Le syndicat des copropriétaires engageant sa responsabilité pour les dommages occasionnés aux copropriétaires par une partie commune de l’immeuble, en particulier pour ce qui concerne les atteintes à la tranquillité, sans doute convient-il de s'interroger sur le risque encouru par ledit syndicat à prendre livraison d'un immeuble n'offrant pas les garanties nécessaires.
Cette question concerne en particulier les caractéristiques sonores des ouvrages neufs dont les critères de qualité acoustique usuellement retenus par les constructeurs ne sont plus suffisants aujourd'hui pour prévenir efficacement les troubles de bruit des occupants, notamment d’immeubles en copropriété.
Cette dichotomie dans le domaine de la construction entre le trouble et le désordre, qui pose la question de l'aptitude à leur emploi de nouveaux ouvrages collectifs d’habitation et peut se manifester par exemple par le bruit excessif de fonctionnement d'un ascenseur ou de vidange d'eaux vannes dans une chute collective, est susceptible de se voir instruite judiciairement :
- en application de l'article 1792 du Code civil sur le fondement de l'impropriété à destination ; engageant alors la responsabilité des locateurs d'ouvrages
- en référence à l’article 544 du Code civil sur le fondement du trouble anormal de voisinage; la jurisprudence de la Cour de cassation rappelant que la théorie s'applique aux relations entre un copropriétaire et le syndicat des copropriétaires; obligeant alors le syndicat des copropriétaires à prendre en charge la réparation des dommages
Sur la qualité acoustique des ouvrages
Les locateurs d’ouvrages neufs à destination de copropriétés de logements ont pris pour habitude d’adopter le critère d’infraction à la réglementation de la construction comme objectif de confort acoustique.
La rédaction de l’article 2 de l’arrêté du 30 juin 1999 porte en effet à confusion en fixant que "L'isolement acoustique standardisé pondéré…doit être égal ou supérieur aux valeurs indiquées…" ; faisant ainsi du seuil de la sanction non plus l'expression d'un garde-fou, soit la limite à ne pas franchir, mais celle d'un objectif minimal à satisfaire.
Mais au-delà de ce qu'il est ainsi confondu la prévention du danger avec celle de la gêne (Arrêt de la Cour de cassation, Civ. 3ème, du 8 mars 1978 - D.1978.641 rappelant que le seuil du supportable peut être inférieur à celui prévu par les règlements qui fixent un "seuil de danger et non de gêne"), la formulation de l'exigence réglementaire en niveaux absolus contrevient certainement à l'appréciation auditive du confort acoustique, laquelle dépend plutôt de l'émergence des bruits ; c'est-à-dire de la différence de niveau entre les bruits particuliers remarquables et le bruit de fond ambiant.
C'est ainsi que le CSTB expliquait déjà dans l'édition de 1982 du R.E.E.F. - Volume II – Acoustique l'importance du bruit de fond dans l'appréciation de la qualité acoustique d'une construction :
" Apparemment un niveau de bruit ambiant le plus faible possible est souhaitable. En fait, le bruit ambiant a un effet bénéfique : il permet de masquer les petits événements sonores causés par les personnes ou les équipements, dans les immeubles. Plus le bruit ambiant est faible, meilleure doit être l'insonorisation du bâtiment vis-à-vis des bruits internes.En particulier le simple respect des valeurs réglementaires en matière d'isolation interne ne permet pas un confort satisfaisant si l'environnement est totalement silencieux (campagne) ".
De même la norme internationale ISO/TS 19488 : 2021(E), dont l'objet est de catégoriser la qualité acoustique des logements, ne manque pas de conclure après une savante élaboration de classes d'isolements ou de niveaux de bruit exprimés en valeurs absolues, que : "lorsque des sons spécifiques sont audibles, cela dépend non seulement de la construction du bâtiment, mais aussi du bruit de fond dans la pièce".
Ainsi, en fixant à 33 dB(A) l'objectif possible de niveau de bruit d'un équipement collectif dans une pièce d'habitation, la réglementation de la construction admet aujourd'hui avec des bruits de fond qui sont couramment de 20 à 25 dB(A), que le fonctionnement de l'ascenseur et de la porte de garage ou les vidanges de chasse d'eau puissent occasionner des émergences atteignant + 8 à + 13 dB(A) dans une chambre ou un séjour.
On observe que les niveaux limites de 35 dB(A) dans un séjour et de 30 dB(A) dans une chambre fixés par la circulaire n°63-66 du 17 décembre 1963, dite pour l'application du Règlement de la construction, ont bien été élaborés à l'origine en considération de critères d'émergence, mais à une époque où le bruit ambiant dans les appartements était beaucoup plus élevé en raison du manque d'étanchéité des fenêtres et des bruits concomitants ou différés provenant ainsi de l'extérieur ; ce qui permettait alors de relativiser les bruits intérieurs.
Sur le trouble anormal de bruit
L'arrêt de la Cour de cassation (3ème ch.) du 11 mai 2017 (Pourvoi : 16-14339) vient rappeler que «le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage s’applique aux copropriétaires, et plus généralement à tous les occupants d’un immeuble en copropriété, et donc, notamment, dans les rapports entre le syndicat des copropriétaires et un copropriétaire».
Le principe du TAV reposant sur le régime de la responsabilité sans faute, il est rappelé que l'appréciation de l'anormalité ne peut se trouver fondée sur la seule infraction et que les tribunaux prennent habituellement en compte à la fois l'audibilité du bruit incriminé, l’incongruité de la source dans le contexte, l'évitabilité du bruit, le manque de précaution, l’insuffisance des dispositifs de protection, une conception ou une exécution défaillante …
Le critère de référence pour l'appréciation du TAV est couramment le 2ème avis de la commission d'étude du bruit du ministère de la Santé Publique du 21 juin 1963.
