dimanche 2 mai 2021

LA POSE DU REVETEMENT DE SOL PAR L’ACQUEREUR EN V.E.F.A.

 

UN ENJEU DE QUALITE ACOUSTIQUE

DANS LA CONSTRUCTION



Un rapport d’expertise en matière de bruit borné à de strictes appréciations d’ordre technique ne renseignerait alors que des quantités de décibels ; et ces dernières pourraient même demeurer à jamais hermétiques à toute lecture à défaut d’en avoir orienté le mesurage suivant les circonstances et le contexte de la factualité à éprouver au sens de l’article 145 du C.P.C.


Il convient en effet de rappeler que les modalités opératoires des constatations acoustiques ainsi que l’expression de leurs résultats sont strictement dépendantes du dispositif légal et réglementaire, de la jurisprudence ou du cadre contractuel susceptibles de se voir retenus pour l’appréciation du désordre et/ou du trouble allégué par le demandeur.


C’est ainsi que dans le cadre d’un litige de bruit de choc les possibilités constructives offertes aux acquéreurs par la Loi « ELAN » ne manquent pas de complexifier l’instruction technique, au sens de l’étendue des référentiels  à renseigner dans un contexte particulier où viennent s’entremêler, si ce n’est se contrarier, de multiples obligations réglementaires et contractuelles.



0.  LA LOI « ELAN »


La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, fixe à l'article 75 que le contrat préliminaire de la vente en l’état futur d’achèvement (V.E.F.A.) :


« … peut prévoir qu’en cas de conclusion de la vente, l'acquéreur se réserve l'exécution de travaux de finitions où d'installation d'équipements qu'il se procure par lui-même. Le contrat comporte alors une clause en caractères très apparents stipulant que l'acquéreur accepte la charge, le coût et les responsabilités qui résultent de ces travaux, qu'il réalise après la livraison de l'immeuble ». 


En application de la loi le décret n° 2019-641 du 25 juin 2019, puis l'arrêté du 28 octobre 2019, renseignent la liste (limitative) des travaux susceptibles d'être réservés par l'acquéreur, à savoir :


1° L'installation des équipements sanitaires de la cuisine

    et le cas échéant du mobilier pouvant les accueillir 

2° L'installation des équipements sanitaires de la salle de bain

    ou de la salle d'eau et le cas échéant du mobilier pouvant les accueillir

3° L'installation des équipements sanitaires du cabinet d'aisances

4° La pose de carrelage mural

5° Le revêtement du sol à l'exclusion de l'isolation

6° L'équipement en convecteur électrique

    lorsque les caractéristiques de l'installation électrique le permettent

    et dans le respect de la puissance requise

7° La décoration des murs 



1.  L’ENJEU ACOUSTIQUE


Il est remarqué que le décret et l’arrêté précités ont été adoptés après consultation du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique tout en omettant l’avis du Conseil national du bruit, lequel n’aurait pas manqué d’attirer l’attention du ministre de la Cohésion des territoires sur les enjeux acoustiques des travaux réservés par l’acquéreur dans le cas des immeubles collectifs d’habitation et des maisons accolées ou en bande.


L’expérience expertale permet en effet de retenir :


- que les travaux relatifs à l’installation des équipements sanitaires et à la pose de carrelage mural ou de revêtements de sol font déjà l’objet de désordres acoustiques récurrents (1), tenant d’erreurs de conception mais surtout d’exécution, en dépit d’être réalisés dans le cadre de conventions et de marchés passés avec des professionnels dûment qualifiés


(1) Nicolas BALANANT / Groupe QUALITEL – Revue Echo-Bruit / CidB

https://www.bruit.fr/echo-bruit/double-numero-d-echo-bruit-n-165-speciale-deux-roues-motorises

https://chapes-info.fr/qualitel-encore-trop-de-non-conformites-pour-lacoustique-sous-chape/


- que les travaux modificatifs acquéreurs (T.M.A.) réalisés dans le cadre de la vente posent de multiples problèmes contractuels, lorsque par exemple le revêtement de sol posé présente des caractéristiques acoustiques moindres que celles attendues du matériau (au sens générique) prévu dans la notice descriptive contractuelle de vente en V.E.F.A.


