jeudi 30 août 2018

BRUIT DE CHANTIER ET REFERE PREVENTIF

1. LE REFERE PREVENTIF 


Instituée dans les années soixante, la procédure de référé préventif est aujourd’hui d’usage courant lors de l’ouverture d’un chantier de travaux en site urbain.

Ce type particulier de procédure, initié à l’origine par les maîtres d’ouvrage dans l’intention de faire constater judiciairement avant travaux l’état des immeubles voisins afin d’éviter d’avoir à réparer des désordres préexistants, a été étendu par la suite à la prévention des aléas du chantier à l’encontre des riverains et voit depuis quelques années en ce qui concerne le bruit un double développement :
- d’une part l’examen de l’impact sonore prévisible du chantier avant le démarrage des travaux
- d’autre part le constat dudit impact en cours de travaux

Il est observé que pour différents juges du contrôle la prise en compte du bruit se trouve implicite de la mission standard du référé préventif visant la prévention de l’ensemble des aléas du chantier de travaux à l’égard des avoisinants.

Le fondement de la demande du maître de l’ouvrage et la désignation du technicien par le juge reposent alors sur l’application de deux articles du Code de procédure civile :

- Article 145
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

- Article 809
« Le président peut toujours « même en présence d’une contestation sérieuse » prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

2. LES MISSIONS D’EXPERTISE 


Les missions d’expertise se trouvent habituellement confiées par une ordonnance du juge des référés ou plus rarement dans le cadre d’un jugement.

Les chefs de mission spécifiquement ordonnés en matière de bruit sont très variés au motif de reprendre souvent, à défaut de la mission type de la Cour, le projet proposé dans l’assignation.

Voici quelques exemples particuliers de chefs de mission :
- dresser, en cours de travaux, un constat précis des émergences sonores dans les immeubles mitoyens, identifier leur source, qualifier l'emploi des matériels et des techniques à leur origine, déterminer les solutions techniques propres à les diminuer si besoin est
- donner un avis et, le cas échéant, évaluer les préjudices subis en cas de troubles de jouissance et leur relation avec le déroulement du chantier
- procéder avant travaux à un constat des valeurs acoustiques
- analyser les modes opératoires, les méthodologies, les précautions d'exécution, les phasages de travaux et donner un avis sur les dispositions constructives propres à prévenir les litiges
- examiner la répercussion du bruit des travaux sur l'exploitation ; en cas de difficultés, proposer un aménagement des horaires
- examiner les troubles de jouissance subis du fait des travaux, à savoir préciser les normes applicables en matière de bruit, dire quelles sont les tolérances admises en présence de travaux, dire si les troubles acoustiques dépassent celles-ci
- rechercher et indiquer les moyens possibles pour réduire les nuisances
- donner un avis sur l'existence d'une gêne sonore et le cas échéant sur l'importance de cette gêne
- fournir tous les éléments descriptifs de la gêne constatée
- au besoin, réaliser des interventions inopinées et en rendre compte aux parties après exécution
- caractériser d'éventuels manquements aux prescriptions législatives, réglementaires ou contractuelles et aux règles de l'art
- fournir tous les éléments permettant à la juridiction éventuellement saisie, de déterminer si les nuisances sont de nature à constituer un trouble anormal de voisinage

Ces différents chefs de mission, regroupés comme suit par thèmes, ne sont pas exempts de difficultés d’applications.

Constater les bruits et identifier les sources

Le constat de bruit de chantier pose plusieurs questions : la disponibilité de l'expert lors de la survenance du bruit, l'assurance de ce que le bruit perçu provient bien des travaux incriminés et le caractère non contradictoire de constatations inopinées.

Si la jurisprudence ne manque pas de confirmer la validité d'opérations unilatérales dès lors qu'il en est rendu compte au cours de l’instruction et permis ainsi aux parties d'en débattre avant le dépôt du rapport, il reste que l'assurance de la provenance du bruit en cas de transmission dite solidienne par les structures ne repose en fait que sur l'intime conviction de l'expert, puisque ce dernier ne peut se trouver à la fois à proximité du sonomètre pour certifier la mesure chez le plaignant et à côté de la source pour valider l'origine du bruit.

Or dans un cadre judiciaire l’intime conviction ne peut être confondue avec la certitude et à cet égard des périodes d’enregistrement réalisées tandis que l’expert avait quitté le point de mesure pour vérifier l’origine du bruit ont déjà été annulées.

