lundi 22 avril 2024

LA RONCHOPATHIE, DENI DE POLLUTION SONORE ?

Au titre de la Prévention des pollutions, des risques et des nuisances le Code de l’environnement établit à l’article D.571-54 le principe des points noirs du bruit, lesquels se trouvent définis à l’article 2 de l’arrêté du 3 mai 2002 pris en application du décret n° 2002-867 du 3 mai 2002.

Sont ainsi considérés comme points noirs du bruit des transports terrestres les bâtiments d'habitation pour lesquels les indicateurs de gêne dépassent, ou risquent de dépasser à terme, la valeur limite pour la période diurne de 70 dB(A) ou la valeur limite pour la période nocturne de 65 dB(A).

Les enquêtes de gêne semblent révéler qu’à partir de ces valeurs, plus de 80% des personnes enquêtées se déclarent gênées ou très gênées.

Par ailleurs la Directive européenne 2002/49/CE, laquelle définit le bruit dans l’environnement comme un « son extérieur non désiré ou nuisible résultant d’activités humaines, y compris le bruit émis par les moyens de transports, le trafic routier, ferroviaire ou aérien et provenant de sites d’activité industrielle » oblige chaque état membre à réaliser des plans d’exposition au bruit.

Remarquons bien que le Conseil de l’UE ne manque pas de retenir comme motifs de bruit à la fois l’indésirabilité, c’est-à-dire l’appréciation négative, ainsi que la nocivité ; confirmant ainsi les deux caractéristiques essentielles du bruit que sont la connotation et le niveau sonore.

Cette Directive européenne se trouve transposée sur le territoire par l’établissement de valeurs limites, telles que celles visées à l’article 3 du décret du 24 mars 2006 (cf. art. 7 de l’arrêté du 4 avril 2006) ; à savoir un niveau sonore de 68 dB(A) pour l’ensemble de la journée (comprenant une pénalisation pour la période nocturne) et de 62 dB(A) pour la période nocturne par rapport à une route ou une voie ferrée comprenant une ligne à grande vitesse.

Rappelons que l’exposition en période nocturne contribue, selon l’étude publiée par l’OMS en 2011, à un impact sanitaire majeur puisque les perturbations du sommeil par les nuisances sonores seraient à l’origine chaque année en Europe occidentale d’une perte de 903 000 années de vie.

On remarque que l’étude de l’OMS relative à la perturbation du sommeil par le bruit omet en réalité de prendre en compte la question essentielle posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000). 

C’est ici que l’impact de la signification sur le bruit, évoqué à juste titre par le Conseil de l’UE, devrait conduire à relativiser la seule référence au seul niveau sonore ; ce qui n’est donc pas le cas suivant l’approche physicaliste dominante en matière écologique et médicale, associant le pouvoir de nuisance à la seule considération des caractéristiques physico-temporelles du bruit ; c’est-à-dire en omettant que le trouble puisse aussi résulter de la connotation de la source.

Si l’on retient ainsi comme limite de nuisance nocturne un niveau moyen de l’ordre de 60 dB(A) à l’extérieur de l’immeuble, on doit admettre par rapport à l’affaiblissement de façade de l'ordre de 25 dB(A) de la majeure partie des constructions existantes que le dispositif réglementaire fixe pratiquement le seuil de niveau sonore admissible la nuit à une valeur de l’ordre de 35 dB(A) à l’intérieur d’une habitation.

Une telle valeur correspondant à une moyenne énergétique sur la durée de la nuit, on remarque que ledit niveau limite se trouve porté à 38 dB(A) pour une exposition de 4h00 et de 41 dB(A) pour 2h00.

Si l’on garde ce raccourci de pensée suivant lequel seules les caractéristiques physico-temporelles du bruit sont de nature à renseigner l’état de la nuisance, il n’existe donc aucun motif pour que ces niveaux limites d’exposition afférents au bruit de trafic terrestre ne puissent concerner toute autre source sonore nocturne susceptible d’exposer l’habitant d’un logement.

Parmi ces sources de bruit, il en est une particulièrement insidieuse puisque s’introduisant en soirée dans les chambres à coucher des appartements et même jusque dans les lits ; il s’agit du bruit rauque engendré par les vibrations nasopharyngées du ronchopathe.

Selon l’enquête A+A Healthcare effectuée en 2011 auprès d’un échantillon de 1000 personnes et l’étude Ohayon (BMJ 1997) près de 40% des hommes ronflent bruyamment et souvent, tandis que la prévalence chez les femmes atteint 30%.

Suivant Richard J. Schwab (University of Pennsylvania, Division of Sleep Medicine) environ 57 % des hommes et 40 % des femmes ronflent.

D'après l'American Academy of Otolaryngology, 45 % des adultes ronflent occasionnellement, et 25 % sont des ronfleurs réguliers.

Une récente enquête menée au Royaume-Uni par la chaîne de magasins Specsavers, publiée par Peter Wix le 16 mai 2023, conduit à retenir que :

- 91 % des personnes interrogées répondent que leur partenaire ronfle régulièrement et la plupart d’entre elles affirment que leur partenaire bruyant les réveille au moins deux fois par nuit.
- 7 % des personnes admettent que les ronflements de leur partenaire les empêchent de profiter d’un repos nocturne bien mérité, ce qui les agace (46 %), les frustre (45 %), voire les stresse (28 %)
- 9 % des personnes interrogées admettent qu’elles donnent des coups de coude à leur partenaire, 44 % qu’elles le retournent et 42 % qu’elles lui donnent un léger coup de pied pour qu’il s’arrête
- près d’une personne sur dix a même envisagé de se séparer à cause de ce dérangement nocturne.

Au-delà de la gêne occasionnée par le fait de dormir avec un partenaire qui ronfle, une telle nuisance entraîne inévitablement un stress relationnel et des effets néfastes sur la santé ; soit un problème majeur dans la vie sociale et surtout dans la relation conjugale.

Réveillé par le ronflement de son ou de sa partenaire, le conjoint n’hésite parfois pas à manifester son trouble par un bon coup de coude dans le dos en espérant pouvoir dormir à nouveau.

La situation peut même conduire à faire chambre à part pour ne plus avoir à supporter un tel désagrément.

Selon un sondage Ifop 44% des Français se sont déjà disputés à cause du ronflement.

Déjà au XIXe siècle, Armand Bourgeois qui intitule son vaudeville « La consigne n’est pas de ronfler », met en scène Célibaton, un bourgeois de 35 ans qui refuse de se marier de peur de « tomber sur une femme qui ronfle ».

L’échelle de ronflement suivante a été utilisée dans une étude israélienne de 2019 (https://doi.org/10.5664/jcsm.7678) pour laquelle les niveaux de décibels correspondants ont été fixés après évaluation de l’intensité du ronflement dans un laboratoire du sommeil :

- ronflement léger (40-45 dB)
- ronflement modéré (45-55 dB)
- ronflement sévère (55-60 dB)
- ronflement très sévère (+ de 60 dB)

Cette étude suggère que les femmes ont tendance à ne pas déclarer qu’elles ronflent et à sous-estimer le volume de leurs ronflements, même si l’on observe objectivement qu’elles ont des volumes de ronflement similaires à ceux des hommes.

