pour dire non pas le droit mais la technique.
De la sorte, la recevabilité de la demande par le juge ne devrait se trouver confondue avec la recevabilité technique des faits allégués, dont seul le technicien, de par sa compétence, est de nature à apprécier la plausibilité aux fins de procéder à leur instruction probatoire.
Remarquons à cet égard les indications de Madame Anne-Marie Batut, conseiller référendaire, dans l'étude sur les mesures d'instruction in-futurum (publiée dans le rapport annuel de 1999 de la Cour de cassation) relatives à la plausibilité nécessaire des faits allégués par le demandeur et à la nature ampliative de la recherche de la preuve :
" En tout cas, ces faits doivent présenter un caractère de plausibilité suffisant (Civ. 2, 14 mars 1984, Bull. n° 49 ; 23 novembre 1994, Bull. n° 241 ; 6 mai 1998, pourvoi n° Z 96-16.828) "
" En tout cas, le recours au référé probatoire n’est pas admis si le demandeur dispose déjà d’éléments de preuve suffisants, ou s’il lui est possible de réunir par lui-même des éléments supplémentaires. En d’autres termes, les faits dont la preuve est recherchée doivent améliorer la "situation probatoire" du demandeur ".
Dès lors que la question est de savoir si l'allégation auditive peut après tout constituer un fait, il doit être répondu que la factualité d'un évènement sonore ne peut relever de l'expression d'une sensation ou d'une opinion, mais seulement de la démonstration matérielle d'une variation de pression d'ordre acoustique au moyen de l'instrument de mesure physique que constitue le sonomètre; du moins si celui-ci satisfait aux règles d’homologation et de vérification périodique (muni de l’étiquette verte) ce qui n’est pas le cas des appareils utilisés couramment pour les constats.
Il convient ainsi de retenir qu'en matière de bruit le fait se trouve essentiellement matérialisé par l'existence d'une onde sonore, laquelle doit être dûment mesurée, authentifiée et certainement imputée.
L’expert acousticien doit ainsi adopter la plus grande circonspection procédurale, afin qu'on ne puisse lui reprocher d'outrepasser la mission ordonnée sur le fondement de l'article 145 par l'instruction présomptueuse de bruits qui ne relèveraient, suivant l'état de l'argumentaire du demandeur, que de supputations.
Il ne devrait donc pas apparaître contradictoire avec la décision ordonnant l'expertise que l'expert puisse solliciter du requérant l'établissement matériel des perceptions sonores alléguées, c'est-à-dire de lui demander de faire procéder à des relevés métrologiques, dont les résultats sont également de nature à confirmer l'identification et la provenance des faits et donc la bonne identité du défendeur assigné.
Qu’il soit observé qu’en désignant un technicien le juge oriente l’instruction judiciaire dans le domaine non pas du trouble de la personne mais du trouble à la personne; autrement dit un trouble objectivable au moyen d’indicateurs non pas psychologiques mais strictement factuels, tels que l’audibilité à travers la règle d’émergence de l’Avis de la commission d’étude du bruit du 21 juin 1963, l’usualité de la source dans le contexte, les conditions d’occupation des lieux, la récurrence du bruit, l’évitabilité par des moyens techniques appropriés, le défaut de précaution en considération des modalités d’usage … L’ensemble de ces indicateurs factuels étant de nature à permettre au juge de statuer sur l’anormalité.
Instruire le trouble à la personne et non pas le trouble de la personne signifie bien que le domaine de compétence de l’expert acousticien est celui de la matérialité et non pas de l’affect ou du médical : conclure dans ces conditions que le bruit dont le plaignant déclare souffrir ne relève pas du domaine de la physique semble suffisamment explicite pour ne pas nécessiter des développements susceptibles d’être reprochés ultérieurement à l’expert.
On remarque que cette question de la factualité du bruit allégué s’impose avant même le procès, c’est-à-dire lors de la démarche amiable de résolution du différend.
En effet la personnalisation du conflit en cas de litige de bruit de voisinage conduit souvent à se demander si le trouble est bien occasionné par le bruit ou plutôt le bruit la résultante du trouble relationnel; autrement dit, la question est de savoir si c’est le bruit qui engendre le trouble ou plutôt le trouble qui engendre le bruit.
Sans doute alors le succès de la médiation exige-t-il dans ce cadre d’aider les parties à s’entendre, à la fois au propre comme au figuré, plutôt que de les laisser focaliser leur échange sur un sujet technique que l’expert acousticien est certainement le mieux à même de relativiser.
dimanche 11 juin 2023
LES MODALITÉS DU CONSTAT DU BRUIT DE VOISINAGE DES ACTIVITÉS EN QUESTION
L’oreille contribuant pour l'essentiel à la vigilance et à la communication, le son constitue le vecteur principal d’appréhension du monde et des relations sociales.
On remarque, au-delà de la question sanitaire, que le bruit de voisinage constitue un enjeu social lorsque ce dernier contribue au mal-vivre ensemble ; c’est ainsi qu'une enquête de l’INSEE effectuée en 2008-2009 établit que 80 % des Français souhaitent vivre dans un pavillon individuel et surtout pas mitoyen « afin de ne pas subir de voisins ».
