vendredi 7 juillet 2023

INSTALLATIONS CVC ET TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE

En cas de bruit de voisinage, occasionné par exemple par une installation CVC, et à défaut de rapprochement amiable, les plaignants peuvent avoir recours à la justice pour régler leur différend.

L’action civile ou l’action pénale

On rappelle que l’action devant une juridiction civile a pour effet d’obtenir une réparation par suite d’un dommage, tandis que l’action devant une juridiction pénale vise à faire sanctionner le fauteur coupable d’une infraction.

Une telle distinction entre les deux types d’action est essentielle, puisque le critère d’appréciation du dommage n’est pas celui de l’infraction.

L’autonomie de l’appréciation d’un dommage

En effet, si le critère de l’action pénale dépend de l’application des dispositions réglementaires, celui de l’action civile résulte de la théorie prétorienne du « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », désignée usuellement sous l’expression de « trouble anormal de voisinage » (TAV), laquelle s’applique au cas d’espèce.

L’appréciation du dommage ne se trouvant pas déterminée par l’infraction, le TAV tient ainsi du régime de la responsabilité sans faute.

L’ancienneté de la théorie du TAV

La Cour de cassation a jugé que « l’exercice même légitime du droit de propriété devient générateur de responsabilité lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (Par exemple : Civ. 18 février 1907, DP 1907, 1, 3851 ; Civ. 2ème 24 mars 1966, D 1966, 435) en ajoutant que « la responsabilité du propriétaire qui a accompli des actes nuisibles aux voisins est engagée même si ces actes ont été autorisés par l’administration » (Civ. 2ème, 27 octobre 1964, JCP 65, II, 14288),

La Cour de cassation a encore jugé que « le caractère excessif du trouble s’apprécie en fonction des circonstances de temps et de lieu » (Civ. 3ème, 3 novembre 1977, D 78, 434), en relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Encore plus récemment, le 19 novembre 1986 (Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379) ou encore le 17 avril 1996 (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876, D. 1997), la Cour de cassation confirme le principe, indépendant des articles 544 et 1382 du Code civil, suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Le cadre du contentieux

Dans ce cadre contentieux civil l’engagement de responsabilité de l'auteur d'un trouble de voisinage exige la réunion de plusieurs critères : un lien de voisinage, l’anormalité du trouble, l’existence d’un dommage et la causalité entre le trouble et le préjudice.

Par ailleurs la charge de la preuve pèse sur la victime, laquelle dispose de cinq années pour agir " à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer " (article 2224 du Code civil).

Les critères d’appréciation du TAV

Les critères habituels d’appréciation du TAV, tels que retenus à travers l’analyse de la jurisprudence, apparaissent multiples et en tout cas circonstanciels, relevant du contexte, de la congruité, de l’intensité ou de l’émergence, de la durée et de la répétition, de la nature du bruit, de la période, de la zone, de l’activité des plaignants, de la négligence et du défaut de précaution.

L’instruction du TAV par l’expert judiciaire

L’expert désigné par le juge pour instruire le différend est le plus souvent un technicien. De la sorte l’instruction vise à renseigner le juge non pas sur le trouble de la personne mais sur le trouble à la personne ; soit un trouble de fait, en quelque sorte social, excluant toute considération médicale ou psychologique.

A cet égard l’expert doit en première étape rendre compte de l’effectivité du bruit.

Le référentiel retenu couramment par la jurisprudence est l’avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963, suivant lequel un bruit est de perception sensible ou encore perceptible sans exiger un effort particulier d’attention lorsque ce dernier engendre une émergence instantanée d’au moins + 3 dB la nuit et + 5 dB le jour, dans une bande de fréquence quelconque de bruit audible.

L’audibilité ne pouvant justifier à elle seule l’anormalité, il revient ensuite à l’expert de renseigner l’usualité de la source dans le contexte de voisinage, l’utilité collective, la causalité, l’évitabilité ou le défaut de précaution et d’emploi.

S’agissant plus particulièrement d’une PAC, il appartient à l’expert de rendre compte au juge des conditions d’implantation par rapport au voisin, de la sélection du type d’appareil, d’un modèle in-door ou out-door, des possibilités d’encloisonnement et d’ajout de silencieux etc.  

La personnalisation du trouble

Il sera observé que le propriétaire de la PAC incriminée conteste en général que son appareil est bruyant, tout en refusant cependant son déplacement sur la terrasse de son salon.

Il en va ainsi du bruit, faisant dire au professeur Leroy qu’ « il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ».

Le risque du TAV, qui justifie d’autant mieux de ne pas retenir le seuil d’infraction réglementaire comme objectif à satisfaire de la part de l’installateur, est la prise en compte au titre de l’anormalité de l’effet « nocebo » engendré par l’état anxieux du plaignant, avec ses conséquences somatiques.

On rappelle qu’un tel effet est reconnu par l’OMS, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux suivant la décision de la Cour d’appel de Toulouse du 8 juillet 2021, concernant en l’espèce le voisinage d’éoliennes mais susceptible de concerner d’autres types d’installations.

Les règles de voisinage supposent ainsi de manifester, au-delà des aspects techniques, l’intention de précaution.