samedi 1 octobre 2022

LE CONSTAT D'INFRACTION À L'OREILLE


Chacun sait bien que le trouble de bruit de voisinage résulte autant de l’aversion pour la source que du niveau sonore ; dans le cas contraire les échelles de niveau en décibels renseigneraient l’ampleur de la gêne.

Il n’est donc pas besoin de rappeler que la pompe à chaleur du voisin génère, en dépit de son éloignement, forcément plus de bruit que celui de sa propre machine.

Observons ainsi qu’en matière de bruit de voisinage, comme le rappelle le professeur Leroy, « il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ».

Si la mesure acoustique est effectivement susceptible de renseigner le niveau sonore, il n’en est donc rien des facteurs d’aversion, qui peuvent même parfois contribuer à l’essentiel du trouble.

Pour autant ce qui importe dans le cadre de la verbalisation du bruit, ce n’est pas le trouble de la personne mais le trouble à la personne ; autrement dit un trouble sociétal, objectivable, relevant du fait et non de la psychologie.

On rappelle que le constat d’infraction pour trouble de voisinage a été débarrassé de la mesure par le décret du 18 avril 1995, mais uniquement pour les bruits domestiques et de particuliers ; bruits de particuliers autrement interprétés par la Cour de cassation comme des bruits de comportement, conduisant par exemple à la verbalisation du bruit de la clientèle d’un restaurant sans mesure acoustique, c’est-à-dire à  l’oreille, en dépit de la nature professionnelle de l'activité à l'origine de la nuisance (Arrêt du 08/03/2016 - 3ème Ch.Civ. - n° pourvoi : 15-83503 - Arrêt du 14/01/2020 - Ch.Crim. - n° pourvoi : 19-82.085).

La verbalisation à l’oreille ne constitue pas en fait une pratique nouvelle puisque le bruit se trouve réglementé au titre des critères d’incommodité des établissements industriels depuis le décret du 7 mai 1878; tandis que les premiers sonomètres portables ne sont apparus que vers 1960 et que la mesure acoustique infractionnelle n’a été introduite que par la circulaire n° 3055 du 21 juin 1976.

Les agents de l’administration ont ainsi verbalisé le bruit des installations classées à l’oreille pendant près d’un siècle sans pouvoir justifier l’infraction par un quelconque instrument, c'est-à-dire autrement que par l'intelligence et le bon sens.

Observons à cet égard, comme le prévient la norme NFS 31-010, que le calcul de l’émergence (toujours applicable réglementairement pour le bruit des activités) relève essentiellement de « l’appréciation de l’opérateur », puisque dépendant du choix personnel des intervalles de mesure par ce dernier ; ce qui ne permet donc pas de prétendre à l'objectivité de la verbalisation sonométrique.

Par ailleurs l’idée de « sonomètres d’utilisation simplifiée » initiée par le PNSE 4 ne manque pas de se heurter à l’imprécision à faible niveau sonore des appareils de grande diffusion ou des applications fonctionnant sur smartphone, ainsi qu’à la nécessité de respecter les règles d’homologation et de contrôle réglementaire propres à tout instrument de mesure.

Remarquons enfin que fixer une limite d’émergence en dessous de laquelle le bruit doit se trouver toléré revient en fait à instaurer le droit de nuire ; ambiguïté dûment corrigée par la théorie prétorienne du trouble anormal de voisinage.

Il reste donc à valoriser le constat auditif sur la base d’un référentiel factuel de l’infraction sonore, comme il peut en être par exemple des dispositions d’urbanisme qui fixent des critères d’incongruité visuelle relevant d’indicateurs non pas numériques mais qualitatifs.

Le guide de verbalisation hors mesurage édité par le Conseil National du Bruit esquisse ces critères par une forme de rapprochement du trouble sanctionnable avec le trouble anormal en référence à ladite théorie du trouble anormal de voisinage.
(https://www.bruit.fr/images/stories/pdf/cnb-guide-constat-bruits-voisinage.pdf).

Un tel rapprochement n’est pas insolite dès lors que le site officiel de l’administration française Service-Public.fr commet lui-même l’amalgame. Il devient alors permis de se demander si une telle confusion ne devient pas inéluctable dès lors que l’incongruité sociale ou culturelle d’un bruit l’emporte finalement sur le niveau sonore dans l’appréciation de la répréhensibilité.

On retiendra pour l’essentiel des indicateurs factuels et cumulatifs de l’infraction :

- l’audibilité du bruit incriminé sans effort particulier d’attention
- la temporalité manifeste ou apparente de l’activité ou du fonctionnement
- l’évitabilité et/ou le défaut de précaution dans le comportement, l’installation ou l’utilisation
- la singularité et/ou l’incongruité de la source dans le contexte, les usages ou les coutumes

Sans doute convient-il de considérer que cette procédure de verbalisation à l’oreille présente encore l’avantage de favoriser par ses modalités la communication entre les protagonistes et le cas échéant d’ouvrir ainsi la porte à une démarche participative.

Alors formons et habilitons les agents des collectivités au constat auditif, à l’instar des experts judiciaires qui ont appris à fournir aux juges les indicateurs factuels d’anormalité du bruit de voisinage dépassant la seule considération du niveau sonore.