L’étude de la société ERNST & YOUNG, réalisée en 2016 (et confirmée en 2020) à la demande de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, évalue le coût social du bruit de voisinage la somme de 11,5 milliards d’euros par an.
L’exigence de santé publique, mais encore la préservation de la vie sociale, obligent donc à contraindre le bruit de voisinage par la voie législative et réglementaire.
À cet effet, le Code de la Santé publique (CSP) régit les différents bruits résultant des activités personnelles ou domestiques, professionnelles, sportives, culturelles, de loisir et de sons amplifiés.
Il est noté que ledit CSP se trouve régulièrement mis à jour au moyen de décrets suivis d’arrêtés d’application.
Soit en une trentaine d’années les adaptations successives suivantes :
* décret n° 95-408 du 18 avril 1995 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et arrêté du 10 mai 1995 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage* décret n° 2006-1099 du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage* décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés et arrêté du 17 avril 2023 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés pris en application des articles R. 1336-1 à R. 1336-16 du code de la santé publique et des articles R. 571-25 à R. 571-27 du code de l’environnement
Les dernières mises à jour appellent les observations suivantes :
Les dispositions du décret n° 2006-1099 du 31 août 2006 se trouvant ainsi rendues caduques, il en devient en toute cohérence de même de l’arrêté d’application du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage, puisque visant ces mêmes articles du CSP supprimés, remplacés ou modifiés et de surcroit concernant un champ d’application restreint (On remarque qu'une telle caducité concerne a fortiori la circulaire du 27 février 1996 faisant référence à l'arrêté du 10 mai 1995).
Il convient d'observer que le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 porte à la fois sur les « bruits » et les « sons amplifiés », à savoir :
* d’une part les bruits de voisinage des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir », essentiellement pour les articles R.1336-4 à 1336-9 du CSP (incluant désormais les activités « impliquant la diffusion de sons amplifiés » suivant l'article R.1336-4)* d’autre part les « sons amplifiés », visés plus spécifiquement par les articles R.1336-1 à 1336-3 du CSP, concernant la protection du public
L’arrêté du 17 avril 2023 apparaît donc bien s’appliquer aux mêmes bruits que le décret du 7 août 2017, à savoir d’une part à ceux résultant des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir » et d’autre part à ceux relatifs aux « sons amplifiés », puisque ledit arrêté est annoncé comme pris « en application des articles R.1336-1 à R.1336-16 » ; incluant ainsi les articles R.1336-4 à 1336-9 pour le bruit des activités et les articles R.1336-1 à 1336-3 pour les sons amplifiés.
Les arrêtés respectifs de 1995 et de 2006 se trouvant promulgués afin d’expliciter les « modalités de mesurage des bruits de voisinage » afférents successivement aux décrets de 1995 et de 2006, dans le but d’autoriser le contrôle réglementaire, il se trouvait ainsi attendu de l’arrêté de 2023 les indications métrologiques propres à l’application du décret de 2017.
Le projet d’arrêté de 2023 (repris tel quel pour sa publication) ayant fait l’objet d’une consultation publique préalable, différentes observations en retour ont effectivement alerté sur l’absence de prescriptions relatives aux modalités de mesurage des bruits de voisinage (cf. document de synthèse du 24 octobre 2022).
La réponse apportée officiellement à l’issue de cette consultation sur la « demande de précision de la méthodologie de mesures pour le contrôle des seuils réglementaires dans les lieux clos et en extérieur » est la suivante : « les professionnels de la sonorisation des spectacles vivants se sont engagés à élaborer des propositions à soumettre au Conseil National du Bruit (CNB) sur ce sujet. Lorsqu'elles seront finalisées, celles-ci pourront être ajoutées, après discussion en commission technique du CNB, au guide du CidB ».
Il convient ainsi de retenir que les modalités de mesurage relatives à l’établissement des sanctions concernant le bruit de voisinage des « sons amplifiés » restent à déterminer par « les professionnels de la sonorisation des spectacles vivants » ; mais en retour qu'aucune disposition ne se trouve prévue pour ce qui concerne les modalités de contrôle du bruit de voisinage des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir ».
La situation devient ainsi critique, avec un risque d’impunité du bruit de voisinage, puisque tout procès-verbal d’infraction se trouve en l’état contestable au motif du choix par l’agent verbalisateur d’un mode opératoire de mesurage partial, car relevant de sa propre initiative, ou non autorisé règlementairement.
Sans doute est-il encore permis de s’interroger sur la régularité d’un constat de conformité d’un bruit de voisinage de « sons amplifiés » établi suivant un mode opératoire « élaboré » par les producteurs de « sons amplifiés » eux-mêmes et relevant d'un guide associatif.
Il est donc en l’espèce compréhensible que le site service-public.fr « le site officiel de l’administration française » puisse dans la rubrique « bruit de voisinage » renvoyer au principe prétorien du « trouble anormal de voisinage », dont nul n'ignore que ce dernier se trouve autonome des dispositions réglementaires (régime de la responsabilité sans faute), et en conséquence conseiller « un recours au juge en cas d’échec du règlement amiable » ; soit une recommandation sans doute cohérente dans le contexte, mais nécessitant pour les victimes d’ester en justice, avec les délais d’action et les frais de procédure correspondants; soit une situation socialement inéquitable.