Concernant la coïncidence entre la disponibilité de l'expert et l'apparition du bruit, il est retenu l’appréciation courante des voisins suivant laquelle les constatations effectuées ne sont pas représentatives de l’exposition… soit parce qu’il y avait davantage de bruit avant le constat ou que le bruit a recommencé après.

Alors quel dispositif de surveillance en continu permettrait de corréler avec certitude, c’est-à-dire sans aucune contestation possible, l'activité du chantier avec l’exposition sonore des riverains ; sachant l’étendue et la multiplicité des tâches bruyantes ou vibrantes lorsque l’ouvrage est d’importance, sachant la grande variation des niveaux de bruit au voisinage suivant les modalités et la localisation des chocs (soit la difficulté d’établir des fonctions de transfert fiables), sachant encore l'action éventuelle, volontaire ou non, sur les capteurs acoustiques et vibratoires côté chantier, mais aussi la possibilité d’ajout fortuit ou intentionné de bruit, le cas échéant de manière strictement synchrone et de même forme audio, côté riverain?

On remarque que si les dispositifs de surveillance acoustique sont ainsi contestables dans le cadre de l’instruction technique judiciaire pour les raisons citées précédemment, ils le sont encore au sens du droit dès lors que la référence à un seuil sonore déroge au principe des dispositions du Code de la santé publique ou d’une partie de la jurisprudence sur le trouble anormal qui reposent non pas sur le niveau de bruit (ou sur la limite d’émergence) mais sur le défaut de précaution.

Autrement dit, imposer un seuil de bruit au voisinage tandis que des précautions peuvent être adoptées pour un moindre niveau sonore ou au contraire fixer un seuil garantissant la tranquillité des avoisinants mais susceptible de compromettre l’exécution de travaux, se trouvent dans les deux cas tout autant contestables. 

Il est bien certain en retour que la mise place d’un monitoring sur un chantier est essentielle dans le cadre de la gestion sonore des tâches, ainsi que des horaires, dès lors qu’un cahier des charges en fixe les limites ; toutefois la portée d’une telle surveillance reste contractuelle, convenue entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, et ne devrait donc pas constituer un élément de preuve au profit du voisinage comme il est parfois sollicité par ce dernier.

Donner un avis sur les dispositions constructives de l'ouvrage

La question sur les dispositions constructives posée dans le cadre d’un référé préventif vise semble-t’il deux aspects, d'une part la répercussion de la conception architecturale et technique du projet sur les modalités d’exécution et par conséquence sur le bruit du chantier, et d'autre part l'impact sonore résultant du fonctionnement ou de l’utilisation de l'immeuble une fois réalisé.

De plus en plus de missions se trouvent ainsi étendues, au-delà du bruit provisoire de chantier, dans l’objectif de prévenir le bruit qui pourrait résulter cette fois-ci de l’exploitation du bâtiment après achèvement des travaux ; soit un ultime développement du référé préventif conduisant certainement à s’interroger sur les motifs d’une telle judiciarisation du secteur de la construction.

Dans le premier cas il convient par exemple d’examiner si la création de poteaux aurait permis d'éviter la réalisation d’empochements bruyants dans le mitoyen (question technique et non de droit) et dans le deuxième de vérifier que le projet prévoit bien, s’agissant par exemple de l’installation d’un ascenseur en pignon ou d’appareils de climatisation en limite de propriété, les dispositions constructives propres à la prévention de la tranquillité des voisins.

Il est observé ici que le référentiel de la tranquillité ne peut être confondu avec celui des obligations réglementaires, qui en tout état de cause ne peut être celui des activités visées par l’article R.1336-6 (anciennement R.1334-32) du Code de la santé dès lors que l’immeuble construit est à usage d’habitation.

On remarque encore que l’avis de l’expert ne constitue pas un audit, ni ne doit conduire à des prescriptions techniques, puisque ce dernier ne se trouve pas désigné pour suppléer la carence éventuelle du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre mais pour renseigner le juge sur la bonne conduite du projet à l’égard des riverains.

