LE BRUIT N’EST-IL QU’UNE POLLUTION ?
Il n’est de revue ou de journal qui ne titre régulièrement sur le bruit sans dénoncer l’« ENNEMI PUBLIC NUMERO UN », le « FLEAU DES TEMPS MODERNES » ni en rappeler l’impact pathogène : « UN FRANÇAIS SUR DEUX EN EST MALADE ».
Un hebdomadaire de grand tirage, dont le nom ne sera pas cité par courtoisie, ne manque pas d’introduire le sujet ainsi:
« A toute heure, en tous lieux, il peut prendre toutes les formes : tintamarre industriel dans les ateliers, marteaux-piqueurs sur les chantiers, vélomoteurs à échappement scié dans la rue, métros « qui traversent le salon », tondeuses et tronçonneuses à la campagne, brouhaha des cantines scolaires, télévision des voisins, décibels en folie des boîtes de nuit … Et le plus grave est qu’il ne s’agit pas seulement d’inconfort : l’exposition à des niveaux sonores trop élevés se paie souvent d’une surdité partielle ».
D’ailleurs pourquoi les médias présenteraient-ils le bruit autrement puisque l’agence nationale en charge de l’environnement contribue elle-même à l’information en ces termes:
« Aujourd’hui le bruit est devenu une réelle pollution, à la ville comme à la campagne, : voitures, tondeuses, télévisions, chaînes Hi-Fi, voisins, autoroutes, aéroports créent un environnement sonore nuisible pour l’équilibre humain. »
Que les autoroutes ou les aéroports occasionnent à leur proximité un environnement sonore nuisible pour la santé, cela est acquis, mais que le bruit des voisins soit devenu une « réelle pollution » voilà sans doute une information à considérer avec circonspection eu-égard à la remise en cause de la vie en communauté elle-même.
Aussi le bruit se trouve-t-il dénoncé, toute source confondue, comme un agent polluant, dont le danger pour la santé est tel que l’on devient sourd au stade le plus avancé de la « maladie ».
Une telle conception uniforme du bruit comme pollution, entretient l’idée que la nuisance sonore est un agent physique extérieur à l’homme et qu’elle se trouve donc quantifiable, autrement dit mesurable à l’aide d’instruments.
En suivant cette thèse, disons « idéologiquement correcte », le décibel qui est d’abord l’unité de mesure de la force du bruit devient l’indice de gêne et par suite l’absence de bruit une nécessité pour la santé.
Il est vrai qu’une telle construction fait le bonheur des médias, plutôt anxiogènes, ainsi que des marchands divers de silence et pourquoi pas après tout des organismes et associations qui prospèrent autour du bruit.
Pourtant il suffit d’un peu de sens commun pour admettre qu’une telle confusion sur le bruit est sans fondement.
En dehors des bruits dont la nocivité est démontrée, il en existe d’autres agréables à entendre pour eux-mêmes ou parce qu’associés à un paysage ou une activité naturelle ou procurant du plaisir, et puis chacun se rend compte que la même source de bruit se trouve vécue différemment suivant les circonstances qui l’accompagnent.
Affirmer que 43 % des français souffrent « réellement » du bruit, sans distinction de source et en confondant gêne et menace pour la santé relève de la désinformation, or cette dernière n’est pas sans effets psychogènes et sociaux.
Si la prévention de certains bruits s’impose assurément, il est aussi d’utilité publique de ne pas répandre l’inquiétude, ni d’exacerber la sensibilité des personnes vis-à-vis de ceux qui ne présentent pas de danger.
Soutenir sans nuance que le bruit est devenu une « réelle pollution » se révèle ainsi non seulement démagogique mais nuisible en créant un climat d’inquiétude voire d’anxiété.
Il serait plus conséquent d’expliquer le bruit.
L’IMPACT DU BRUIT SUR L’HOMME
Le bruit affecte les différents domaines fonctionnels de l’homme, en engendrant des réactions d’ordre physique, physiologique et psychologique.