Il est d’usage d’admettre que le ronflement moyen atteint facilement des niveaux sonores de 45 dB(A) à 60 dB(A) dans l’environnement du ronfleur ; ce qui correspondrait en fait à des niveaux d’au moins 70 dB(A) à 85 dB(A) s’il provenaient de l’extérieur et qu'on les comparaissait aux critères de bruit de trafic mesurés ainsi.

Si l’on considère suivant l’étude couples et familles réalisée par l’INSEE en 2011 que 70 % des 68 millions de français vivent en couple, et que l’on puisse formuler l’hypothèse d’un affect unilatéral, il conviendrait ainsi de retenir que la pollution ronchopathique exposerait à raison de 40 % de ronfleurs près de 9,5 millions de personnes.

Le niveau sonore du bruit dépassant alors largement le critère de point noir ou le référentiel de niveau sonore limite du plan de prévention du bruit et le nombre estimé des victimes étant tout à fait considérable, il reste à analyser le motif d’un tel déni.

Un tel seuil de nuisance, qui ne manquerait pas de faire l’objet d’accusation d’effets délétères sur les systèmes endocriniens, immunitaires, cardiovasculaires et autres s’il s’agissait de bruit de trafic ou d’animation urbaine, fait l’objet en effet d’un mutisme écologique pour le moins suspect ; sauf à considérer bien sûr que le niveau sonore ne serait pas le seul motif de dangerosité du bruit …

La raison de ce déni résulte sans doute du caractère intime de la source échappant à l’emprise du pouvoir technocratique gouvernant la société au mépris des affects.

Observons pourtant qu’une telle nuisance n’est pas nouvelle.

Sophie Panziera dans la « Disqualification du ronflement au XIXe siècle »inscrit cette dernière dans une dynamique plus large de disqualification des bruits corporels ou « dormir en silence semble bien devenir une procédure de distinction, participant à l’autocontrôle des corps opéré par les élites du XIXe siècle, qui s’efforcent de se « désonoriser » tout comme elles essaient de se désodoriser, afin de se distancier du peuple, amateur de tintamarre et de brouhaha … Ne pas ronfler semble ainsi intégrer les disciplines de silence imposées par le code de politesse ou d’une manière générale, par la civilité ».

S’il n’est pas prévu de plan d’exposition au bruit ronchopathique, ni l’installation de capteurs afin de traquer les ronfleurs comme il en est des deux roues motorisés, tandis que l’exposition sonore est d’une tout autre intensité à l'intérieur des logements et concerne tout autant d’oreilles, il convient d'admettre soit que le discours en vigueur sur les méfaits du bruit ne se trouve pas fondé, soit que le contrôle du bruit nécessite effectivement d’être appréhendé plus finement que par la seule quantité.

Imaginons un instant la réaction du public si, à l’instar du conjoint du ronfleur, on disait à la victime de bruits urbains qu’il suffit de porter des bouchons d’oreille ; tandis qu’en l’espèce les campagnes contre le bruit, d’autant plus animées par des considérations médicales, devraient plutôt porter sur les moyens de soigner la ronchopathie, dont il est avéré semble-t-il le risque accru pour le ronfleur de développer des maladies cardiovasculaires.

Le guide sur " Le bruit - Les moyens de la combattre efficacement " édité par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (3684 - Mars 2003) situant le ronflement sur l’échelle de bruit au niveau du seuil de risque et l’objet d’un tel établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires étant de participer à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable, l’action correspondante reste donc attendue.

Article du 1er avril 2024, ichthyique ... ou pas.












samedi 20 janvier 2024

ETAT DE LA REGLEMENTATION SUR LE BRUIT DE VOISINAGE


La présente communication a pour objet de reprendre différents éléments de la NOTE D'INFORMATION INTERMINISTÉRIELLE N° DGS/EA2/DGPFV2023/188 du 5 décembre 2023* (relative à la réglementation sur la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés) pour ce qui concerne les seuls « bruits de voisinage » et de proposer différentes observations.
(*https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/2023/12/note-interministerielle051223.pdf)

Il est retenu que ladite note a pour objet d’apporter des « éléments de compréhension » du décret du 7 août 2017 et de l'arrêté du 17 avril 2023 et de tirer les « conséquences des modifications apportées, pour ce qui concerne les bruits de voisinage ».


Différents textes de référence cités dans la note

* Code de la santé publique, notamment ses articles L. 1311-1 et L. 1336-1, R. 1336-1 à R. 1336-16, R. 1337-6 à R. 1337-10-2 ; 
* Code de l'environnement, notamment ses articles L. 571-6 et L. 571-18, R. 571-25 à R. 571-28, R. 571-96 ;
* Code général des collectivités locales, notamment son article L. 2212-2 
* Arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage modifié le 1er août 2013 ;
* Circulaire du 27 février 1996 relative à la lutte contre les bruits de voisinage
* Guide du CNB « Constat d'infraction sans mesurage des bruits de voisinage » no 7, mai 2018
* Guide du CNB « Résolution amiable des bruits de voisinage » n° 8, mai 2020


Extraits de la note


1. Protection de l'audition du public exposé à des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés

1.1.7. Mise en œuvre de réglementation

* Il s'agit :
- pour les lieux déjà concernés… de mettre à jour l'étude d'impact des nuisances sonores (EINS) (présentée ci-après) pour ne pas porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage et, le cas échéant, de mettre en œuvre les mesures nécessaires (modifications du format des activités, aménagements, etc.)
- pour les lieux nouvellement concernés… de faire réaliser, lorsque l'activité est accueillie à titre habituel ou lorsqu'il s'agit d'un festival, une EINS qui précise les différentes mesures à mettre en œuvre pour ne pas porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage.

4. Prévention des bruits de voisinage

4.1. Modifications apportées au CSP par le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017

* Le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 a recodifié les dispositions du CSP relative aux bruits de voisinage (articles R. 1334-30 à R. 1334-37 devenus articles R. 1336-4 à R. 1336-1 1) à droit constant à l'exception de la suppression au premier alinéa de l'article R. 1334-32, devenu R. 1336-6, des termes « , et dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes ». Les autres modifications dans la section bruits de voisinage issues de ce décret (mise en conformité avec la nouvelle numérotation du CSP, renvoi au CEnv, etc.) n'ont pas d'impact sur le plan réglementaire.

4.3. Le constat à l'oreille

* Les agents chargés des contrôles peuvent avoir recours au constat à l'oreille pour évaluer l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme d'un bruit particulier (article R. 1336-5 du CSP et article R. 571-26 du CEnv). Le constat à l'oreille repose sur une appréciation auditive et objective du bruit considéré en tenant compte notamment de sa durée, de sa répétition ou de son intensité.