- que les travaux réalisés après réception à la seule initiative des acquéreurs conduisent là encore à un contentieux important, en particulier s’agissant de la modification des revêtements de sol et du désordre de bruit en résultant pour le voisinage (2)


(2) Blog Thierry Mignot

https://www.thierrymignot.com/search/label/bruit%20de%20choc



2.  LE CAS DU REVETEMENT DE SOL


On rappelle que le ministère de la Construction a admis lors de l’étude du projet de réglementation acoustique conduite en 1968 que le critère de protection minimal au bruit de choc entre appartements pouvait inclure la pose du revêtement de sol ; le motif étant alors, suivant l’argument soulevé par l’Union des H.L.M, le surcoût occasionné par l’obligation de réaliser une chape flottante en cas d’obligation de protection depuis le sol brut du plancher.


En effet, un revêtement de sol souple de type moquette et vinyl ou un parquet flottant et même un carrelage sur sous-couche peuvent par eux-mêmes assurer une protection au bruit de choc (plus ou moins efficace) entre appartements, tandis qu’une obligation de performance fixée hors revêtement (c’est-à-dire sur le sol brut du plancher) oblige de fait à réaliser sur ce dernier une chape indépendante en mortier afin d’assurer l’isolation acoustique.


Remarquons afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le vocabulaire employé que le plancher, même si celui-ci se trouvait autrefois constitué de planches de bois, ne doit pas être confondu avec le parquet ; le premier se trouvant aujourd’hui couramment réalisé en béton armé pour la construction d’immeubles collectifs de logements.


Une telle exécution d’une chape flottante ne manque effectivement pas d’engendrer un surcoût pour la construction, par la mise en œuvre d’un ouvrage supplémentaire engendrant différentes contraintes techniques et d’encombrement, tandis que les appartements restent par ailleurs livrés avec un revêtement de sol. 


C’est ainsi que la réglementation de la construction fixe depuis l’arrêté du 14 juin 1969 que « L’isolation des planchers y compris les revêtements de sol doit être telle que … » et que les différentes normes et codes d’essais fixant les modalités de contrôle prévoient l’essai avec le revêtement (on remarque que c’était déjà le cas auparavant suivant les prescriptions des circulaires techniques n° 58-71 du 14 novembre 1958 et n° 63-66 du 17 décembre 1963 publiées en application du décret n° 55-1394 du 22 octobre 1955).


De la sorte il paraît pour le moins ambigu de proposer aujourd’hui que l’acquéreur puisse se réserver la pose du « revêtement du sol à l'exclusion de l'isolation », sachant que le revêtement de sol peut suivant sa nature contribuer par lui-même à ladite isolation.


Il n’est pas nécessaire en effet d’être spécialiste de l’acoustique pour convenir que les bruits de choc en provenance d’un voisin sont moins perceptibles lorsque ce dernier a disposé de la moquette plutôt que du carrelage sur le sol de son appartement.


Ajoutons qu’un revêtement de sol est usuellement composé de plusieurs couches indissociables, c’est-à-dire que le dossier en mousse (qui assure l’isolation) d’une moquette est attaché au poil tout comme celui d’un revêtement vinylique à la surface d’usure et que la nature de la sous-couche isolante d’un revêtement dur, tel un parquet ou un carrelage, se trouve en quelque sorte attachée au revêtement par suite de procès-verbaux ou d’avis techniques attestant des compatibilités ou des performances des différentes couches de matériaux superposées.


Ainsi un isolant pour parquet n’est pas compatible avec du carrelage ; ce qui interdit de fait de poser une isolation de revêtement de sol sans connaître par avance la nature de ce dernier.


Remarquons encore que la possibilité de réservation de la pose du revêtement de sol par l’acquéreur n’affranchit pas le vendeur de l’obligation de respecter les dispositions de la réglementation de la construction au titre de l’application de l’article L.111-11 du Code de la construction et de l’habitation dans le cadre de contrats de louage d’ouvrage :


« Les contrats de louage d'ouvrage ayant pour objet la construction de bâtiments d'habitation sont réputés contenir les prescriptions légales ou réglementaires relatives aux exigences minimales requises en matière d'isolation phonique »


soit en l’espèce l’obligation de respecter les seuils de niveau de bruit de choc fixés aujourd’hui par les arrêtés du 30 juin 1999 relatifs aux caractéristiques des bâtiments d’habitation ainsi qu’aux modalités d’application de la réglementation acoustique.


De la sorte pouvoir livrer un appartement dépourvu de revêtements de sol oblige bien le maître d’ouvrage à réaliser une chape flottante ; soit effectivement un renchérissement du coût de la construction dans le domaine de l’accession en V.E.F.A. du secteur des logements aidés.


Il convient également de noter que ce même article L.111-11 fixe que :


« Les travaux de nature à satisfaire à ces exigences relèvent de la garantie de parfait achèvement visée à l'article 1792-6 du code civil reproduit à l'article L. 111-20-2.

