L’expertise judiciaire du différend de bruit concourt à une approche concrète à nulle autre pareille du conflit de voisinage, pour le motif de se dérouler dans le contexte du litige ; à savoir sur les lieux, en présence des parties et dans le cadre d’un débat contradictoire.
Il résulte de ce moyen de procédure civile, installant le technicien au cœur de la confrontation, le privilège pour ce dernier d’éprouver en situation réelle les moyens offerts par les sciences physiques pour renseigner une cause engageant pour beaucoup des rapports humains.
Alors, il faut bien reconnaître qu’une telle pratique du conflit, avec ce que ce dernier porte de tension et d’affect entre les contradicteurs, conduit tôt ou tard l’expert de justice à relativiser l’approche de la nuisance sonore au moyen d’indicateurs quantitatifs, fussent-ils complexes, relevant de la théorie du son.
Soutenir un tel propos n’est pas aisé dans un monde où les chiffres valent mieux que les lettres, cependant il est permis de soutenir que l’intelligence du bruit relève d’une autre complexité que l’approche convenue en nombre de décibels ; quand bien même assortie de considérations spectrales et temporelles sophistiquées, lesquelles ne renseignent évidemment pas mieux les caractéristiques émotionnelles de l’exposition.
Enfin, si ce même technicien projette son regard sur la sémiotique de la fonction de l’habiter, les critères normatifs de la qualité acoustique ne manqueront encore pas de lui paraître restrictifs devant les modalités affectives d’accommodation de l’espace sonore ; lesquelles contribuent, à défaut d’intimité, si ce n’est même de confidentialité du logement réglementaire, à l’idéalisation du pavillon individuel pour 76 à 80 % des Français.
Proposons donc que l’oreille puisse écouter, au-delà d’entendre.
L’indésirabilité du bruit
En introduction du thème « Améliorer la tranquillité sonore des citoyens » de l’Action quatorze du 4ème PLAN NATIONAL SANTÉ ENVIRONNEMENT (PNSE), intitulée « Agir pour réduire l’exposition au bruit », le Groupe santé environnementale (GSE) de l’Assemblée nationale dresse le constat suivant :
« Du matin au soir, nos oreilles sont sollicitées par divers bruits généralement non désirés et à des niveaux sonores pouvant être élevés : bruits des transports motorisés, des klaxons et des sirènes, musique diffusée dans les commerces, bruits des chantiers, etc. »
L’impact de la nuisance sonore, qui résulte effectivement d’une diversité de bruits, se trouvant incriminé par le GSE sous le double effet du non-désir et du niveau sonore, autrement dit en considération à la fois de l'indésirabilité et de l'intensité, il est retenu que les projets d’action élaborés privilégient plutôt le traitement du niveau sonore ; tandis que l’impact sur la santé provoqué par l’attitude de rejet du bruit tend à se trouver contourné.
Les actions du PNSE 4 visant tantôt la création d’un label « espaces calmes » afin de caractériser des lieux « préservés du bruit des transports et des autres sources de bruits (bruits continus de ventilation, bruits de comportements...) », tantôt l’instauration d’un dispositif permettant de « constater et sanctionner plus facilement les bruits de voisinage, notamment par l’usage de sonomètres d’utilisation simplifiée », la question de l’intensité sonore paraît effectivement privilégiée.
Il est symptomatique de l’approche dominante du bruit que le Groupe santé environnementale reconnaisse ainsi la part de nocivité liée aux conditions d’appréhension du bruit, sans pour autant envisager d’action de prévention correspondante ; rappelons tout de même qu’il suffit qu’un bruit soit indésirable, quel qu’en soit le niveau sonore, pour générer à force de durée et de répétition un trouble anxieux dont les conséquences pathologiques sont reconnues par la médecine.
Sans doute peut-on suggérer le motif d’une telle distraction par la réduction physicaliste caractérisant la pensée scientifique et technique dominante, avec pour effet de conférer au domaine du quantifiable le monopole du vrai et pour conséquence une lecture de l’environnement à travers un processus délétère de réification ; réduisant contre nature l’homme à l’état d’objet.
C’est ainsi que les médias répandent, avec le panurgisme qui les caractérise, l’idée que l’approche du bruit serait réductible au seul critère de la quantité de décibels.