Il sera encore ajouté que l’expert ne peut non plus être missionné pour délivrer des ordres de service ou encore pour réceptionner des travaux, tâches relevant des attributions du maître de l’ouvrage assisté pour ce faire du maître d’œuvre

Qualifier le matériel de chantier et analyser les modes opératoires

Pour ce chef de mission relatif au process des travaux il est souhaitable que l’expert soit désigné suffisamment tôt, c’est-à-dire avant le démarrage du chantier, afin de vérifier la bonne exécution de l’étude d’impact ; étude indispensable pour évaluer par avance le risque acoustique et vibratoire susceptible de résulter pour le voisinage de l’exécution des travaux, tant en phase de démolition qu’en phase de construction.

Il convient à cet effet que le technicien désigné par le juge vérifie que les tests de simulation d'activité adaptés aux différents types de modes opératoires envisagés sont bien prévus et réalisés, permettant ainsi d’avoir un ordre de grandeur du niveau du bruit exposant le voisinage suivant le type d’outillage et la localisation des tâches

On remarque que le bruit peut difficilement en la matière faire l’objet d’une modélisation prévisionnelle précise, s’agissant de la réalisation de chocs sur des supports variés et de leur transmission à travers des structures anciennes et inhomogènes, puis encore du rayonnement acoustique singulier des parois dans les locaux des riverains.

Ces opérations préalables sont fondamentales, car en permettant aux constructeurs de considérer le bruit que leur activité risque d’occasionner et en préparant le voisinage aux inconvénients sonores inhérents aux tâches percussives reconnues comme inévitables (démolition de parties d’escalier, non sciables ni croquables, recherche d’aciers …) ces dernières contribuent à la mise en place du processus de concertation entre les intervenants du chantier et le voisinage,

C'est dans le cadre de ce chef de mission que l'expert doit renseigner cette question essentielle pour le juge, qui vise tant le maître d’ouvrage, l’équipe de maîtrise d’œuvre, que les entreprises, et se résume ainsi de manière apophatique : « Est-ce qu’il aurait été procédé différemment en l’absence de voisins ? ».

Donner un avis sur la gêne sonore, préciser quelles sont les tolérances admises, fournir un avis permettant d'apprécier l'anormalité du trouble

Il convient de rappeler d'une part que le trouble anormal est une notion de droit réservée à l’appréciation souveraine du juge et d'autre part que la description factuelle de la situation à l’origine du trouble est essentielle, puisque la responsabilité du bruiteur en dépend sans même que ce dernier ait commis une faute.

On doit retenir de certaines décisions que l'anormalité résulte non pas de l’excès de trouble mais du trouble lui-même en considération de l’activité du voisinage ; autrement dit que le trouble doit être examiné en tant que tel, comme atteinte à la jouissance, en comparaison des conditions habituelles du site et non de celles d'une activité singulière de chantier.

A l’inverse d’autres décisions retiennent que le trouble occasionné par un chantier est inévitable et qu'il convient alors de n'apprécier effectivement que l'excès du bruit, autrement dit le défaut de précaution.

Il est à nouveau observé qu'aucune limite en termes de niveau de bruit ne se trouve fixée réglementairement ou civilement à l'égard des bruits de chantier et que s'il est possible de fixer un seuil d’empêchement pour des activités commerciales ou tertiaires, comme par exemple lorsque la communication devient difficile, il reste impossible en retour d’établir un seuil limite de tranquillité dans un immeuble habitation puisque la nature du bruit de chantier, est susceptible en elle-même d’occasionner un trouble.

On rappelle qu'à niveau faible, c'est-à-dire pour des niveaux de bruit ne dépassant pas ceux que l'on produit couramment chez soi ou au bureau, la gêne ne dépend pas de l'intensité mais de la signification du bruit, c’est-à-dire de l’appréhension que l’on a de la source de bruit.

Ainsi un bruit appréhendé comme insolite ou incongru est susceptible d’être ressenti comme gênant même si son niveau reste faible.

La description de l'exposition sonore du voisinage par l'expert doit donc faire l'objet d'une grande précision afin que le juge puisse apprécier si le trouble subi relève d'un inconvénient, d'un désagrément ou occasionne un empêchement.

On remarque que le trouble à instruire n’est pas le trouble de la personne mais le trouble à la personne et que l’expert doit certainement éviter toute appréciation d’ordre subjectif.