Le vendeur ou le promoteur immobilier est garant, à l'égard du premier occupant de chaque logement, de la conformité à ces exigences pendant un an à compter de la prise de possession »


et qu’en conséquence ces garanties ne peuvent plus s’appliquer dès lors que l’ouvrage a été modifié par un tiers au contrat de louage de surcroît à l’issue de la réception puisque la loi prévoit l’intervention de l’acquéreur après livraison (prise de possession).


Il convient encore d’observer que le vendeur d’un ouvrage en V.E.F.A. est tenu en application de l'article 18 du décret n° 67-1166 du 22 décembre 1967 d’établir une notice descriptive contractuelle, dont les formes sont prévues par l’arrêté du 10 mai 1968, fixant de décrire pour les locaux privatifs la nature des prestations telles que :


2.1. Sols et plinthes.

2.1.1. Sols et plinthes des pièces principales.

2.1.2. Sols et plinthes des pièces de service


Si une telle description ne peut viser un produit de marque spécifique pour des raisons de disponibilité et d’approvisionnement, d’où la réserve correspondante communément adoptée dans les notices de vente, il reste que la mention générique d’un type de revêtement de sol ne manque pas de renseigner une forme de qualité acoustique ; qualité qui vient s’ajouter au seul niveau de protection assuré par la chape flottante en cas de revêtement sur sous-couche souple ou de moquette.


Il convient en effet de préciser qu’une chape flottante ne contribue qu’à un isolement relatif (si ce n’est nul en basse fréquence) et qu’en conséquence la pose d’un revêtement de sol peut suivant sa nature contribuer à améliorer significativement le confort du voisinage au-delà du seuil d’infraction réglementaire.


De la sorte la réservation de la pose du revêtement de sol accordée à l’acquéreur par la loi ELAN ne libère en fait pas ce dernier de l’obligation contractuelle de voisinage visant à respecter les dispositions de la notice descriptive et par ailleurs une telle possibilité ne manque pas d’entraver l’obligation de moyen à laquelle se trouve tenu le maître de l’ouvrage/vendeur à l’égard de l’ensemble des acquéreurs sur le fondement de ladite notice contractuelle attachée non pas à un lot particulier mais à l’ouvrage.


Pour être cohérentes, les dispositions légales devraient donc affranchir le maître de l’ouvrage de la description de l’ensemble des prestations susceptibles d’être réservées par l’acquéreur ; mais ce serait alors remettre en cause le principe de la vente en l’état futur d’achèvement fixant de convenir par avance de la nature des prestations à effectuer.



3.  LES OBLIGATIONS DE L’ACQUEREUR


Les travaux réservés par l’acquéreur se trouvant réalisés dans un ouvrage réceptionné, ces derniers se trouvent en conséquence soumis à la fois à la réglementation visant les interventions sur existants, à savoir les différents arrêtés préfectoraux pris en la matière (3), ainsi qu’aux règles applicables au régime de la copropriété, si ce n’est au règlement de la copropriété lui-même.


(3) revue Echo-Bruit n°153 / CidB

https://www.thierrymignot.com/search/label/immeubles%20existants


Concernant les travaux effectués dans les bâtiments existants, une soixantaine de départements ont repris, avec parfois quelques aménagements rédactionnels, le modèle d’arrêté proposé en article 6 par la circulaire de la Direction de la santé du 7 juin 1989 (article élaboré par le référent bruit du Conseil supérieur d’hygiène publique de France) :


« Les éléments et équipements des bâtiments doivent être maintenus en bon état de manière à ce qu’aucune diminution anormale des performances acoustiques n’apparaisse dans le temps ; Le même objectif doit être appliqué à leur remplacement.


Les travaux ou aménagements, quels qu’ils soient, effectués dans les bâtiments ne doivent pas avoir pour effet de diminuer sensiblement les caractéristiques initiales d’isolement acoustique des parois. 


Toutes précautions doivent être prises pour limiter le bruit lors de l’installation de nouveaux équipements individuels ou collectifs dans les bâtiments.

 

Les mesures sont effectuées conformément à la norme NFS 31.057 concernant la vérification de la qualité acoustique des bâtiments. » 


L’acquéreur se réservant ainsi l’exécution du revêtement de sol a pour obligation de ne pas atteindre à l’efficacité de la chape flottante livrée (ce qui suppose que cette dernière ait été exécutée correctement et par suite la difficulté d’imputation en cas de litige).