Certes, il est plus aisé d’expliquer le trouble de bruit occasionné par exemple par la pompe à chaleur du voisinage au motif du niveau sonore plutôt qu’à celui de l’incongruité de la source dans le contexte et de l’effet intrusif ressenti par le plaignant ; tandis que d’autres bruits de l’environnement, intenses et anonymes, ne créent pourtant pas un tel désagrément.
Ainsi la communication et l’action sur le contrôle de l’exposition sonore en viennent à abolir la pensée sur le bruit, sous une forme de conformisme qu’il convient certainement de dénoncer au motif de ne traiter qu’une partie de la question ; à savoir que l’oreille perçoit autre chose que du son.
Le bruit n'est pas réductible au son
Le bruit ne se trouve en effet appréhendé par le système média-politique qu'en tant que phénomène physique et ses effets envisagés sous le seul aspect du niveau sonore.
Il en résulte la prétention largement répandue suivant laquelle le bruit serait mesurable.
Sont ainsi élaborées des échelles du bruit, repérant sur une graduation en décibels toutes sortes de situations sonores ou de sources de bruit qui n'ont strictement aucun rapport cognitif entre elles et dont le rapprochement ne manque donc pas d’apparaître insolite ; comme si le bruit de la machine à laver du voisin se trouvait moins gênant que celui d’une mobylette ou celui de la pompe à chaleur attenante plus tolérable que celui d’un avion au motif d’une moindre graduation sur l’échelle de niveau sonore.
Le guide pratique de l'habitat édité par une agence nationale de l’environnement amalgame ainsi dans un inventaire hétéroclite le bruit de voisinage avec celui des aéroports ; l'échelle de bruit figurant sur la plaquette situant le ronflement au niveau du seuil de risque.
Une telle réduction numérique du bruit contribue, au mépris de l’appréciation commune et avec pour conséquence un impact anxiogène sur la population, à faire de ce dernier un agent altéragène dont la charge tiendrait en quelque sorte de la dose de décibels ; proposition certainement absurde dès lors que le contrôle de la dose en vient à confondre la nature propre des sources, mais surtout au motif de suggérer que l’absence de bruit pourrait constituer le remède.
Pourtant « le bruit n’est pas une maladie » rappelle le professeur F. Raveau ancien président de la Commission scientifique Bruits et vibrations du ministère de l’environnement.
Observons que le silence n'existe pas dans la nature. Il s’agit d’une expression métaphorique visant à qualifier une ambiance non pas privée de bruit mais habitée de sonorités agréables ou pour le moins ignorées, comme il en est habituellement d’un grand nombre de stimuli sonores environnants jugés non pertinents ; le monde du silence de J.Y. Cousteau grouillant en fait de mille manifestations sonores d’animaux marins.
D’autres raccourcis ou approximations sur le bruit ne manquent pas.
Des campagnes nationales sur l’audition associent sur une même affiche publicitaire les nuisances sonores et les risques auditifs, suggérant par ce rapprochement pour le moins spécieux que les bruits de l'environnement pourraient avoir un impact traumatique sur l’appareil auditif, alors qu’il s’agit bien d’effets extra-auditifs.
Il en est ainsi de l’approche environnementale officielle désignant le bruit sous l’expression abstraite de pollution, comme s’il s’agissait d’un agent extérieur possédant une existence propre, alors qu’il est plutôt question d’une nuisance au sens de l’interaction avec la personne.
Peu importe en effet qu’il y ait du bruit lorsqu’aucun être vivant n’est en situation de le ressentir. Le professeur Leroy rappelle à cet égard qu’" il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ".
En toute cohérence, s’il doit être retenu en l’espèce une pollution ce n’est donc pas par le bruit mais plutôt par le son en tant qu’agent physique ; mais viendrait-il à l’idée de soutenir que le son puisse constituer une pollution ?
C’est ici toute l’ambiguïté entretenue sur le bruit, effectivement non réductible au son parce que support d’interprétation ; on résiste en fait, dans une forme de commodité de pensée toute technicienne, à admettre que le bruit c’est de l’humain en plus du son.
En dépit de l'acception traditionnelle, telle qu’énoncée dans le Littré (Garnier 2007), suivant laquelle le bruit est à la fois un mélange confus de sons et un dire qui circule, il est ainsi retenu qu'entre la part qui parvient aux oreilles et celle qui court dans les esprits, l'approche conformiste du bruit se trouve plutôt réduite à la première.
On rappelle que suivant l’origine latine rumor le bruit se dit en italien rumore, soit une étymologie commune avec le français rumeur ; c’est ainsi qu’une nouvelle se trouve ébruitée, qu’il existe des bruits de couloir, si ce n’est même la propagation de faux bruits qu’on serait donc bien en peine de mesurer.