* Il est toujours possible de recourir au constat à l'oreille, même lorsque le bruit en question rentre dans le cadre défini par les mesures d'émergence globale ou spectrale (articles R. 1336-6 et R. 1336-7 du CSP), mais le juge demandera le plus souvent une mesure des émergences conformément à ces articles.

* Il est ainsi possible de recourir :
- à une mesure du bruit de voisinage constaté à l'oreille sans seuil (R. 1336-5 du CSP) dans tous les cas,
- à une mesure de l'émergence globale (article R. 1336-7 pour les cas prévus au premier alinéa de l'article R. 1336-6) ; en outre, les valeurs limites de l'émergence globale sont rendues plus strictes dans les cas prévus à [article R. 571-26 alinéa du CEnv,
- à une mesure de l'émergence spectrale (article R, 1336-8 du CSP pour les cas prévus au 1er alinéa de l'article R. 1336-6 entrant aussi dans le champ du 2ème alinéa de cet article, qui ne porte de ce fait que sur la partie des bruits d'équipements) ; en outre, les valeurs limites de l'émergence spectrale sont rendues plus strictes dans les cas prévus à l'article R. 571-26, alinéa du CEnv (bruit des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux clos, ouverts au public ou recevant du public).

* Le 1er alinéa de l'article R. 571-26 du CEnv, selon lequel les bruits générés par les activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux ouverts au public ou recevant du public ne peuvent par leur durée, leur répétition ou leur intensité porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage, conforte la possibilité de pratiquer le constat à l'oreille en première intention pour contrôler l'atteinte potentielle à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, des bruits générés par ces activités. Si le constat à l'oreille est censé suffire dans toutes les situations, en pratique et pour avoir force probante, il devra s'appuyer le plus possible sur les constats d'émergence lorsque le droit établit des limites en la matière.

* Les bruits de comportement des participants à une activité ou une manifestation entrent dans le champ de l'émergence globale (article R. 1336-6 du CSP, exemples : discussion devant l'entrée d'un lieu festif, bruit des participants à une manifestation culturelle habituelle ou à un événement ayant fait l'objet d'une autorisation relative au bruit, etc.), et sont en tout état de cause dans le champ des bruits de voisinage constatés à l'oreille (en application de l'article R. 571-26 du CEnv, notamment).

* Le guide relatif au constat d'infraction sans mesurage des bruits de voisinage, publié en mai 2018 par le Conseil national du bruit (CNB), peut apporter une aide utile aux autorités municipales et aux agents chargés des contrôles.
(https://bruit.fr/images/particuliers/Ressources/Guides_Cnb/guide-cnb-constat-bruits-voisinage-min.pdf).

4.4. Sanctions pénales et administratives et mesures de police administrative
       en matière de bruits de voisinage

* Comme indiqué précédemment, le dialogue et la conciliation entre les parties sont à rechercher, en premier lieu. pour résoudre le problème de bruits de voisinage, Le guide du CNB sur la résolution amiable des bruits de voisinage pourra apporter un appui dans ce cadre.
(https://www.bruit.fr/images/particuliers/Ressources/Guides_Cnb/guide-cnb-resolution_amiable-min.pdf.pdf)

* En cas d'échec de cette phase, les agents habilités à rechercher et à constater les infractions aux bruits de voisinage peuvent engager une ou plusieurs mesures telles que les suivantes :
- la verbalisation au moyen d'une contravention de la 5ème classe, en cas de 
. dépassement des valeurs limites de l'émergence globale ou de l'émergence spectrale conformément à l'article R. 571-26 du CEnv (article R. 571-96 du CEnv) pour les lieux clos ;
. dépassement des valeurs limites de l'émergence globale ou de l'émergence spectrale conformément à l'article R. 1336-6 du CSP (article R. 1337-6 du CSP) pour tous les lieux ;
- la verbalisation au moyen d'une contravention de la 4ème classe, en cas de
. bruit particulier, autre que ceux relevant de l'article R. 1337-6, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme dans les conditions prévues à l'article R. 1336-5 du CSP (constat à l'oreille) (R. 1337-7 du CSP, R 1312-14 du CSP pour les articles R 1331-36 et R 1331-39) ;

4.5. Articulation entre les émergences fixées par le CSP et le CEnv

* Le 2ème alinéa de l'article R. 571-26 du CEnv a introduit une obligation supplémentaire pour les activités impliquant la diffusion de sons à des niveaux sonores élevés dans les lieux clos, afin de ne pas porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme… Cette émergence ne concerne que les bruits présents ou produits à l'intérieur du lieu clos. Les bruits produits à l'extérieur (bruit des équipements de climatisation ou bruit des clients, personnels ou toute personne en lien avec l'activité du lieu clos se trouvant à l'extérieur, etc.) entrent dans le droit commun des bruits de voisinage, soit les règles d'émergence de l'article R. 1336-7 du CSP et celles du R. 571-26 alinéa 1er du CEnv.

Observations

Il est proposé de retenir de la note interministérielle du 5 décembre 2023 les indications suivantes :

1. Les modifications des articles et du champ d’application apportées au CSP par les dispositions du décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 et de l’arrêté du 17 avril 2023 devraient rester sans incidence sur la nature des exigences ainsi que sur le mode opératoire de contrôle fixés par les dispositions du décret du 31 août 2006, de l’arrêté du 5 décembre 2006 et même de la circulaire du 27 février 1996 ; à l’exception des activités précédemment réglementées par les autorités compétentes et désormais soumises au régime général.

2. Le constat à l’oreille est admis vis-à-vis du bruit des activités professionnelles, sportives culturelles ou de loisir, mais sans que l’on puisse retenir une « force probante » à ce mode de constat, ni sa validité devant un juge qui « demandera le plus souvent une mesure des émergences conformément à ces articles »; à cet égard il n’est prévu aucune contravention à la suite d’un constat auditif portant sur lesdites activités professionnelles et autres. 

3. Le bruit de comportement des participants aux activités professionnelles et autres relève des bruits visés par l’article R.1336-5, à savoir les bruits domestiques ou de particuliers susceptibles d’être contrôlés à l’oreille ; autrement dit seuls le bruit des installations et le cas échéant de comportement des responsables ou agents desdites activités se trouveraient soumis au critère de l’émergence.
On remarque qu’une telle interprétation est conforme aux décisions suivantes de la Cour de cassation : arrêt du 08/03/2016 - 3ème Ch.Civ. - n° pourvoi : 15-83503 et arrêt du 14/01/2020 - Ch.Crim. - n° pourvoi : 19-82.085 ; étant observé que la seconde décision inclut également le bruit musical amplifié dans le champ du constat à l’oreille.