L’impact du bruit peut déjà être hiérarchisé par rapport à son niveau :
- à niveau élevé (+ de 85 dB(A) en exposition continue et au-delà de 100 dB(A) pour des expositions momentanées) le bruit engendre des traumatismes ou lésions auditives.
Il est proposé ici que la réaction soit d’ordre physique puisqu’il s’agit de la destruction de l’organe de l’ouïe sous l’effet d’une variation de pression acoustique dépassant les limites d’élasticité des composants du mécanisme.Les sources de bruit à l’origine de cette pathologie sont plutôt industrielles ou musicales (concerts, discothèques).
- à niveau moyen (45 à 65 dB(A)) un bruit continu perturbe la faculté d’écoute et oblige à une attention soutenue, soit une fatigue de l’organisme et des troubles d’ordre physiologique.
On remarque que cet effort d’attention pour conserver le contrôle de son environnement concerne autant le milieu de travail que le cadre domestique de l’habitation.Les bruits à l’origine des désordres sont les bruits d’appareils mécaniques, d’équipements et surtout le bruit de trafic.
- à bas niveau (- de 35 dB(A)) un bruit est susceptible d’agacer ou d’irriter suivant l’appréhension personnelle du message sonore, il s’agit ici d’une réaction subjective ou psychologique.
Il est observé que la réaction est cette fois liée à l'interprétation de l'information véhiculée par le bruit, c'est-à-dire au signifié du bruit et non au bruit lui-même comme signifiant. On évoque alors l'effet « non-auditif » du bruit.Les plaintes de voisinage ont pour cause ces bruits jugés perturbateurs, parce qu'ils sont inopportuns ou incongrus par rapport à ce que chacun attend d’un site, d’une occupation ou d’une activité.
LE TROUBLE NON-AUDITIF DU BRUIT
A moins que la quantité de bruit soit elle-même porteuse d'un message, le niveau du bruit n'entre donc pas en ligne de compte pour engendrer une réaction: il suffit d'entendre le bruit, ou le « comprendre » pour le juger positif ou négatif.
On remarque que l'homme bien portant ignore naturellement les stimuli sonores non pertinents pour lui-même; l'absence d'un tel filtrage chez les personnes à tendance psychopathologique les rendant plus particulièrement sensibles aux bruits.
L'aspect de la gêne subjective a été pertinemment expliquée par Jacques BRILLOUIN Expert judiciaire en acoustique, lors du Troisième Congrès International pour la lutte contre le bruit à Paris en 1964, il y a donc plus de quarante ans :
« Ce qui constitue notre trouble, ce n'est pas tant l'intensité du bruit que le fait qu'un intrus se permette de pénétrer dans notre conscience et de s'y promener sans nous demander notre avis ; un visiteur indésirable en pantoufles n'est pas moins importun que chaussé de bottes ! »
La santé des musiciens n'étant pas plus altérée que celle du reste de la population, ni les marins rendus malades par le bruit de la houle ou du vent, il convient d'admettre que pour l’essentiel des plaintes de voisinage ce n'est pas le bruit qui crée la gêne, mais plutôt la gêne qui créée le bruit.
Un autre lieu commun développé par les médias est la « mobylette » dont la traversée de Paris la nuit réveillerait des milliers de personnes: « un quart de millions de personnes » précise l'article de l’hebdomadaire évoqué précédemment.
Il convient de rappeler que l’organe de l’ouïe a reçu, par rapport aux autres sens, le privilège de la vigilance, nécessaire au contrôle de son environnement et à la survie de l’espèce.
On remarque en effet parmi les récepteurs à distance que la vue est déficiente la nuit et qu'elle ne contourne pas les obstacles. Il en résulte que l'oreille n'a pas de paupière et que le mécanisme de l'ouïe a pour mission d’assurer un contrôle permanent.
En réalité ce contrôle n'est pas tout à fait continu, car durant le sommeil les stimuli sonores ne parviennent que périodiquement au cerveau pour y être analysés.