Observons que même un dictionnaire grand public comme le Petit Robert (édition en ligne) prend la précaution dans la définition du mot bruit de discerner la part relevant du niveau sonore et donc d'éviter la confusion entre bruit et son.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » dit Albert Camus dans la critique d’un ouvrage du philosophe Bruce Parrain paru en 1944 sur la puissance du langage et la valeur des mots.
Un tel déni de la part signifiante dans l’approche du bruit apparaît d’autant plus inattendu qu’il ne résiste pas à l'observation courante.
Remarquons encore une fois qu'un bruit dont l’intensité est faible est susceptible d’occasionner des réactions émotives et anxieuses que n'engendre pas un bruit de niveau élevé ; c'est encore le cas de la pompe à chaleur du voisin dont le niveau sonore reste très inférieur à celui des voitures qui passent dans la rue.
Qu’il soit permis de s’interroger, au-delà de ce que le niveau sonore d’une moto puisse à l’occasion se trouver assourdissant, sur la participation de l’image négative portée sur le motard dans l’appréciation du bruit. Alors un blouson noir pourrait-il bien chevaucher une moto électrique ?
Une autre particularité de l'approche autorisée du bruit est de vouloir qu’il soit un son désagréable et de surcroit qu'il s'accompagne nécessairement d'effets délétères.
Or, à l'évidence, tous les bruits ne sont pas nécessairement déplaisants ou néfastes pour la santé, comme le démontre l'usage courant d'évoquer les différents bruits de la nature, les bruits variés de la campagne, les bruits intimes de la maison, le bruit des enfants qui jouent …
Certains bruits sont même prétendus relaxants
Des neurologues évoquent ainsi des bruits générateurs de bien-être, comme le bruit du gong, du bol tibétain, du ronronnement du chat, de l’eau qui coule, du crépitement du feu… Le bruit du bourdon ayant en Orient le don d'anesthésier l'intellect et de favoriser la concentration.
Il est question ici de sonothérapie.
Définir le bruit comme " un son déplaisant ou confus ", tel que l'association AFNOR voudrait en faire la règle dans le Vocabulaire de l'acoustique, relève bien d'une interprétation physicienne contrevenant à l’origine étymologique et sémantique du mot bruit ; ceci dans l’intention manifeste de corréler le trouble à l’intensité sonore.
Il n’est donc pas vérifié que les musiciens, les marins-pêcheurs, les gardiens de moutons, les maîtres-nageurs ou autres professionnels exposés à des bruits récurrents d’un niveau sonore élevé, présentent davantage de troubles de la santé que le reste de la population.
Alors comment expliquer que l'on puisse ainsi réduire l’étude de l'impact du bruit à la seule excitation physique, sauf à imaginer une forme de déterminisme logique entre les processus physiologiques et psychiques ?
La relation entre sensation et perception
Au-delà de l'approche réductionniste du bruit au niveau sonore, il convient d’ajouter la confusion autrement simplificatrice entre la sensation et la perception.
On rappelle que la sensation correspond à une stimulation physiologique suscitant un événement psychique élémentaire, autrement dit un niveau de traitement précoce de l'information dans le système nerveux central, susceptible de provoquer des réactions affectives, de l’ordre du réflexe.
Il est ainsi permis de proposer que la sensation constitue la première étape, au stade physiologique, d'une chaîne d'événements neurologiques précédant l’élaboration de la pensée.
La perception, pour sa part, est la représentation mentale de la sensation ; c’est un processus par lequel un individu organise et interprète ses sensations de façon à donner un sens à son environnement.
Le préfixe psycho d'un mot conférant à ce dernier une relation à la pensée et à l'esprit, il est remarquable que la branche de l'acoustique propre à l'étude de la sensibilité du système auditif par rapport aux stimulations acoustiques ait été désignée sous le vocable de psychoacoustique, tandis que son objet relève plutôt de physioacoustique ; c'est-à-dire des propriétés réceptives de l'oreille, lesquelles il est vrai sont difficilement dissociables des stades psychiques élémentaires propres à la sensation, mais sans pour autant engager un processus réflexif conscient.