Doivent ainsi se trouver renseignés les faits objectifs de trouble, tels que les conditions d’audibilité, l’usualité de la source de bruit dans le contexte, le manque de précaution, le non-respect des règles de l’art … tous ces indicateurs permettant au juge de relativiser la privation de jouissance alléguée.

C’est ainsi que le juge n’apprécie pas l’anormalité sur le seul fondement du niveau de bruit, mais sur des critères de durée, de répétition, de contexte, d’évitabilité, de comportement … ceci permet de retenir que le trouble anormal est toujours contextuel.

Dans le cas d'activités de voisinage acoustiquement sensibles, comme celles de studios d'enregistrement, il convient donc bien de vérifier si le bruit est seulement de nature à perturber l'attention des utilisateurs ou s'il compromet techniquement l'exploitation.

Déterminer les solutions propres à la réduction des nuisances

Les dispositions curatives sont évidemment multiples avec pour solutions extrêmes le déplacement des riverains ou l'arrêt du chantier.

Si ces extrémités ne peuvent jamais être exclues, il est tout de même permis de retenir que la mission implicite de l’expert en référé préventif est, sauf empêchement d’activité ou menace pour la santé, de tenter de les éviter et de maintenir cahin-caha la cohabitation des parties.

Dans ce cadre déterminer les solutions propres à la réduction des nuisances consiste à vérifier pour chacune des tâches impactant le voisinage s’il est permis d’adopter un mode opératoire moins vibrant ou moins bruyant ou encore de mettre en place des dispositifs de protection.

En cas de tâche inévitable affectant lourdement les conditions d’habitabilité des voisins, il convient effectivement d’inciter les parties à débattre de plages horaires et d’en acter les résolutions.

Ainsi contraindre, par l’avis donné, les constructeurs à prendre des précautions (qu'ils affectent souvent de ne pas avoir prévues dans leur budget) et les voisins à supporter des bruits dont ils se seraient passés, exige un fort engagement de la part de l’expert désigné.

Parmi les solutions appropriées à la réduction des nuisances, il apparaît à l'usage qu’un moyen efficace consiste à mettre en place une ligne téléphonique permettant aux voisins, outre de pouvoir libérer leur courroux au moment précis du désagrément, d'être renseignés à l'immédiat sur la nature et la durée de la tâche bruyante, voire de permettre son arrêt et son report dans les tranches horaires convenues.

Il est donc important que l'expert s'assure personnellement du bon fonctionnement de cette ligne par quelques appels inopinés et vérifie par ailleurs que le registre des doléances se trouve bien tenu.

Evaluer les préjudices

Sans doute l'expert acousticien doit-il faire appel ici à un sapiteur, dès lors qu'un préjudice commercial se trouve avancé.

Dans les cas courants de voisinage domestique, il paraît possible d’estimer le préjudice lié au trouble, en considérant qu'un bien exposé à une nuisance sonore extérieure se trouve couramment déprécié d'environ 15 à 20 % par rapport aux biens équivalents situés en ambiance calme et que l'occupant peut ainsi arguer de la décote équivalente de la valeur locative sur la durée de l'exposition.

Pour autant le bruit occasionnel de chantier pourrait être considéré comme faisant partie des inconvénients inhérents à la cité, ce qui supposerait alors une forme de servitude sonore correspondante à l’instant où il est démontré que des précautions sont assurément adoptées par les constructeurs vis-à-vis du voisinage.

Renseigner les imputabilités

La Cour de cassation semblant privilégier le choix de la recherche d’un lien de causalité direct (en substitution de la notion de voisin occasionnel) pour l’appréciation de la responsabilité des locateurs d’ouvrage, il revient certainement à l’expert de renseigner dans le détail l’action de chaque intervenant par rapport à l’étendue et au process du chantier, à savoir le maître d’ouvrage, l’équipe de maîtrise d’œuvre ainsi que les entreprises d’exécution.

3. LE REFERENTIEL D’APPRECIATION DE LA FAUTE ET DU TROUBLE


3.1. LA REGLEMENTATION 


Réglementation sur les matériels de chantier utilisés à l’extérieur

Les textes en vigueur sont les articles L. 571-2 et R. 571-1 à R. 571-24 du Code de l'environnement (arrêté du 18 mars 2002 transcrivant la directive 2000/14/CE du Parlement européen), lesquels visent plus d’une soixantaine de catégories d'engins :
- Pour plus d’une vingtaine de catégories il est prévu un marquage du niveau sonore des machines et une limitation du niveau de puissance acoustique : engins de compactage, moto compresseurs, brise-béton et marteaux-piqueurs à main, grues mobiles...
- Pour une quarantaine d’autres catégories le matériel est seulement soumis à un marquage du niveau sonore : malaxeurs à béton ou à mortier, treuils de chantier à moteur électrique, appareils de forage, brise-roche hydrauliques...

