mardi 11 janvier 2022

L'EXPERT JUDICIAIRE ET LA CONVENTION DE PROCEDURE PARTICIPATIVE

La Convention de procédure participative codifiée par les articles 2062 à 2068 du Code civil et 1542 à 1567 du Code de procédure civile est un pacte par lequel les parties à un différend s'engagent à " œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ".

Une telle procédure concerne particulièrement les litiges de bruit de voisinage en raison de la personnalisation récurrente du conflit en cette matière, conduisant parfois à s'interroger si le trouble est bien occasionné par le bruit ou plutôt le bruit la résultante d'un trouble de plus large ampleur ; le bruit étant certes porteur de sons mais encore de significations.

On remarque l'usage dans le cadre de cette convention de solliciter l'avis d'un expert, même en présence du caractère manifestement relationnel du différend, tant pour vérifier la réalité physique du bruit incriminé qu'en escomptant déplacer le centre du conflit sur une question technique avec pour solution un remède miracle, bien entendu à moindre frais ; du type des solutions vantées dans les publicités comme tel doublage intitulé "silence" ou telle peinture qualifiée d' "insonorisante" par le fabricant.

Cet avis qui prend la forme d'une expertise amiable présentait jusqu'ici, en cas d'échec du rapprochement, une certaine fragilité judiciaire en dépit de la jurisprudence récente dont en particulier l’arrêt du 5 mars 2020 de la Cour de cassation (pourvoi n° 19-13.509) considérant qu'un juge peut fonder sa décision sur des rapports d'expertise amiable établis de façon non contradictoire à partir du moment où « ces rapports avaient été soumis à la libre discussion des parties ».

Ainsi l'article 4 du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, en vigueur depuis le 1er novembre 2021, vient renforcer considérablement le pouvoir transactionnel de la Convention de procédure participative en fixant à l'article 1554 du Code de procédure civile que désormais le rapport établi dans le cadre de la convention « a valeur de rapport d'expertise judiciaire ».

On remarque que cette modification de l'article 1554 du C.P.C. a pour effet d'imposer à l'expert une tout autre exigence, puisque son autorité ne lui est désormais plus conférée par le juge mais par les parties elles-mêmes, soit une autorité sans recours.

Il est permis de proposer que l'expertise conventionnelle apporte différents avantages par rapport à l'expertise ordonnée par le juge, comme par exemple : 

- Le choix concerté de l'expert par les parties, éclairé par la réputation du technicien et l'entretien préalable que ces dernières peuvent avoir avec ce dernier, offre la garantie de la meilleure adéquation du domaine de compétence expertale avec l'objet du litige et sans doute aussi celle d'une forme de compatibilité entre la personnalité de l'expert et le contexte du différend; on rappelle à nouveau que les conflits de bruit de voisinage excèdent souvent le strict domaine de l'acoustique, exigeant alors de la part de l'expert bien d'autres qualités que celles afférentes au seul technicien.

- La possibilité donnée à l'expert de participer à la définition de la mission permet de restreindre l'étendue des investigations et du développement de l'avis au strict nécessaire. Par ailleurs, en échappant au cadre judiciaire, la mission devient susceptible d'adaptation au cours de l'avancée des constatations ainsi qu'en fonction de l'évolution du débat entre les parties 

- Enfin, au-delà de la seule administration de la preuve des faits fixée par l'article 145 du C.P.C. et en dépit de ce que la prohibition de l'article 240 ne vise strictement que le juge, la désignation conventionnelle offre à l'expert la possibilité de s’immiscer autant que possible dans le débat des parties. On rappelle à cet effet que seul un expert peut, suivant le contexte constructif de l'affaire, démontrer l’insuffisance de dispositions techniques pour régler un contentieux ; autrement dit pour mettre en évidence le nécessité d'envisager également des modifications d'attitude et de comportement, tant de la part du demandeur que du défendeur ; ces modifications restant le plus souvent indispensables pour la résolution effective et durable d'un différend de bruit de voisinage.

On remarque que l'expert est sans doute le plus à même de convaincre des voisins querelleurs que ces derniers n’ont en fonction des circonstances d’autre choix que de devoir mutuellement s'entendre, ceci dans les deux sens du terme ; une telle incitation contribuant à l’occasion à des rapprochements d'autant plus inattendus qu'immédiats.

Étant observé que l'expert judiciaire ne dispose pas de l’apanage de la compétence technique ni de la maîtrise du principe du contradictoire, il convient tout de même de s'interroger, en cas de mise en état ou d'échec de la procédure participative, sur l’impact que peut avoir l’inscription du technicien sur une liste juridictionnelle dans l'appréciation du rapport.

Il est donc possible qu’en dépit des ouvertures offertes par la modification de l'article 1554 du C.P.C. l'expert judiciaire reste encore pour un certain temps l'expert retenu à titre conventionnel.









article paru dans la revue Echo Bruit n° 172 - mai 2022

N.B.
Observons que l’article 750-1 du Code de procédure civile, qui instituait la médiation préalable obligatoire en application du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, a été annulé par le Conseil d’État le 22 septembre 2022 (décision n° 436939) à la suite de la saisine du Conseil National des Barreaux, de la Conférence des bâtonniers, de l’ordre des avocats au barreau de Paris, de l’Association des avocats conseils d’entreprises, de la Confédération nationale des avocats et de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats puis ultérieurement du syndicat des avocats de France et du syndicat de la magistrature.