Accorder au stimulus une valeur d'information, au sens de façonnement de l’esprit suivant le Littré, ne manque pas de renvoyer au XIXème siècle et aux travaux de G.T. Fechner établissant la théorie du parallélisme psychophysique, d'après laquelle matière et esprit sont indissociables ; énonçant ainsi dans la pure tradition animiste que le monde physique et le monde psychique constituent les deux faces d'une même réalité.
Rappelons que dans une sorte d’exaltation mystique G.T. Fechner publia différents essais comme « Nanna ou la vie sensible des plantes », exposant que la nature était animée d'une âme vivante, ou encore « Le petit livre de la vie après la mort », suggérant que les âmes des créatures décédées formaient les éléments de la vie spirituelle sur Terre.
Il est ainsi improbable que le décibel, utilisé aujourd'hui comme unité de mesure du niveau sonore par les techniciens de l’acoustique, puisse avoir pour origine l'illumination de G.T. Fechner, un petit matin d'octobre 1850 alors qu’il se trouvait encore au lit, lui révélant la relation somme toute extatique entre l’âme et le corps, selon laquelle la sensation varierait comme le logarithme de l'excitation.
On rappelle que l'histoire des sciences a retenu ce 22 octobre 1850 comme date de fondation de la psychophysique, dont les adeptes restent bien nombreux aujourd’hui, en dépit de ce que la relation de G.T. Fechner se révèle indémontrable, comme dénoncé très tôt par de nombreux chercheurs comme E. Hering, H. Bergson, H. von Helmholtz ou W. James ; tous attentifs à la mathématisation des phénomènes psychologiques.
Il apparaît effectivement vain de vouloir corréler l'excitation et la sensation, en négligeant l'influence de la perception sur cette relation.
Le cerveau organe principal de l’ouïe
La mise en évidence de l'affectivité dans l'appréhension du bruit est assez ancienne, puisque déjà en 1918 H. Hyde et W. Scalapino observaient que pour un même niveau sonore musical les tons mineurs augmentaient la fréquence du pouls et diminuaient la pression artérielle, tandis que la musique rythmée augmentait à la fois la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Ces derniers remarquaient encore que la réaction cardiaque restait plus faible en présence de morceaux familiers (The influence of music upon electrocardiograms and blood pressure).
B. Morillon et S. Baillet, chercheurs à l’INSERM / Institut de Neurosciences des Systèmes (revue PNAS USA : Motor origin of temporal predictions in auditory attention) confirment à l’aide de mesures magnétoencéphalographiques que le cortex moteur aide à mieux entendre en anticipant la sensation par une excitation neuronale se propageant vers le cortex auditif.
Les équipes de B. Bathellier (Dynamique du système auditif et perception multisensorielle / Inserm) à l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur et d’A. Destexhe (Institut des neurosciences Paris-Saclay / CNRS / Univ. Paris-Saclay) démontrent encore (revue Nature Neuroscience - 28 septembre 2022) que l’anesthésie a pour effet de placer le cerveau dans un état inconscient dans lequel les sons ne sont plus perçus ; autrement dit dans la situation par laquelle le cortex auditif se trouve encore stimulé par les sons sans que ces derniers se trouvent perçus par le cerveau.
A. Destexhe note ainsi : « Dans un sens, le cortex éveillé est plus « créatif » parce qu’il génère de nouveaux motifs d’activité en réponse aux sons, et qui leur sont spécifiques, alors que cette spécificité semble inexistante lors de l’anesthésie. Il reste à voir si les mêmes conclusions s’appliquent aussi à d’autres états comme le sommeil ».
R. Chervin, directeur du Sleep Disorders Center à l'Université du Michigan, explique que si le ronfleur ne s’entend pas ronfler cela est lié à la façon dont le cerveau filtre les sensations.
Il est observé par ce chercheur que certains sons réveillent ainsi plus que d'autres ; entendre son nom est plus susceptible de réveiller qu'un mot courant et des bruits constants ou répétitifs réveillent en retour moins que des bruits irréguliers ; de la sorte le bruit provenant de notre propre corps est moins susceptible de nous alarmer.
Chacun peut certainement constater à cet égard que la prise de conscience d’un bruit dépend de la pertinence accordée à ce dernier : le faible gémissement du nourrisson réveille ses parents tandis que les grondements violents d’un orage peuvent ne pas les tirer du sommeil. En reconnaissant l’importance à donner à un son et en ne portant pas à la conscience les bruits n’offrant pas d’intérêt le cerveau protège ainsi d’une surcharge sensorielle.
À propos de la perturbation du sommeil par le bruit, la vraie question se trouve en fait posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000).