Il convient d’insister sur le fait que les niveaux limites donnés sont des niveaux de puissance acoustique et non pas des niveaux de bruit sur site.

Réglementation sur les chantiers

Dispositions générales

Pour les chantiers publics et privés qui sont soumis à une obligation de déclaration ou d'autorisation (permis de construire ou déclaration de travaux) le Code de la santé prescrit les dispositions suivantes:
Art. R. 1336-10 (suivant décret du 7 août 2017) ou anciennement art. R. 1334-36 (suivant décret du 31 août 2006)
« Si le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 (ou R.1334-31) a pour origine un chantier de travaux publics ou privés, ou des travaux intéressant les bâtiments et leurs équipements soumis à une procédure de déclaration ou d'autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée par l'une des circonstances suivantes :
- Le non-respect des conditions fixées par les autorités compétentes en ce qui concerne soit la réalisation des travaux, soit l'utilisation ou l'exploitation de matériels ou d’équipements
- L'insuffisance de précautions appropriées pour limiter ce bruit
- Un comportement anormalement bruyant »

Dans ce cas précis du bruit de chantier il apparaît que la réglementation ne prévoit pas l’obligation de recourir à la mesure sonométrique ; ce qui ne veut pas dire pour autant qu’une mesure ne puisse aider par comparaison de situation à renseigner l’éventuel défaut de précaution.

Pour les travaux qui ne nécessitent aucune déclaration ni autorisation, en particulier les chantiers de rénovation à l'intérieur des logements, également susceptibles d’occasionner du bruit pour les voisins ou les riverains, la réglementation est celle des activités domestiques :

Art. R. 1336-4 ou anciennement R. 1334-31
« Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité. »

Ici non plus, le recours à la mesure sonométrique n’est pas obligatoire.

Le Conseil national du bruit a élaboré à cet effet un guide de « Constat d’infraction sans mesurage des bruits de voisinage » renseignant différents critères factuels pour permettre aux agents habilités de verbaliser.

Outre ces dispositions du Code de la santé, l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales permet au maire de soumettre par arrêté les activités s'exerçant sur la voie publique à des prescriptions particulières concernant les horaires et les niveaux sonores.

Le maire peut également prévenir les nuisances sonores en imposant des prescriptions particulières dans les autorisations de travaux et les arrêtés de permis de construire.

Dispositions particulières visant les installations classées

Des installations spécifiques soumises à la réglementation des ICPE peuvent être présentes sur les chantiers (broyage, fabrication de ciment…)

La réglementation applicable est l’arrêté du 23 janvier 1997 (modifiant l’arrêté du 20 août 1985 pour ce qui concerne les installations soumises à autorisation).
Les exigences sont les suivantes :



En outre, les engins de chantier doivent être conformes aux dispositions en vigueur en matière de limitation de leurs émissions sonores.

3.2. LES DISPOSITIONS CIVILES 


Le trouble anormal de voisinage

Hormis l’application des articles 1240 à 1244 du Code civil sur la réparation, la démonstration du préjudice et le droit à indemnisation s’appuient essentiellement sur l’article 544 du Code Civil qui énonce que :
« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » ,

étant retenu la jurisprudence correspondante qui établit que le droit de propriété est limité par l’obligation de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les « inconvénients normaux du voisinage ».

Il appartient alors au juge de rechercher si le bruit de chantier incriminé contribue à un inconvénient excédant les obligations normales du voisinage, c'est-à-dire un inconvénient qui dépasse ceux qu'on est appelé à supporter de la part de ses voisins compte-tenu du contexte et des usages.

La Cour de cassation a posé le principe suivant lequel le trouble anormal de voisinage doit être sanctionné même en l'absence de faute (Cass. 2 e civ., 24 avr. 1989) ; principe maintes fois réaffirmé comme par exemple lors d'une demande de réparation consécutive à des nuisances occasionnées par un chantier (C.A. de Paris, 12 janv. 1999).