Ces phases vigilantes du sommeil, qui alternent avec les différentes phases du sommeil profond, sont appelées phases de sommeil paradoxal. Durant ces phases, de cadences plus rapprochées en début et en fin de nuit, tout bruit est décrypté et si le message présente une signification appelant à une plus grande attention ou à l'action, l'organisme est alors mis en éveil.
C'est ainsi que le faible vagissement du bébé réveille la maman tandis que les coups de tonnerre voire les ronflements du conjoint restent ignorés: cela dépend de la phase de sommeil et de la signification du bruit.
Il est permis en quelque sorte de retenir que ce n'est pas le bruit de la « mobylette » qui réveille, mais le sens véhiculé par cette dernière.
LES FACTEURS INFLUANT SUR LA GENE SUBJECTIVE
Proposer que le trouble occasionné par les bruits faibles est subjectif ne signifie pas pour autant qu'un grand nombre d'individus ne réagisse pas à l’identique, soit une objectivation possible de la gêne.
Au-delà de la mesure physique du niveau de bruit, dont l'intérêt est tout de même de valider l'audibilité, l'appréciation de la plainte doit ainsi être fondée sur la vérification d'un certain nombre d'indicateurs subjectifs constituant des critères communs de gêne.
Les facteurs concourant à la gêne se répartissent en deux grandes familles :
facteurs de familiarité
a ) en rapport avec la façon de vivre
- Inhomogénéité d'âge, de statut social, de culture, de structure familiale ...
C’est le cas de la superposition souvent délicate dans un immeuble d'une famille nombreuse avec de jeunes enfants au-dessus d'une personne seule, peu bruyante par elle-même, se trouvant à l’« écoute » du fait de sa solitude, au sens physique et au sens affectif.C’est encore le cas du « sudiste » demeurant au-dessus du « nordiste », en retenant que la relativité géographique et la mobilité professionnelle peut conduire chacun à tenir le rôle tantôt de « sudiste » tantôt de « nordiste », c’est-à-dire tantôt de « bruiteur » tantôt de « bruité »; il en va là de la diversité enrichissante des cultures.
- Surinvestissement affectif dans le logement
Cela est vérifié lors d’une prise de possession sur-affective de leur appartement par les personnes en mauvaise santé, au chômage ou à la retraite où le logement est « refuge ».
b) en rapport avec le cadre de vie
- Anormalité dans le type de zone rurale, urbaine (résidentielle ...)
C’est le cas lorsqu’un atelier artisanal devient au cours du temps l'unique activité d’un quartier ou pour les zones pavillonnaires situées en limite de zones tertiaires.
- Anormalité dans le type d'habitat (collectif/individuel, ancien/moderne)
Ceci est rencontré dans les immeubles collectif horizontaux, appelés maisons en bande, dont les habitants adoptent à tort l'idée d'indépendance tant pour l'intimité suggérée que pour les activités de loisirs favorisées.
facteurs de causalité
a) en rapport avec l'utilité
- Inintérêt collectif/économique
On remarque l'acceptation d'un bruit jugé normal comme celui d'un marché, d’une cour de récréation ou d’un terrain de sport (alors qu’en site urbain une telle activité déroge couramment à la réglementation sur le bruit de voisinage)
b) en rapport avec l'intentionnalité
- Défaut de précaution/possibilité d'éviter ou de remédier ...
Le même bruit ne sera pas accepté à l’identique suivant qu'il est inévitable ou résultant d'un défaut de précaution, à cet égard le bruit de la tondeuse du voisin pourra être toléré mais pas les aboiements intempestifs de son chien; qu'il soit teckel ou danois.
Alors la gêne pourrait-elle résulter de l’insuffisance d'isolement acoustique des bâtiments ?
LA GENE ET LA QUALITE DES BATIMENTS
La gêne de voisinage résultant de l'interprétation négative du bruit perçu, on constate donc qu'il suffit d'entendre un bruit indésirable pour être gêné.
Dans ces conditions l’habitat idéal devrait prévenir toute audibilité.
Chacun conviendra que cet objectif de silence absolu est hors d'atteinte en habitat collectif, et de surcroît qu'il ne manquerait pas d'engendrer d'autres troubles, liés cette fois à une forme de privation sensorielle.