S’il est amplement démontré par des études cliniques en laboratoire que le bruit peut entrainer des modifications des systèmes cardio-vasculaire, neuroendocriniens, digestifs ou respiratoires, il doit donc être admis que l'impact sur ces altérations résultent aussi de la pertinence accordée à la source et de l’affectivité négative portée sur le bruit.
De telles recherches enrichissent grandement les modèles de relation entre le signal sensoriel et les mécanismes de la perception.
Il convient encore de dénoncer l’artéfact écolo-médiatique suivant lequel le bruit serait un générateur obligé de trouble ; représentation dommageable par suite de l'effet nocebo qu’elle suscite.
Les médias sont sans doute bien conscients qu’une information anxiogène attire l'attention et fait vendre les journaux, mais pour autant sans se rendre compte de l’importance de leur rôle dans le conditionnement de la population et finalement de leur contribution majeure au stress environnemental.
Des études démontrent ainsi des inquiétudes collectives, parfois non fondées, sur des sujets de santé publique comme par exemple les effets des rayonnements électromagnétiques ; il a ainsi été observé que des troubles avaient été allégués par des riverains d'une antenne-relais de téléphonie tandis que l'installation n'avait pas encore été mise en service.
Une expérience scandinave a démontré en l’absence de tout environnement nocif qu’un nombre significatif d’individus se plaignaient de symptômes divers gastro-intestinaux, musculaires et névralgiques (« effet nocebo ») après la diffusion d’informations erronées sur une pollution par des médias (Barsky, Saintfort, Rogers – JAMA 2002 ; 287).
Le rapport de l’Académie nationale de médecine sur les Nuisances sanitaires des éoliennes terrestres (séance du mardi 9 mai 2017) fait état de l’expérience suivante :
« Une récente étude néozélandaise conduite en double aveugle a comparé les effets d’une exposition de 10 minutes soit à une stimulation placebo (c’est-à-dire au silence), soit à des infrasons, sur des sujets recevant préalablement une information soulignant soit les méfaits, soit l’innocuité de ces derniers. Seuls les sujets ayant reçu les informations négatives rapportèrent des symptômes, qu’ils aient été ou non soumis à l’exposition aux infrasons !!! Cette expérience souligne le rôle éventuellement négatif de certains médias et autres réseaux sociaux. » (Barsky AJ, Saintfort R, Rogers MP et al. Nonspecific medication side effects and the nocebo phenomenon. JAMA 2002; 287: 622-7. Crichton F, Petrie KJ. Health complaints and wind turbines : the efficacy of explaining the nocebo response to reduce symptom reporting. Environ Res 2015; 140; 449-55. Baxter J, Morzaria R, Hirsch R. A case-control study of support/opposition to wind turbines: perception of health risk, economic benefit, and community conflict. Energy Policy 2013; 61: 931-43.)
Retenons encore suivant ces études que « les personnes qui déclarent avoir une électrosensibilité éprouvent en effet des symptômes lorsqu’elles sont exposées à des champs électromagnétiques, mais seulement lorsqu’elles savent qu’elles sont exposées » suivant G.J. Rubin, M. Burns, S. Wessely (King’s College London, Department of Psychological Medecine, Londres, Royaume Uni).
Ainsi l’Académie nationale de médecine retient que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance ».
De même l’O.M.S., suivant laquelle la gêne est une « sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé », retient ainsi l’impact de l’imaginaire sur le trouble.
Observons suivant ces hautes instances médicales et puisqu’il est question de sanité que l’application du « droit de vivre dans un environnement sonore sain », tel qu’institué par l’article L.571-1A du Code de l’environnement, suppose donc de prendre en compte le comportement face au bruit et de ne pas confondre nuisance et pollution.
Sans doute devrait-on alors plus souvent s’interroger sur l'impact du bruit sur la santé lorsque le bruit est considéré a priori comme nocif et sans doute les enquêtes d’opinion, dont le questionnaire se trouve orienté ne devraient pas faire l’économie d’une attitude collective dûment attestée par des taux de plainte analogues dans des conditions sociales et de bruyance comparables.
Manuel Perianez dénonce à propos des sondages sur le bruit la « préexistence d’une opinion consciente socialement établie » (Limite de validité des sondages en sciences sociales – Journées STE Créteil – 23 mai 1996) et rappelle à l’image de R. Barthes (La Chambre claire) que « pour obtenir une photographie qui saisisse le vif du sujet, il faut la prendre à son insu ».