4. Le CEnv vient sévériser les dispositions du CSP pour ce qui concerne la protection des locaux d’habitation du voisinage, puisque l’émergence de niveau global pondéré se trouve alors portée à la valeur maximale de 3 dB(A) (hors pondération de durée) et par bandes de fréquence à la valeur de 3 dB (125 à 4KHz), mais uniquement pour ce qui concerne le bruit d’une activité sonore amplifiée depuis des lieux clos.
Autrement l’exigence de protection du voisinage est plus sévère lorsque les sons amplifiés se trouvent émis depuis des lieux clos que depuis des lieux ouverts.

5. Il n’est pas confirmé dans la note interministérielle la réponse à l’enquête publique sur le projet d'arrêté du 17 avril 2023 suivant laquelle le mode opératoire du constat de bruit de voisinage des sons amplifiés reste à élaborer par les producteurs desdits sons.










mercredi 15 novembre 2023

ENTRE LES OREILLES, LA PENSEE DU BRUIT


L’expertise judiciaire du différend de bruit concourt à une approche concrète à nulle autre pareille du conflit de voisinage, pour le motif de se dérouler dans le contexte du litige ; à savoir sur les lieux, en présence des parties et dans le cadre d’un débat contradictoire.
Il résulte de ce moyen de procédure civile, installant le technicien au cœur de la confrontation, le privilège pour ce dernier d’éprouver en situation réelle les moyens offerts par les sciences physiques pour renseigner une cause engageant pour beaucoup des rapports humains.

Alors, il faut bien reconnaître qu’une telle pratique du conflit, avec ce que ce dernier porte de tension et d’affect entre les contradicteurs, conduit tôt ou tard l’expert de justice à relativiser l’approche de la nuisance sonore au moyen d’indicateurs quantitatifs, fussent-ils complexes, relevant de la théorie du son.

Soutenir un tel propos n’est pas aisé dans un monde où les chiffres valent mieux que les lettres, cependant il est permis de soutenir que l’intelligence du bruit relève d’une autre complexité que l’approche convenue en nombre de décibels ; quand bien même assortie de considérations spectrales et temporelles sophistiquées, lesquelles ne renseignent évidemment pas mieux les caractéristiques émotionnelles de l’exposition.
Enfin, si ce même technicien projette son regard sur la sémiotique de la fonction de l’habiter, les critères normatifs de la qualité acoustique ne manqueront encore pas de lui paraître restrictifs devant les modalités affectives d’accommodation de l’espace sonore ; lesquelles contribuent, à défaut d’intimité, si ce n’est même de confidentialité du logement réglementaire, à l’idéalisation du pavillon individuel pour 76 à 80 % des Français.

Proposons donc que l’oreille puisse écouter, au-delà d’entendre.


L’indésirabilité du bruit

En introduction du thème « Améliorer la tranquillité sonore des citoyens » de l’Action quatorze du 4ème PLAN NATIONAL SANTÉ ENVIRONNEMENT (PNSE), intitulée « Agir pour réduire l’exposition au bruit », le Groupe santé environnementale (GSE) de l’Assemblée nationale dresse le constat suivant :
« Du matin au soir, nos oreilles sont sollicitées par divers bruits généralement non désirés et à des niveaux sonores pouvant être élevés : bruits des transports motorisés, des klaxons et des sirènes, musique diffusée dans les commerces, bruits des chantiers, etc. »

L’impact de la nuisance sonore, qui résulte effectivement d’une diversité de bruits, se trouvant incriminé par le GSE sous le double effet du non-désir et du niveau sonore, autrement dit en considération à la fois de l'indésirabilité et de l'intensité, il est retenu que les projets d’action élaborés privilégient plutôt le traitement du niveau sonore ; tandis que l’impact sur la santé provoqué par l’attitude de rejet du bruit tend à se trouver contourné.

Les actions du PNSE 4 visant tantôt la création d’un label « espaces calmes » afin de caractériser des lieux « préservés du bruit des transports et des autres sources de bruits (bruits continus de ventilation, bruits de comportements...) », tantôt l’instauration d’un dispositif permettant de « constater et sanctionner plus facilement les bruits de voisinage, notamment par l’usage de sonomètres d’utilisation simplifiée », la question de l’intensité sonore paraît effectivement privilégiée.

Il est symptomatique de l’approche dominante du bruit que le Groupe santé environnementale reconnaisse ainsi la part de nocivité liée aux conditions d’appréhension du bruit, sans pour autant envisager d’action de prévention correspondante ; rappelons tout de même qu’il suffit qu’un bruit soit indésirable, quel qu’en soit le niveau sonore, pour générer à force de durée et de répétition un trouble anxieux dont les conséquences pathologiques sont reconnues par la médecine.

Sans doute peut-on suggérer le motif d’une telle distraction par la réduction physicaliste caractérisant la pensée scientifique et technique dominante, avec pour effet de conférer au domaine du quantifiable le monopole du vrai et pour conséquence une lecture de l’environnement à travers un processus délétère de réification ; réduisant contre nature l’homme à l’état d’objet.
C’est ainsi que les médias répandent, avec le panurgisme qui les caractérise, l’idée que l’approche du bruit serait réductible au seul critère de la quantité de décibels.

Certes, il est plus aisé d’expliquer le trouble de bruit occasionné par exemple par la pompe à chaleur du voisinage au motif du niveau sonore plutôt qu’à celui de l’incongruité de la source dans le contexte et de l’effet intrusif ressenti par le plaignant ; tandis que d’autres bruits de l’environnement, intenses et anonymes, ne créent pourtant pas un tel désagrément.

Ainsi la communication et l’action sur le contrôle de l’exposition sonore en viennent à abolir la pensée sur le bruit, sous une forme de conformisme qu’il convient certainement de dénoncer au motif de ne traiter qu’une partie de la question ; à savoir que l’oreille perçoit autre chose que du son.


Le bruit n'est pas réductible au son

Le bruit ne se trouve en effet appréhendé par le système média-politique qu'en tant que phénomène physique et ses effets envisagés sous le seul aspect du niveau sonore.
Il en résulte la prétention largement répandue suivant laquelle le bruit serait mesurable.

Sont ainsi élaborées des échelles du bruit, repérant sur une graduation en décibels toutes sortes de situations sonores ou de sources de bruit qui n'ont strictement aucun rapport cognitif entre elles et dont le rapprochement ne manque donc pas d’apparaître insolite ; comme si le bruit de la machine à laver du voisin se trouvait moins gênant que celui d’une mobylette ou celui de la pompe à chaleur attenante plus tolérable que celui d’un avion au motif d’une moindre graduation sur l’échelle de niveau sonore.

Le guide pratique de l'habitat édité par une agence nationale de l’environnement amalgame ainsi dans un inventaire hétéroclite le bruit de voisinage avec celui des aéroports ; l'échelle de bruit figurant sur la plaquette situant le ronflement au niveau du seuil de risque.