A l’opposé de cet habitat utopique se trouve ordinairement le logement ancien, où d’excellentes conditions de coexistence entre habitants sont rencontrées en dépit d’un isolement le plus souvent médiocre.
Qu’est-ce qui peut contribuer ainsi à l’habitabilité des logements anciens et faire en sorte que les plaintes pour défaut d’isolement soient plutôt localisées dans les immeubles neufs, bien mieux isolés?
Ici encore l’information joue un grand rôle, si ce n’est la publicité pour les matériaux dits d’« insonorisation », en véhiculant le mythe du « confort acoustique » des immeubles ; alors que le confort des occupants dépend essentiellement du mode de relation et de comportement entre voisins, en termes de respect et de tolérance.
Les campagnes médiatiques annonçant ou accompagnant la publication des règles de construction en matière acoustique omettent d'insister sur le caractère très relatif de l'isolation par rapport au confort et contribuent à faire oublier que la vie communautaire exige beaucoup de transactions personnelles, tant pour le bruit perçu que pour celui émis.
Remarquons même l'évolution de la formulation des exigences réglementaires, où le seuil d'infraction tend désormais à devenir un objectif possible.
Dans l'ancienne réglementation de la construction (arrêté du 14 juin 1969) il est prescrit que le niveau du bruit aérien « ... ne doit pas dépasser », or dans la « Nouvelle Réglementation Acoustique » (arrêtés du 28 octobre 1994 et du 30 juin 1999) l'exigence au bruit aérien (formulée non plus en niveau mais en isolement) est exprimée ainsi : « ... doit être égal ou supérieur ».
En exposant aujourd’hui que le niveau d’isolement limite est acceptable, le texte réglementaire devient normatif, c’est-à-dire qu’il devient un exemple d’objectif de protection.
Ceci permet aux constructeurs de vanter la qualité acoustique des ouvrages au seul motif de la satisfaction réglementaire, comme s'il s'agissait d'une norme de confort et non de la limite de la sanction pénale.
De même les fabricants soulignent la performance de leurs produits en annonçant qu'ils permettent de respecter la réglementation; comme s'il s'agissait d'un objectif à atteindre et non de la limite à ne pas franchir.
Une norme correspondant à ce qu'il est recommandé de faire, un tel principe génère naturellement l'incompréhension chez les plaignants qui s'étonnent qu'un ouvrage puisse à la fois être conforme et non-satisfaisant.
Cette confusion suscitant bien des procédures, et alimentant le débat ordinaire des expertises en matière de bruit, rappelons la décision de la Cour de Cassation du 8 mars 1978 (3ème Chambre Civile) suivant laquelle les règlements fixent un « seuil de danger et non de gêne » .
LES CONDITIONS REQUISES POUR ORGANISER LE TROUBLE
Les médias et les associations sensibilisent la population en expliquant que le bruit est une maladie, autrement dit que le décibel est un germe pathogène; les pouvoirs publics annoncent que la réglementation contribue enfin au confort et les industriels assurent disposer de produits d’insonorisation miraculeux, tel ce doublage intitulé « silence ».
En outre les conditions d’audibilité du voisinage n’ont jamais été aussi bonnes depuis que les fenêtres sont étanches et masquent le bruit de la rue, au point de rendre beaucoup d’appartements plus silencieux qu’un studio d’enregistrement. Dans cette situation les occupants sont placés en excellente condition d’écoute, au point que le moindre bruit des voisins, comme la manipulation d’une porte de placard ou d’un interrupteur électrique devient perceptible.
Comment s’étonner ainsi qu’autant de personnes puissent se plaindre du bruit ?
Un long et honnête travail d’information du public reste en conséquence à faire, à commencer par rappeler l’essentiel tel que synthétisé par le professeur Claude LEROY, psychiatre, dans cette formule: « Il n'y a pas de bruit en soi, mais que du bruit pour soi ».
Revue Champs Culturels n°19 – Juin 2005