Les critères d’appréciations de l’anormalité sont variables suivant les décisions :

L'intensité du bruit

- Les travaux de démolition et de construction d'un bâtiment jouxtant un fonds de commerce de bar-brasserie ont duré six mois et engendré des nuisances sonores significatives. La perte d'exploitation subie par l'exploitant est justifiée sur la base d'une perte d'activité moyenne de 15 couverts par jour durant la période s'étant écoulée de mi-juin à mi-octobre. La diminution de la fréquentation de l'établissement de la part des habitués et une importante atteinte à son image commerciale ont été indemnisées (C.A. de Rennes, 21 mai 2013)

- De même le caractère anormal de l'inconvénient de voisinage lié à un chantier d'une durée d'un mois a été retenu au motif du niveau insupportable des nuisances sonores attesté par les pièces produites par l'exploitant de l'hôtel, relatant une gêne importante à compter de 8 h30 du matin et jusqu'à 16 h 30 les jours ouvrables, empêchant les clients de l'hôtel de profiter de la terrasse et les incommodant jusque dans leurs chambres (C.A. de Rouen, 13 mars 2013)

- Des travaux de construction exécutés par deux sociétés sur des terrains jouxtant un camping en période touristique, sept jours sur sept, avec un bruit important de manipulation d’outils et de groupe électrogène (C.A. de Bastia, 10 avril 2013)

- La présence d'un chantier de construction immobilière à proximité d'un hôtel est constitutive d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage lorsque ce chantier ouvert l'été dans une station balnéaire est source de nuisances diverses, telles que des bruits importants occasionnés par le fonctionnement d'une grue, d’une pelleteuse et le déchargement de camions, prouvées par des attestations de clients manifestant leur mécontentement (C.A. de Caen, I er juin 1995).

- Des nuisances sonores occasionnées à un restaurant, telles que le bruit s'entendait malgré la fermeture des portes (C.A. de Paris, 12 janvier 1999).

La durée du chantier

- Il est retenu l’anormalité d’un chantier en raison de la construction d'une maison voisine qui avait duré près de cinq ans (C.A. de Paris, 28 mars 1989)

- La responsabilité de l'auteur de travaux est engagée dès lors que celui-ci refuse de prendre en considération le trouble occasionné au voisinage depuis cinq années (C.A. de Paris, 10 mai 1989)

- Il en est d’autant plus lorsque les travaux se prolongent depuis dix ans (C.A. de Paris, 29 sept. 1981)

Le non-respect des arrêtés préfectoraux et municipaux

- Des troubles anormaux de voisinage sont retenus au motif que les travaux de construction ont été réalisés en dehors des heures prévues et les périodes autorisées par l’arrêté du Maire (C.A. de Paris, 6 juill. 1994)

- Il est reproché au chantier de ne pas avoir limité certains travaux nécessairement bruyants entre 7 heures et 9 heures du matin. La responsabilité du maître d'œuvre ainsi que celle de I’entrepreneur a été de ce fait retenue (C.A. de Paris,19 janvier 1999)

- Le non-respect des plages horaires et la nature des engins a conduit à retenir la responsabilité de l'entreprise (C. cassation, 6 juillet 2004)

- Des travaux, caractérisés par d'importantes nuisances auditives et olfactives produites de manière continue, ayant été réalisés en infraction aux horaires fixés par le Maire prévoyant une interruption entre 12 et 14 heures. Il a été retenu de ce fait l’anormalité du trouble (C.A. de Versailles, 29 septembre 2011)

Le non-respect des préconisations de l’expert judiciaire

- Le seuil du dispositif permanent de surveillance installé à la demande de l'expert judiciaire afin de protéger un hôtel contigu au chantier ayant été franchi, la cour a statué sur l’anormalité (C.A. de Paris, 23 janvier 2003)

L'absence de précautions relevée par l’expert judiciaire

- Le maître d'ouvrage qui n’a pas suivi les réserves des experts sur le bruit est condamné à réparer les troubles causés aux tiers (C.A. de Paris, 28 mars 1989)

- L'expert a relevé que l’ouvrage en chantier se trouvait au contact de l’immeuble voisin et qu’il avait été fait l’économie d’une désolidarisation structurelle. Il a ainsi été reproché au maître de l'ouvrage d’avoir fait l'impasse sur les précautions préalables et de ne pas avoir fait en sorte que la maîtrise d'œuvre et l'entreprise minimisent les nuisances sonores constatées (Cour de cassation, 22 juin 2005)