L’ensemble de ces contributions devrait ainsi conduire à partager la réserve exprimée depuis déjà de longue date par différents chercheurs, tels Miller en 1974 ou Kryter en 1985, qui soutenaient la réelle difficulté d'établir un lien de causalité tangible entre le niveau physique du bruit et les troubles affectant la santé.
À l’évidence ce n’est donc pas parce que le facteur de trouble lié à l’aversion, ou pour le moins, l’indésirabilité du bruit n’est pas mesurable qu’il doit donc être négligé.
Vers une approche cognitive du bruit
L’approche purement physicaliste du bruit montrant ses limites, un changement de paradigme s’impose, impliquant la prise en compte de nouveaux indicateurs.
En tout état de cause le paramètre cognitif ne peut plus rester ignoré dès lors que l’O.M.S, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux (arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 8 juillet 2021) reconnaissent l’effet nocebo provoqué en la circonstance d’éoliennes par l’attitude anxieuse des riverains ; un tel effet étant naturellement susceptible d’être étendu à toute autre source de voisinage.
Ainsi D. Dubois (LCPE/LAM) et M. Raimbault (INRETS-LTE) inaugurent de nouvelles recherches sur la catégorisation de bruits urbains au niveau des représentations collectives en mettant l’accent sur la signification donnée aux bruits (Les catégories cognitives du bruit urbain : des discours aux indicateurs physiques – Acoustique et technique n°39).
À la différence du traitement de mesure physique, le traitement cognitif du bruit conduit à prendre en compte les processus d’interprétation sémantique, lesquels relèvent bien sûr des représentations mentales issues de l’expérience de chacun, mais qu’il semble possible de catégoriser en représentations collectives dès lors qu’elles se trouvent partagées.
Par exemple, si l’on retient la démonstration de Fields et Walker (1982) suivant laquelle, à niveau sonore identique, la gêne est forte chez les personnes qui pensent que le bruit est évitable et plutôt faible chez ceux qui considèrent qu’il est inéluctable, l’évitabilité semble ainsi constituer un critère cognitif remarquable du trouble.
D’autres critères cognitifs se dégagent certainement des indicateurs d’anormalité habituellement retenus par le juge civil dans le cadre de l’instruction du trouble anormal de voisinage, tels que l’incongruité dans le contexte ou le défaut de précaution, qui relèvent effectivement de considérations non pas psychologiques mais factuelles.
S’il était permis de suggérer différentes actions dans le cadre de la prévention des effets cognitifs du bruit, ces dernières pourraient concerner :
- Le développement de la recherche pour l’identification de catégories cognitives du trouble de bruit, permettant de relativiser le critère de seuil souvent improbable du niveau de bruit ou de l’émergence et d’élaborer des principes de précaution qualitatifs.
- La réalisation d’une campagne d’information à l’intention du public et des médias, visant à redonner au bruit l’interprétation sémantique nécessaire à une approche compréhensible de la nuisance sonore et de nature à faciliter son traitement.
- L’éducation au partage de l’espace sonore dans le cadre scolaire et l’action des collectivités locales, rappelant bien au-delà de la question du bruit les fondements de la civilité.
L’instruction de plaintes donne ainsi à voir toute la complexité de l’appréhension du bruit et impose de chercher plutôt que de restreindre :
Prendre les humains pour des decibelmètres, c’est leur interdire de penser le bruit ; rappelons ce que disait Georges Bernanos dans la « France de robots » en 1947 : « Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté ».
Quelques repères bibliographiques :
Les effets du bruit sur la santé, J. Mouret et M. Vallet, ministère des affaires sociales et de la santé
Les stress de l’environnement, Annie Moch, Culture et société
La signification de la gêne attribuée aux bruits dans les logements, F. Desbons et M. Perianez, ministère de l’équipement
Évaluation des impacts sanitaires extra-auditifs, Anses
Le coq et le klaxon ou la France à la découverte du bruit, Ch. Granger, Presses de Sciences Po
Le cortex moteur aide à mieux entendre, B. Morillon et S. Baillet, PNAS USA
Les catégories cognitives du bruit urbain, D. Dubois et C. Guastavino, Acoustique et Techniques
Les effets du bruit, S. Stanfeld, Acoustique et Techniques
Mécanismes psychologiques possibles du syndrome éolien, G. J. Rubin, M. Burns et S. Wessely, King’s College London
L’audition et la compréhension, Audition et santé