Une telle réduction numérique du bruit contribue, au mépris de l’appréciation commune et avec pour conséquence un impact anxiogène sur la population, à faire de ce dernier un agent altéragène dont la charge tiendrait en quelque sorte de la dose de décibels ; proposition certainement absurde dès lors que le contrôle de la dose en vient à confondre la nature propre des sources, mais surtout au motif de suggérer que l’absence de bruit pourrait constituer le remède.

Pourtant « le bruit n’est pas une maladie » rappelle le professeur F. Raveau ancien président de la Commission scientifique Bruits et vibrations du ministère de l’environnement.

Observons que le silence n'existe pas dans la nature. Il s’agit d’une expression métaphorique visant à qualifier une ambiance non pas privée de bruit mais habitée de sonorités agréables ou pour le moins ignorées, comme il en est habituellement d’un grand nombre de stimuli sonores environnants jugés non pertinents ; le monde du silence de J.Y. Cousteau grouillant en fait de mille manifestations sonores d’animaux marins.

D’autres raccourcis ou approximations sur le bruit ne manquent pas.

Des campagnes nationales sur l’audition associent sur une même affiche publicitaire les nuisances sonores et les risques auditifs, suggérant par ce rapprochement pour le moins spécieux que les bruits de l'environnement pourraient avoir un impact traumatique sur l’appareil auditif, alors qu’il s’agit bien d’effets extra-auditifs.

Il en est ainsi de l’approche environnementale officielle désignant le bruit sous l’expression abstraite de pollution, comme s’il s’agissait d’un agent extérieur possédant une existence propre, alors qu’il est plutôt question d’une nuisance au sens de l’interaction avec la personne.

Peu importe en effet qu’il y ait du bruit lorsqu’aucun être vivant n’est en situation de le ressentir. Le professeur Leroy rappelle à cet égard qu’" il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ".

En toute cohérence, s’il doit être retenu en l’espèce une pollution ce n’est donc pas par le bruit mais plutôt par le son en tant qu’agent physique ; mais viendrait-il à l’idée de soutenir que le son puisse constituer une pollution ?

C’est ici toute l’ambiguïté entretenue sur le bruit, effectivement non réductible au son parce que support d’interprétation ; on résiste en fait, dans une forme de commodité de pensée toute technicienne, à admettre que le bruit c’est de l’humain en plus du son.

En dépit de l'acception traditionnelle, telle qu’énoncée dans le Littré (Garnier 2007), suivant laquelle le bruit est à la fois un mélange confus de sons et un dire qui circule, il est ainsi retenu qu'entre la part qui parvient aux oreilles et celle qui court dans les esprits, l'approche conformiste du bruit se trouve plutôt réduite à la première.

On rappelle que suivant l’origine latine rumor le bruit se dit en italien rumore, soit une étymologie commune avec le français rumeur ; c’est ainsi qu’une nouvelle se trouve ébruitée, qu’il existe des bruits de couloir, si ce n’est même la propagation de faux bruits qu’on serait donc bien en peine de mesurer.

Observons que même un dictionnaire grand public comme le Petit Robert (édition en ligne) prend la précaution dans la définition du mot bruit de discerner la part relevant du niveau sonore et donc d'éviter la confusion entre bruit et son.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » dit Albert Camus dans la critique d’un ouvrage du philosophe Bruce Parrain paru en 1944 sur la puissance du langage et la valeur des mots.

Un tel déni de la part signifiante dans l’approche du bruit apparaît d’autant plus inattendu qu’il ne résiste pas à l'observation courante.
Remarquons encore une fois qu'un bruit dont l’intensité est faible est susceptible d’occasionner des réactions émotives et anxieuses que n'engendre pas un bruit de niveau élevé ; c'est encore le cas de la pompe à chaleur du voisin dont le niveau sonore reste très inférieur à celui des voitures qui passent dans la rue.

Qu’il soit permis de s’interroger, au-delà de ce que le niveau sonore d’une moto puisse à l’occasion se trouver assourdissant, sur la participation de l’image négative portée sur le motard dans l’appréciation du bruit. Alors un blouson noir pourrait-il bien chevaucher une moto électrique ?

Une autre particularité de l'approche autorisée du bruit est de vouloir qu’il soit un son désagréable et de surcroit qu'il s'accompagne nécessairement d'effets délétères.
Or, à l'évidence, tous les bruits ne sont pas nécessairement déplaisants ou néfastes pour la santé, comme le démontre l'usage courant d'évoquer les différents bruits de la nature, les bruits variés de la campagne, les bruits intimes de la maison, le bruit des enfants qui jouent … 


Certains bruits sont même prétendus relaxants

Des neurologues évoquent ainsi des bruits générateurs de bien-être, comme le bruit du gong, du bol tibétain, du ronronnement du chat, de l’eau qui coule, du crépitement du feu… Le bruit du bourdon ayant en Orient le don d'anesthésier l'intellect et de favoriser la concentration.
Il est question ici de sonothérapie.

Définir le bruit comme " un son déplaisant ou confus ", tel que l'association AFNOR voudrait en faire la règle dans le Vocabulaire de l'acoustique, relève bien d'une interprétation physicienne contrevenant à l’origine étymologique et sémantique du mot bruit ; ceci dans l’intention manifeste de corréler le trouble à l’intensité sonore.
Il n’est donc pas vérifié que les musiciens, les marins-pêcheurs, les gardiens de moutons, les maîtres-nageurs ou autres professionnels exposés à des bruits récurrents d’un niveau sonore élevé, présentent davantage de troubles de la santé que le reste de la population.

Alors comment expliquer que l'on puisse ainsi réduire l’étude de l'impact du bruit à la seule excitation physique, sauf à imaginer une forme de déterminisme logique entre les processus physiologiques et psychiques ?
 

La relation entre sensation et perception

Au-delà de l'approche réductionniste du bruit au niveau sonore, il convient d’ajouter la confusion autrement simplificatrice entre la sensation et la perception.

On rappelle que la sensation correspond à une stimulation physiologique suscitant un événement psychique élémentaire, autrement dit un niveau de traitement précoce de l'information dans le système nerveux central, susceptible de provoquer des réactions affectives, de l’ordre du réflexe.
Il est ainsi permis de proposer que la sensation constitue la première étape, au stade physiologique, d'une chaîne d'événements neurologiques précédant l’élaboration de la pensée.

La perception, pour sa part, est la représentation mentale de la sensation ; c’est un processus par lequel un individu organise et interprète ses sensations de façon à donner un sens à son environnement.

Le préfixe psycho d'un mot conférant à ce dernier une relation à la pensée et à l'esprit, il est remarquable que la branche de l'acoustique propre à l'étude de la sensibilité du système auditif par rapport aux stimulations acoustiques ait été désignée sous le vocable de psychoacoustique, tandis que son objet relève plutôt de physioacoustique ; c'est-à-dire des propriétés réceptives de l'oreille, lesquelles il est vrai sont difficilement dissociables des stades psychiques élémentaires propres à la sensation, mais sans pour autant engager un processus réflexif conscient.