Concernant l’obligation relative aux dispositions de la copropriété, il est rappelé que l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 fixe l’obligation suivante :


« Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble »


Parfois même les rédacteurs des règlements de copropriété ont prévu en application de l’article 9 la clause prescrivant que le revêtement de sol des appartements ne peut être remplacé par un matériau de performance acoustique moindre que celui d’origine.


Si la destination de l’immeuble, les droits des autres copropriétaires ou encore la définition du matériau d’origine se trouvent fondés sur la description contractuelle de l’ouvrage, autrement dit sur le confort acoustique attendu des moyens décrits dans la notice descriptive de l’ouvrage, aucune modification apportée ne devrait en conséquence avoir pour effet d’atteindre audit confort.


Autrement dit l’obligation réglementaire (concernant une soixantaine de départements) et contractuelle de l’acquéreur se réservant la pose doit alors avoir pour effet d’assurer au voisin du dessous (ou d’à côté) une protection au bruit de choc équivalente à celle correspondant à la qualité acoustique du revêtement de sol prévu à l’origine par les constructeurs de l’immeuble.


Si l’imposition d’un type de revêtement de sol est susceptible d’atteindre au droit de jouir librement pour le copropriétaire des parties privatives de son lot, il est en retour noté que le dispositif réglementaire n’apporte aucune distinction sur ce point ; d’où la difficulté supplémentaire de gestion des litiges née de l’élaboration de la réglementation de la construction visant à conférer à la partie privative que constitue le revêtement de sol une fonction collective de protection acoustique relevant plutôt des parties communes (4).


(4) Blog Thierry Mignot

https://www.thierrymignot.com/search/label/bruit%20de%20choc


Il convient donc bien ici de retenir la complexité de l’instruction technique d’un litige né de la perception par un copropriétaire de bruits de choc provenant de l’appartement du dessus dont l’acquéreur a lui-même posé le revêtement de sol, avec la nécessité pour l’expert de renseigner :


- l’existence d’un désordre immobilier plutôt que d’un trouble

  résultant du comportement du voisin


- le respect des règles de construction par les différents locateurs de l’ouvrage

  aux stades de la conception et de l’exécution de l’ouvrage


- le respect de l’engagement de qualité du maître d’ouvrage-vendeur

  suivant les moyens prévus dans la notice descriptive contractuelle


- l’absence d’atteinte à la qualité de l’ouvrage, tel que réceptionné (et livré),

  dans le cadre des travaux réalisés par l’acquéreur


- le respect par l’acquéreur de la qualité contractuelle de l’ouvrage,

  telle que résultant des moyens décrits dans la notice de vente

 

- le respect par l’acquéreur des dispositions du règlement de copropriété



4.  UNE PRISE DE RISQUE POUR L’ACQUEREUR ?


La possibilité introduite par la loi ELAN de réserver à l’acquéreur l’exécution de prestations se trouvant sans doute motivée par la perspective d’une réduction du prix de vente au bénéfice de l’acquéreur, il convient observer qu’un tel calcul ne se trouverait recevable qu’à la condition que l’acquéreur réalise lui-même les travaux ; ce qui exige alors une véritable compétence technique de la part de ce dernier ou encore l’exécution de ces travaux dans un cadre non concurrentiel, avec les aléas de toutes sortes correspondants.


On remarque que la prise en charge des travaux par l’acquéreur suppose encore de sa part une bonne connaissance des obligations réglementaires et contractuelles qui en résultent dans un contexte pour le moins complexe.


Il convient à nouveau d’insister sur le fait que la livraison sans revêtement de sol d’appartements ou de maisons couplées ou en bande implique l’exécution d’une chape flottante par le maître de l’ouvrage/vendeur, ce qui n’est habituellement pas le cas dans le domaine de l’accession sociale et contribue donc inévitablement à un renchérissement du coût de construction.


Or il n’est pas certain qu’un tel renchérissement se trouve compensé pour l’acquéreur par la réduction du prix de vente ; d’autant plus si cette dernière se trouve estimée sur la base du tarif de fourniture et de pose du revêtement de sol négocié par le maître d’ouvrage avec l’entreprise dans des conditions échappant à un particulier.


Doit-on alors plutôt recommander à l’acquéreur en V.E.F.A. d’éviter d’engager une telle responsabilité résultant de la prise en charge par lui-même de la pose du revêtement de sol de son appartement ? (5)


(5) Maître Christophe SANSON avocat

https://www.christophe-sanson-avocat.fr/publications/31-janvier-2020-vente-en-vefa-vente-en-letat-futur-dachevement-et-choix-du-revetement-de-sol-par-lacquereurnbsp-quels-risques-juridiques-pour-luinbsp

version publiée dans la revue EXPERT n°155 - avril 2021