samedi 26 avril 2025

À PROPOS DU DROIT AU CALME


QU’EST-CE QUE LE BRUIT ?

Le bruit n’est pas réductible au son.

Si le son relève d’un phénomène physique, le bruit participe en retour, au motif de son empreinte, d’un produit de la pensée.

Le bruit apporte au son de la signification, faisant en quelque sorte du bruit du « son connoté ».

En tant que tel le bruit n’est donc pas mesurable, mais seulement la part de ce dernier afférente au son ; l’instrument métrologique utilisé á cette fin se trouvant à juste titre appelé « sonomètre ».

On remarque que l’acception largement répandue suivant laquelle le bruit est un son indésirable, voire dangereux, ne résiste pas à l’observation courante suivant laquelle différentes sources apparaissent au contraire naturelles ou agréables, si ce n’est jugées apaisantes ; d’où la pratique de la cure sonothérapique.

Le classement négatif du bruit relève d’une réduction physicaliste préjudiciable, qu’il convient de dénoncer au motif d’en réduire l’approche au seul niveau sonore, tandis que la prévention de la nocivité devrait tout autant porter sur les effets cognitifs des sources.

Il n’échappe ainsi à personne, sauf raccourci technocratique, qu’un bruit de faible intensité sonore est déjà susceptible par sa seule signification de provoquer des réactions d’angoisse délétères.

Étant rappelé que l’espace habité par l’homme est d’abord sensoriel, interpréter l’environnement par ses seuls agents physiques ou chimiques et non comme un territoire vécu conduit ainsi à confondre nuisance et pollution et à déshumaniser l’action politique du bruit.

Le bruit n’est pas un objet mais un percept : « Il n’existe pas de bruit en soi, il n’existe que du bruit pour soi » insiste le professeur Claude Leroy psychiatre.

L’INDÉSIRABILITÉ, FACTEUR ESSENTIEL DU TROUBLE DE BRUIT

À l’exception d’expositions très spécifiques où des niveaux élevés sont susceptibles d’occasionner des traumatismes de l’ouïe ou en dehors des situations de débordement sonore, génératrices d’anxiété aux motifs de surcharge sensorielle et de perte du contrôle auditif autour de soi, il convient de retenir que l’indésirabilité du bruit constitue la cause majeure de stress, avec les conséquences délétères correspondantes sur la santé psychique et physiologique de la population.

La Directive 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement donne à l’article 3 la définition suivante « bruit dans l’environnement : le son extérieur non désiré ou nuisible résultant d'activités humaines, y compris le bruit émis par les moyens de transports, le trafic routier, ferroviaire ou aérien et provenant de sites d'activité industrielle … »

La présentation de l’action pour « Améliorer la tranquillité sonore » du 4ème PLAN NATIONAL SANTÉ ENVIRONNEMENT (PNSE) porte le diagnostic suivant : « du matin au soir, nos oreilles sont sollicitées par divers bruits généralement non désirés et à des niveaux sonores pouvant être élevés ».

Tant le Parlement européen que le Groupe Santé-Environnement de l’Assemblée nationale reconnaissent ainsi l’indésirabilité comme motif de nuisance sonore ; pour autant si le niveau du bruit fait effectivement l’objet de projets d’action rien n’est prévu en retour pour prévenir l’effet de l’indésirabilité.

Il en va de même du « Plan anti-bruit pour une Ile-de-France plus calme », dont l’orientation technicienne vise l’installation de capteurs de niveau sonore dans les secteurs exposés sans autre considération de l‘appréhension cognitive du bruit ; comme si le bruit des voitures ou des noctambules pouvait se trouver abstrait de toute signification et après tout se trouver comparable à celui du vent, de la pluie, de la musique ou des enfants qui jouent, en dehors de toute appréciation de sens.

Serait-il alors inconvenant de se demander si pour les riverains de voies routières la gêne du bruit de circulation des deux-roues a pour origine le niveau sonore des engins ou plutôt le manque de civisme des motards, pétaradant impunément au mépris de leur tranquillité ?

Ainsi, la pose de balises acoustiques renseigne plutôt le niveau sonore du bruit que l’incivisme, et à considérer l’intensité du bruit comme seule cause de trouble il devient difficile de proposer d’autre action curative que celle de l’élimination des bruits ; proposition à l’évidence absurde.

Observons que l’OMS ne manque pas de reconnaître l’impact délétère de la pensée sur le processus du trouble en définissant ainsi la gêne : « une sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé », de même l’Académie nationale de médecine retient que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance ».

On ne peut donc pas faire l’économie de la pensée du bruit dans le cadre du traitement de la nuisance sonore.

À LA RECHERCHE DU CALME SONORE

En dehors des situations de traumatisme auditif ou de surcharge sonore, l’état de calme devrait ainsi se trouver atteint lorsqu’il devient (enfin) possible de distinguer toute source de bruit environnante et qu’aucune n’est susceptible de se trouver indésirable ; autrement dit la tranquillité devrait exiger un bruit de fond suffisamment faible pour permettre d’entendre tout autour de soi et à défaut de les ignorer, parce que non pertinentes, de percevoir des sources familières, c’est-à-dire attendues et non transgressives dans le contexte social et culturel des lieux.

Le site calme est en conséquence un site porteur de représentations positives et principalement pour ce qui concerne les comportements environnants un lieu de prévenance et de civilité en relation avec les us et coutumes locaux.

De nombreux chercheurs comme Dominique Aubrée du CSTB (« Quand vous parlez du bruit qu’entendez-vous ? » Revue Acoustique et Technique 1995), Manuel Perianez (« Mais s'agit-il bien du bruit ? » 1994) ou Annie Moch (« Le stress de l’environnement » Culture et Société 1989) alertent déjà depuis de nombreuses années sur l’importance de la signification dans l’appréhension du bruit.

Danièle Dubois (LCPE/LAM) et Manon Raimbault (INRETS-LTE) inaugurent aujourd’hui de nouvelles recherches sur la catégorisation de bruits urbains au niveau des représentations collectives en mettant l’accent sur la signification donnée aux bruits (Les catégories cognitives du bruit urbain : des discours aux indicateurs physiques – Acoustique et technique n°39).

Voici donc les développements attendus pour permettre de catégoriser les indicateurs factuels propres à renseigner la tranquillité et le calme sonore d’un espace, au-delà de ce que la mesure acoustique est susceptible d’apporter.

Sans doute la détermination de ces indicateurs factuels est-elle de nature à guider plus utilement la politique du bruit que la seule fixation de seuils de niveau sonore ou d’émergence sans grand rapport avec les processus de stress à l’origine de troubles de la santé.