dimanche 11 juin 2023

LES MODALITÉS DU CONSTAT DU BRUIT DE VOISINAGE DES ACTIVITÉS EN QUESTION

L’oreille contribuant pour l'essentiel à la vigilance et à la communication, le son constitue le vecteur principal d’appréhension du monde et des relations sociales.

À travers l’interprétation du son, la perception vient au-delà même de la considération du niveau sonore caractériser l’expression du bruit; ceci concerne en particulier le bruit de voisinage, avec les conséquences sanitaires liées aux effets de stress induits de la gêne sonore occasionnée par un voisin.


Différents comportements ou activités apparaissent manifestement déroger aux règles de précaution et de civilité qu’exigent la vie en société; avec pour conséquence délétère une atteinte à la tranquillité et à la santé des personnes exposées.

On remarque, au-delà de la question sanitaire, que le bruit de voisinage constitue un enjeu social lorsque ce dernier contribue au mal-vivre ensemble ; c’est ainsi qu'une enquête de l’INSEE effectuée en 2008-2009 établit que 80 % des Français souhaitent vivre dans un pavillon individuel et surtout pas mitoyen « afin de ne pas subir de voisins ».

L’étude de la société ERNST & YOUNG, réalisée en 2016 (et confirmée en 2020) à la demande de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, évalue le coût social du bruit de voisinage la somme de 11,5 milliards d’euros par an.

L’exigence de santé publique, mais encore la préservation de la vie sociale, obligent donc à contraindre le bruit de voisinage par la voie législative et réglementaire.

À cet effet, le Code de la Santé publique (CSP) régit les différents bruits résultant des activités personnelles ou domestiques, professionnelles, sportives, culturelles, de loisir et de sons amplifiés.

Il est noté que ledit CSP se trouve régulièrement mis à jour au moyen de décrets suivis d’arrêtés d’application.

Soit en une trentaine d’années les adaptations successives suivantes :

* décret n° 95-408 du 18 avril 1995 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et arrêté du 10 mai 1995 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage 

* décret n° 2006-1099 du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage

* décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés et arrêté du 17 avril 2023 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés pris en application des articles R. 1336-1 à R. 1336-16 du code de la santé publique et des articles R. 571-25 à R. 571-27 du code de l’environnement

Les dernières mises à jour appellent les observations suivantes :

Le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 contribue à modifier, à supprimer ou à remplacer différents articles du CSP relatifs aux bruits des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir » et de surcroît élargit le champ d’application aux activités « dont les conditions d’exercice se trouvaient fixées par les autorités compétentes » (en particulier les circuits de vitesse).

Les dispositions du décret n° 2006-1099 du 31 août 2006 se trouvant ainsi rendues caduques, il en devient en toute cohérence de même de l’arrêté d’application du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage, puisque visant ces mêmes articles du CSP supprimés, remplacés ou modifiés et de surcroit concernant un champ d’application restreint (On remarque qu'une telle caducité concerne a fortiori la circulaire du 27 février 1996 faisant référence à l'arrêté du 10 mai 1995).

Il convient d'observer que le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 porte à la fois sur les « bruits » et les « sons amplifiés », à savoir :

* d’une part les bruits de voisinage des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir », essentiellement pour les articles R.1336-4 à 1336-9 du CSP (incluant désormais les activités « impliquant la diffusion de sons amplifiés » suivant l'article R.1336-4)

* d’autre part les « sons amplifiés », visés plus spécifiquement par les articles R.1336-1 à 1336-3 du CSP, concernant la protection du public

L’arrêté du 17 avril 2023 apparaît donc bien s’appliquer aux mêmes bruits que le décret du 7 août 2017, à savoir d’une part à ceux résultant des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir » et d’autre part à ceux relatifs aux « sons amplifiés », puisque ledit arrêté est annoncé comme pris « en application des articles R.1336-1 à R.1336-16 » ; incluant ainsi les articles R.1336-4 à 1336-9 pour le bruit des activités et les articles R.1336-1 à 1336-3 pour les sons amplifiés.

Les arrêtés respectifs de 1995 et de 2006 se trouvant promulgués afin d’expliciter les « modalités de mesurage des bruits de voisinage » afférents successivement aux décrets de 1995 et de 2006, dans le but d’autoriser le contrôle réglementaire, il se trouvait ainsi attendu de l’arrêté de 2023 les indications métrologiques propres à l’application du décret de 2017.

A cet égard l’article R.1336-9 du CSP modifié par le décret de 2017 fixe bien que « Les mesures de bruit mentionnées à l’article R.1336-6 sont effectuées selon les modalités définies par arrêté des ministres chargés de la santé, de l’écologie et du logement ».


Le projet d’arrêté de 2023 (repris tel quel pour sa publication) ayant fait l’objet d’une consultation publique préalable, différentes observations en retour ont effectivement alerté sur l’absence de prescriptions relatives aux modalités de mesurage des bruits de voisinage (cf. document de synthèse du 24 octobre 2022).

La réponse apportée officiellement à l’issue de cette consultation sur la « demande de précision de la méthodologie de mesures pour le contrôle des seuils réglementaires dans les lieux clos et en extérieur » est la suivante : « les professionnels de la sonorisation des spectacles vivants se sont engagés à élaborer des propositions à soumettre au Conseil National du Bruit (CNB) sur ce sujet. Lorsqu'elles seront finalisées, celles-ci pourront être ajoutées, après discussion en commission technique du CNB, au guide du CidB ».

Remarquons que la réponse apportée confirme bien l'inopérance des dispositions métrologiques fixées par l'arrêté du 5 décembre 2006 vis-à-vis de l'ensemble des activités professionnelles et autres, puisque celles impliquant la diffusion de sons amplifiés y sont désormais inclues suivant les dispositions de l'article R.1336-4.

Il convient ainsi de retenir que les modalités de mesurage relatives à l’établissement des sanctions concernant le bruit de voisinage des « sons amplifiés » restent à déterminer par « les professionnels de la sonorisation des spectacles vivants » ; mais en retour qu'aucune disposition ne se trouve prévue pour ce qui concerne les modalités de contrôle du bruit de voisinage des « activités professionnelles, sportives, culturelles et de loisir ».

La situation devient ainsi critique, avec un risque d’impunité du bruit de voisinage, puisque tout procès-verbal d’infraction se trouve en l’état contestable au motif du choix par l’agent verbalisateur d’un mode opératoire de mesurage partial, car relevant de sa propre initiative, ou non autorisé règlementairement.

Sans doute est-il encore permis de s’interroger sur la régularité d’un constat de conformité d’un bruit de voisinage de « sons amplifiés » établi suivant un mode opératoire « élaboré » par les producteurs de « sons amplifiés » eux-mêmes et relevant d'un guide associatif.

Il est donc en l’espèce compréhensible que le site service-public.fr « le site officiel de l’administration française » puisse dans la rubrique « bruit de voisinage » renvoyer au principe prétorien du « trouble anormal de voisinage », dont nul n'ignore que ce dernier se trouve autonome des dispositions réglementaires (régime de la responsabilité sans faute), et en conséquence conseiller « un recours au juge en cas d’échec du règlement amiable » ; soit une recommandation sans doute cohérente dans le contexte, mais nécessitant pour les victimes d’ester en justice, avec les délais d’action et les frais de procédure correspondants; soit une situation socialement inéquitable.

Octobre 2023. v4