Il est rappelé que suivant cet avis :
" a-2- Le trouble, autrement dit la gêne ou la nuisance, est incontestable lorsque l’augmentation d’intensité sonore produit par l’apparition du bruit perturbateur, par rapport à la valeur minimale du bruit ambiant, dépasse les valeurs suivantes :- de jour (7 heures à 22 heures) : + 5 dB(A)- de nuit (22 heures à 7 heures) : + 3 dB(A) "
Cet avis se trouve retenu dans de multiples décisions qui ne concernent pas seulement les bruits rencontré dans les copropriétés, comme par exemple :
TJ Paris 24.03.71 (imprimerie) - CA Reims 22.12.72 (usine cartonnage) - TJ Marseille 21.06.73 - CA Aix-en-Provence 17.01.74 - CC 15.04.75 (boucherie) - TJ Saverne 26.10.76 - TJ Paris 29.10.76 (cabaret) - TJ Lyon 24.03.78 (ventilateurs) - TJ Evry 24.04.78 - TJ Nanterre 27.06.78 (imprimerie) - CA Paris 09.05.80 (choc appartement) - TJ Senlis 17.01.84 (dancing) - CA Paris 18.01.84 (chaufferie) - CA Bourges 21.03.84 (supermarché) - CA Versailles 03.03.95 (chaufferie) - CA Paris 24.03.98 (restaurant) - CA Paris 26.03.98 (menuiserie) - TJ Toulouse 28.05.02 (aérodrome) - CA Paris 14.02.07 (extracteur) - CA Paris 08.11.07 (chaufferie) - TJ Nanterre - 24.05.12 (sanitaires) - TJ Paris 02.04.13 (restaurant) - CC 26.03.15 (boulangerie) - CA Paris 08.04.15 (activité domestique) – CC 2 février 2017 (usine) - CC 24 mai 2018 (bruits de pas)…
Sur la livraison d'ouvrages troublant anormalement
Dès lors que le trouble anormal du bruit d'un équipement collectif est susceptible d’être établi à l’encontre du syndicat des copropriétaires à compter d'une émergence de + 3 dB(A) la nuit et de + 5 dB(A) le jour, il convient d'admettre la difficulté pour ce dernier d'accepter la remise de clefs de parties communes susceptibles de contribuer à des émergences réglementaires de bruit atteignant + 8 à + 13 dB(A).
Rappelons que l'article 1641 du Code civil prescrit que "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus".
Remarquons encore suivant l'arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 10 octobre 2012 (n° 10-28309 et 10-28310, bull. civ. III n° 140) que "l'impropriété doit s'apprécier par rapport à la destination contractuelle ou, en d'autres termes, par référence aux spécifications contractuelles".
Si l'on retient que la destination contractuelle de l'ouvrage est celle d'un immeuble voué au régime de la copropriété, sans doute est-il alors nécessaire d'en considérer la spécificité acoustique correspondante.
Étant observé que la réglementation acoustique de construction des immeubles d'habitation s'applique à tout statut d'occupation et à toute forme de gestion, que ce soit en indivision, en location, en coopération, en division volumétrique ou en copropriété, il est certain que les seuils minimaux fixés par cette dernière restent de portée très générale et ne peuvent donc permettre de valider la conformité d'une affectation particulière de logement.
On rappelle à cet égard que «Les désordres d'isolation phonique peuvent relever de la garantie décennale même en cas de respect des exigences minimales légales ou réglementaires …» (Arrêt de la Cour de cassation du 27 octobre 2006 - ass. plein. 05-19408).
Autrement-dit les seuils limites de qualité fixés par la réglementation de la construction ne peuvent se trouver confondus avec les exigences d'isolement propres aux différentes modalités possibles d'occupation ; étant observé à titre d’exemple qu'un immeuble d'habitation locatif destiné à des occupations multiculturelles doit faire l'objet de dispositions de protection acoustiques plus sévères que celles concernant un immeuble coopératif où les habitants peuvent rechercher une forme de vie collective.
Dans le cas d'immeubles destinés au régime de la copropriété, ces derniers doivent donc répondre suivant le rappel de la Cour de cassation à la spécificité de l'application du principe du TAV aux rapports internes ; ce qui induit alors une forme d'exigence particulière de protection acoustique qui s'exprime cette fois en termes d'émergence de bruit.
L'indication préalable par le maître de l'ouvrage dans la notice descriptive de vente de son intention de respecter la réglementation et la démonstration par ce dernier de la satisfaction de l'objectif au moyen de l’attestation de prise en compte de la réglementation acoustique restent en conséquence très relatives dans ce cadre.
Alors de quel moyens d'action le syndic dispose-t-il pour protéger le syndicat des copropriétaires, mais aussi sans doute pour se protéger lui-même et d’éviter d'être recherché en responsabilité ?
Faut-il attendre qu'un propriétaire se plaigne pour agir ou le syndic doit-il faire procéder à un audit de prise en compte du trouble anormal avant d'accepter la livraison ?
Et l'insuffisance de qualité acoustique des parties communes livrées par le maître de l'ouvrage constitue-t-elle un vice caché, un vice apparent ou un défaut de conformité ?
L’attention des syndicats de copropriétaires mérite ainsi d’être attirée par leur syndic sur le risque d’accepter les clefs de parties communes dont l’objectif de qualité acoustique reste confondu avec le seuil d’infraction à la réglementation de la construction.