Accorder au stimulus une valeur d'information, au sens de façonnement de l’esprit suivant le Littré, ne manque pas de renvoyer au XIXème siècle et aux travaux de G.T. Fechner établissant la théorie du parallélisme psychophysique, d'après laquelle matière et esprit sont indissociables ; énonçant ainsi dans la pure tradition animiste que le monde physique et le monde psychique constituent les deux faces d'une même réalité.
Rappelons que dans une sorte d’exaltation mystique G.T. Fechner publia différents essais comme « Nanna ou la vie sensible des plantes », exposant que la nature était animée d'une âme vivante, ou encore « Le petit livre de la vie après la mort », suggérant que les âmes des créatures décédées formaient les éléments de la vie spirituelle sur Terre.

Il est ainsi improbable que le décibel, utilisé aujourd'hui comme unité de mesure du niveau sonore par les techniciens de l’acoustique, puisse avoir pour origine l'illumination de G.T. Fechner, un petit matin d'octobre 1850 alors qu’il se trouvait encore au lit, lui révélant la relation somme toute extatique entre l’âme et le corps, selon laquelle la sensation varierait comme le logarithme de l'excitation.

On rappelle que l'histoire des sciences a retenu ce 22 octobre 1850 comme date de fondation de la psychophysique, dont les adeptes restent bien nombreux aujourd’hui, en dépit de ce que la relation de G.T. Fechner se révèle indémontrable, comme dénoncé très tôt par de nombreux chercheurs comme E. Hering, H. Bergson, H. von Helmholtz ou W. James ; tous attentifs à la mathématisation des phénomènes psychologiques.
Il apparaît effectivement vain de vouloir corréler l'excitation et la sensation, en négligeant l'influence de la perception sur cette relation.


Le cerveau organe principal de l’ouïe

La mise en évidence de l'affectivité dans l'appréhension du bruit est assez ancienne, puisque déjà en 1918 H. Hyde et W. Scalapino observaient que pour un même niveau sonore musical les tons mineurs augmentaient la fréquence du pouls et diminuaient la pression artérielle, tandis que la musique rythmée augmentait à la fois la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Ces derniers remarquaient encore que la réaction cardiaque restait plus faible en présence de morceaux familiers (The influence of music upon electrocardiograms and blood pressure).

B. Morillon et S. Baillet, chercheurs à l’INSERM / Institut de Neurosciences des Systèmes (revue PNAS USA : Motor origin of temporal predictions in auditory attention) confirment à l’aide de mesures magnétoencéphalographiques que le cortex moteur aide à mieux entendre en anticipant la sensation par une excitation neuronale se propageant vers le cortex auditif.
 
Les équipes de B. Bathellier (Dynamique du système auditif et perception multisensorielle / Inserm) à l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur et d’A. Destexhe (Institut des neurosciences Paris-Saclay / CNRS / Univ. Paris-Saclay) démontrent encore (revue Nature Neuroscience - 28 septembre 2022) que l’anesthésie a pour effet de placer le cerveau dans un état inconscient dans lequel les sons ne sont plus perçus ; autrement dit dans la situation par laquelle le cortex auditif se trouve encore stimulé par les sons sans que ces derniers se trouvent perçus par le cerveau.

A. Destexhe note ainsi : « Dans un sens, le cortex éveillé est plus « créatif » parce qu’il génère de nouveaux motifs d’activité en réponse aux sons, et qui leur sont spécifiques, alors que cette spécificité semble inexistante lors de l’anesthésie. Il reste à voir si les mêmes conclusions s’appliquent aussi à d’autres états comme le sommeil ».
R. Chervin, directeur du Sleep Disorders Center à l'Université du Michigan, explique que si le ronfleur ne s’entend pas ronfler cela est lié à la façon dont le cerveau filtre les sensations.
Il est observé par ce chercheur que certains sons réveillent ainsi plus que d'autres ; entendre son nom est plus susceptible de réveiller qu'un mot courant et des bruits constants ou répétitifs réveillent en retour moins que des bruits irréguliers ; de la sorte le bruit provenant de notre propre corps est moins susceptible de nous alarmer.

Chacun peut certainement constater à cet égard que la prise de conscience d’un bruit dépend de la pertinence accordée à ce dernier : le faible gémissement du nourrisson réveille ses parents tandis que les grondements violents d’un orage peuvent ne pas les tirer du sommeil. En reconnaissant l’importance à donner à un son et en ne portant pas à la conscience les bruits n’offrant pas d’intérêt le cerveau protège ainsi d’une surcharge sensorielle.

À propos de la perturbation du sommeil par le bruit, la vraie question se trouve en fait posée par le psychiatre Stephen A. Stanfeld : " Est-ce que le bruit provoque une perturbation du sommeil et par conséquent une altération de la santé ? ou peut-être plus probablement : est-ce qu'un mauvais état de santé conduit à la perturbation du sommeil par le bruit dans lequel le bruit est perçu comme perturbant ? " (Internoise 2000).

S’il est amplement démontré par des études cliniques en laboratoire que le bruit peut entrainer des modifications des systèmes cardio-vasculaire, neuroendocriniens, digestifs ou respiratoires, il doit donc être admis que l'impact sur ces altérations résultent aussi de la pertinence accordée à la source et de l’affectivité négative portée sur le bruit.
De telles recherches enrichissent grandement les modèles de relation entre le signal sensoriel et les mécanismes de la perception.

Il convient encore de dénoncer l’artéfact écolo-médiatique suivant lequel le bruit serait un générateur obligé de trouble ; représentation dommageable par suite de l'effet nocebo qu’elle suscite.
Les médias sont sans doute bien conscients qu’une information anxiogène attire l'attention et fait vendre les journaux, mais pour autant sans se rendre compte de l’importance de leur rôle dans le conditionnement de la population et finalement de leur contribution majeure au stress environnemental.

Des études démontrent ainsi des inquiétudes collectives, parfois non fondées, sur des sujets de santé publique comme par exemple les effets des rayonnements électromagnétiques ; il a ainsi été observé que des troubles avaient été allégués par des riverains d'une antenne-relais de téléphonie tandis que l'installation n'avait pas encore été mise en service.

Une expérience scandinave a démontré en l’absence de tout environnement nocif qu’un nombre significatif d’individus se plaignaient de symptômes divers gastro-intestinaux, musculaires et névralgiques (« effet nocebo ») après la diffusion d’informations erronées sur une pollution par des médias (Barsky, Saintfort, Rogers – JAMA 2002 ; 287).