Toutefois différentes décisions ne retiennent pas que la gêne occasionnée par un chantier est constitutive d’un trouble anormal de voisinage

- Du fait de la proximité d'un chantier nécessaire à la démolition de l'immeuble voisin les troubles subis par les voisins étaient inévitables. Ces derniers ne peuvent alors prétendre à indemnisation (C.A. de Besançon, 20 janvier 1987)

- Il est retenu que les bruits occasionnés par les camions et les engins du chantier ne dépassaient guère les bruits engendrés par les travaux publics qui avaient été effectués sur les chaussées et les trottoirs et que de ce fait le chantier devait être considéré comme normal, quelles que soient les heures d'ouverture ou les dépassements éventuellement d'horaires (Cour d'appel de Paris, 27 janvier 1989)

- La demande d'indemnisation a été rejetée malgré trois années de chantier au motif de l’absence d’inconvénient anormal de voisinage (Cour d'appel de PARIS, 12 avril 1991)

- Malgré les troubles importants générés par le chantier et malgré la durée, l’anormalité du voisinage ne peut se trouver qualifiée dès lors qu'un seul voisin se plaint (Cour d'appel de Paris, 15 mai 2003)

- Une mesure acoustique révélant 75 décibels dans un bureau, le trouble anormal de voisinage ne se trouve pas établi dès lors que sur la durée du chantier une telle valeur n’a été constatée qu’une seule fois (Cour d’appel de Paris,14 mai 2004)

4. LE RÔLE DE L’EXPERT 


Si le chantier de travaux est inhérent à l’exercice du droit de propriété, la tranquillité d’un habitant ou l’absence de perturbation d’une activité professionnelle se trouvent tout autant légitimes.

L’importance du bruit de chantier se trouvant liée aux modalités des travaux et l’exigence de tranquillité ou d’activité limitées par les contraintes techniques et le contexte urbain, l’exercice simultané de ces deux droits suppose, dans le cadre d’une telle confrontation de voisinage, des arrangements réciproques.

Il est bien question ici d’arrangements puisque tant les critères d’infraction ou d’anormalité que les critères de tranquillité se trouvent en la matière relatifs ; ce qui ne permet donc à chacun des voisins, tant le maître d’ouvrage que le riverain, d’exciper des seuils de niveaux de bruit opposables.

Dans un contexte relationnel à la fois précautionneux et tolérant de tels arrangements entre voisins devraient se trouver spontanés, il arrive cependant que le recours à un tiers intervenant soit nécessaire et c’est ici sans doute le rôle masqué, mais attendu, de l’expert désigné en référé préventif.

Rappelons ainsi que si l'article 240 du Code de procédure civile dispose que le juge « ne peut donner au technicien, mission de concilier les parties », il n'est pas indifférent de remarquer que la Cour de cassation interprète strictement cet interdit en retenant que cette prohibition ne concerne que le juge ( 2ème civ., 21 mars 1979, 2ème civ., 21 juillet 1986).

D'ailleurs, si l'expert ne peut se voir confier par le juge la mission de concilier, ce dernier n'a pas pour autant été évincé du processus puisque l'article 281 du Code de procédure civile organise la réception par lui-même des fruits d'une éventuelle conciliation des parties.

Observons encore que le fondement de l’article 145 retenu comme motif de désignation d’un expert vise bien l’instruction de faits « dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».

Ainsi, à la croyance selon laquelle l'expertise est incompatible avec la conciliation semble répondre le constat selon lequel l'expertise constitue : « un moment privilégié pour parvenir à un accord des parties » (Célérité et qualité de la justice : La gestion du temps dans le procès, La Documentation Française, Collection des rapports officiels, 2004).

Pour éviter les termes normés et réglementés de médiateur ou de conciliateur on accordera alors à l’expert désigné dans le cadre d’un référé préventif le statut de facilitateur, lequel bénéficie pour ce faire d’un pouvoir de persuasion certain lié à sa compétence technique mais surtout à son rôle d’œil du juge ; on devrait dire ici d’oreille du juge.

Revue ECHO-BRUIT n° 157-158 - 4e trim. 2018