Le rapport de l’Académie nationale de médecine sur les Nuisances sanitaires des éoliennes terrestres (séance du mardi 9 mai 2017) fait état de l’expérience suivante :
« Une récente étude néozélandaise conduite en double aveugle a comparé les effets d’une exposition de 10 minutes soit à une stimulation placebo (c’est-à-dire au silence), soit à des infrasons, sur des sujets recevant préalablement une information soulignant soit les méfaits, soit l’innocuité de ces derniers. Seuls les sujets ayant reçu les informations négatives rapportèrent des symptômes, qu’ils aient été ou non soumis à l’exposition aux infrasons !!! Cette expérience souligne le rôle éventuellement négatif de certains médias et autres réseaux sociaux. » (Barsky AJ, Saintfort R, Rogers MP et al. Nonspecific medication side effects and the nocebo phenomenon. JAMA 2002; 287: 622-7. Crichton F, Petrie KJ. Health complaints and wind turbines : the efficacy of explaining the nocebo response to reduce symptom reporting. Environ Res 2015; 140; 449-55. Baxter J, Morzaria R, Hirsch R. A case-control study of support/opposition to wind turbines: perception of health risk, economic benefit, and community conflict. Energy Policy 2013; 61: 931-43.)

Retenons encore suivant ces études que « les personnes qui déclarent avoir une électrosensibilité éprouvent en effet des symptômes lorsqu’elles sont exposées à des champs électromagnétiques, mais seulement lorsqu’elles savent qu’elles sont exposées » suivant G.J. Rubin, M. Burns, S. Wessely (King’s College London, Department of Psychological Medecine, Londres, Royaume Uni).
Ainsi l’Académie nationale de médecine retient que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance ».

De même l’O.M.S., suivant laquelle la gêne est une « sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé », retient ainsi l’impact de l’imaginaire sur le trouble.
Observons suivant ces hautes instances médicales et puisqu’il est question de sanité que l’application du « droit de vivre dans un environnement sonore sain », tel qu’institué par l’article L.571-1A du Code de l’environnement, suppose donc de prendre en compte le comportement face au bruit et de ne pas confondre nuisance et pollution.

Sans doute devrait-on alors plus souvent s’interroger sur l'impact du bruit sur la santé lorsque le bruit est considéré a priori comme nocif et sans doute les enquêtes d’opinion, dont le questionnaire se trouve orienté ne devraient pas faire l’économie d’une attitude collective dûment attestée par des taux de plainte analogues dans des conditions sociales et de bruyance comparables.
Manuel Perianez dénonce à propos des sondages sur le bruit la « préexistence d’une opinion consciente socialement établie » (Limite de validité des sondages en sciences sociales – Journées STE Créteil – 23 mai 1996) et rappelle à l’image de R. Barthes (La Chambre claire) que « pour obtenir une photographie qui saisisse le vif du sujet, il faut la prendre à son insu ».
 
L’ensemble de ces contributions devrait ainsi conduire à partager la réserve exprimée depuis déjà de longue date par différents chercheurs, tels Miller en 1974 ou Kryter en 1985, qui soutenaient la réelle difficulté d'établir un lien de causalité tangible entre le niveau physique du bruit et les troubles affectant la santé.
À l’évidence ce n’est donc pas parce que le facteur de trouble lié à l’aversion, ou pour le moins, l’indésirabilité du bruit n’est pas mesurable qu’il doit donc être négligé.


Vers une approche cognitive du bruit

L’approche purement physicaliste du bruit montrant ses limites, un changement de paradigme s’impose, impliquant la prise en compte de nouveaux indicateurs.

En tout état de cause le paramètre cognitif ne peut plus rester ignoré dès lors que l’O.M.S, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux (arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 8 juillet 2021) reconnaissent l’effet nocebo provoqué en la circonstance d’éoliennes par l’attitude anxieuse des riverains ; un tel effet étant naturellement susceptible d’être étendu à toute autre source de voisinage.
Ainsi D. Dubois (LCPE/LAM) et M. Raimbault (INRETS-LTE) inaugurent de nouvelles recherches sur la catégorisation de bruits urbains au niveau des représentations collectives en mettant l’accent sur la signification donnée aux bruits (Les catégories cognitives du bruit urbain : des discours aux indicateurs physiques – Acoustique et technique n°39).

À la différence du traitement de mesure physique, le traitement cognitif du bruit conduit à prendre en compte les processus d’interprétation sémantique, lesquels relèvent bien sûr des représentations mentales issues de l’expérience de chacun, mais qu’il semble possible de catégoriser en représentations collectives dès lors qu’elles se trouvent partagées.
Par exemple, si l’on retient la démonstration de Fields et Walker (1982) suivant laquelle, à niveau sonore identique, la gêne est forte chez les personnes qui pensent que le bruit est évitable et plutôt faible chez ceux qui considèrent qu’il est inéluctable, l’évitabilité semble ainsi constituer un critère cognitif remarquable du trouble.

D’autres critères cognitifs se dégagent certainement des indicateurs d’anormalité habituellement retenus par le juge civil dans le cadre de l’instruction du trouble anormal de voisinage, tels que l’incongruité dans le contexte ou le défaut de précaution, qui relèvent effectivement de considérations non pas psychologiques mais factuelles.

S’il était permis de suggérer différentes actions dans le cadre de la prévention des effets cognitifs du bruit, ces dernières pourraient concerner :
- Le développement de la recherche pour l’identification de catégories cognitives du trouble de bruit, permettant de relativiser le critère de seuil souvent improbable du niveau de bruit ou de l’émergence et d’élaborer des principes de précaution qualitatifs.
- La réalisation d’une campagne d’information à l’intention du public et des médias, visant à redonner au bruit l’interprétation sémantique nécessaire à une approche compréhensible de la nuisance sonore et de nature à faciliter son traitement.
- L’éducation au partage de l’espace sonore dans le cadre scolaire et l’action des collectivités locales, rappelant bien au-delà de la question du bruit les fondements de la civilité.

L’instruction de plaintes donne ainsi à voir toute la complexité de l’appréhension du bruit et impose de chercher plutôt que de restreindre :
Prendre les humains pour des decibelmètres, c’est leur interdire de penser le bruit ; rappelons ce que disait Georges Bernanos dans la « France de robots » en 1947 : « Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté ».


Quelques repères bibliographiques :

Les effets du bruit sur la santé, J. Mouret et M. Vallet, ministère des affaires sociales et de la santé
Les stress de l’environnement, Annie Moch, Culture et société
La signification de la gêne attribuée aux bruits dans les logements, F. Desbons et M. Perianez, ministère de l’équipement
Évaluation des impacts sanitaires extra-auditifs, Anses
Le coq et le klaxon ou la France à la découverte du bruit, Ch. Granger, Presses de Sciences Po
Le cortex moteur aide à mieux entendre, B. Morillon et S. Baillet, PNAS USA
Les catégories cognitives du bruit urbain, D. Dubois et C. Guastavino, Acoustique et Techniques
Les effets du bruit, S. Stanfeld, Acoustique et Techniques
Mécanismes psychologiques possibles du syndrome éolien, G. J. Rubin, M. Burns et S. Wessely, King’s College London
L’audition et la compréhension, Audition et santé





vendredi 7 juillet 2023

INSTALLATIONS CVC ET TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE

En cas de bruit de voisinage, occasionné par exemple par une installation CVC, et à défaut de rapprochement amiable, les plaignants peuvent avoir recours à la justice pour régler leur différend.

L’action civile ou l’action pénale

On rappelle que l’action devant une juridiction civile a pour effet d’obtenir une réparation par suite d’un dommage, tandis que l’action devant une juridiction pénale vise à faire sanctionner le fauteur coupable d’une infraction.

Une telle distinction entre les deux types d’action est essentielle, puisque le critère d’appréciation du dommage n’est pas celui de l’infraction.

L’autonomie de l’appréciation d’un dommage

En effet, si le critère de l’action pénale dépend de l’application des dispositions réglementaires, celui de l’action civile résulte de la théorie prétorienne du « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », désignée usuellement sous l’expression de « trouble anormal de voisinage » (TAV), laquelle s’applique au cas d’espèce.

L’appréciation du dommage ne se trouvant pas déterminée par l’infraction, le TAV tient ainsi du régime de la responsabilité sans faute.

L’ancienneté de la théorie du TAV

La Cour de cassation a jugé que « l’exercice même légitime du droit de propriété devient générateur de responsabilité lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (Par exemple : Civ. 18 février 1907, DP 1907, 1, 3851 ; Civ. 2ème 24 mars 1966, D 1966, 435) en ajoutant que « la responsabilité du propriétaire qui a accompli des actes nuisibles aux voisins est engagée même si ces actes ont été autorisés par l’administration » (Civ. 2ème, 27 octobre 1964, JCP 65, II, 14288),

La Cour de cassation a encore jugé que « le caractère excessif du trouble s’apprécie en fonction des circonstances de temps et de lieu » (Civ. 3ème, 3 novembre 1977, D 78, 434), en relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Encore plus récemment, le 19 novembre 1986 (Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379) ou encore le 17 avril 1996 (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876, D. 1997), la Cour de cassation confirme le principe, indépendant des articles 544 et 1382 du Code civil, suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Le cadre du contentieux

Dans ce cadre contentieux civil l’engagement de responsabilité de l'auteur d'un trouble de voisinage exige la réunion de plusieurs critères : un lien de voisinage, l’anormalité du trouble, l’existence d’un dommage et la causalité entre le trouble et le préjudice.

Par ailleurs la charge de la preuve pèse sur la victime, laquelle dispose de cinq années pour agir " à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer " (article 2224 du Code civil).

Les critères d’appréciation du TAV

Les critères habituels d’appréciation du TAV, tels que retenus à travers l’analyse de la jurisprudence, apparaissent multiples et en tout cas circonstanciels, relevant du contexte, de la congruité, de l’intensité ou de l’émergence, de la durée et de la répétition, de la nature du bruit, de la période, de la zone, de l’activité des plaignants, de la négligence et du défaut de précaution.

L’instruction du TAV par l’expert judiciaire

L’expert désigné par le juge pour instruire le différend est le plus souvent un technicien. De la sorte l’instruction vise à renseigner le juge non pas sur le trouble de la personne mais sur le trouble à la personne ; soit un trouble de fait, en quelque sorte social, excluant toute considération médicale ou psychologique.

A cet égard l’expert doit en première étape rendre compte de l’effectivité du bruit.

Le référentiel retenu couramment par la jurisprudence est l’avis de la Commission d’étude du bruit du ministère de la Santé publique du 21 juin 1963, suivant lequel un bruit est de perception sensible ou encore perceptible sans exiger un effort particulier d’attention lorsque ce dernier engendre une émergence instantanée d’au moins + 3 dB la nuit et + 5 dB le jour, dans une bande de fréquence quelconque de bruit audible.

L’audibilité ne pouvant justifier à elle seule l’anormalité, il revient ensuite à l’expert de renseigner l’usualité de la source dans le contexte de voisinage, l’utilité collective, la causalité, l’évitabilité ou le défaut de précaution et d’emploi.

S’agissant plus particulièrement d’une PAC, il appartient à l’expert de rendre compte au juge des conditions d’implantation par rapport au voisin, de la sélection du type d’appareil, d’un modèle in-door ou out-door, des possibilités d’encloisonnement et d’ajout de silencieux etc.  

La personnalisation du trouble

Il sera observé que le propriétaire de la PAC incriminée conteste en général que son appareil est bruyant, tout en refusant cependant son déplacement sur la terrasse de son salon.

Il en va ainsi du bruit, faisant dire au professeur Leroy qu’ « il n’y a pas de bruit en soi mais que du bruit pour soi ».

Le risque du TAV, qui justifie d’autant mieux de ne pas retenir le seuil d’infraction réglementaire comme objectif à satisfaire de la part de l’installateur, est la prise en compte au titre de l’anormalité de l’effet « nocebo » engendré par l’état anxieux du plaignant, avec ses conséquences somatiques.

On rappelle qu’un tel effet est reconnu par l’OMS, l’Académie de médecine et désormais les tribunaux suivant la décision de la Cour d’appel de Toulouse du 8 juillet 2021, concernant en l’espèce le voisinage d’éoliennes mais susceptible de concerner d’autres types d’installations.

Les règles de voisinage supposent ainsi de manifester, au-delà des aspects techniques, l’intention de précaution.



mardi 27 juin 2023

LE FAIT DE BRUIT SUIVANT L'ARTICLE 145 DU CPC

Une fissure dans un mur, le tuilage d’un parquet ou une fuite de chauffe-eau relèvent de manifestations tangibles et leur allégation, dûment accompagnée d’un constat photographique, se trouve aisément recevable.

Dans ce cadre où le désordre est apparent, il est effectivement permis d’asseoir le litige sur des arguments concrets.

Pour le bruit c’est une tout autre affaire, puisque le trouble sonore peut être réel ou imaginaire, sans relation avec l’intensité et le cas échéant résulter de la seule aversion pour la source.

À cet égard l’attestation médicale par le plaignant de troubles cardio-vasculaires, neuroendocriniens, digestifs ou respiratoires ne justifie en rien que de tels symptômes puissent résulter de bruits réels.

L’Académie de médecine rappelle ainsi que « la crainte de la nuisance peut être plus pathogène encore que la nuisance » et l’O.M.S confirme dans la définition de la gêne l’effet nocebo d’un bruit : « une sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l’environnement dont l’individu (ou le groupe) reconnaît ou imagine le pouvoir d’affecter sa santé ».

On rappelle que le bruit c’est à la fois du son et de l’information; le Petit Robert discernant à juste titre dans la définition du mot bruit : le niveau sonore du bruit.

En d’autres termes le bruit ne se mesure pas, mais uniquement le niveau sonore, et l’on sait bien que l’intensité de la source est sans rapport avec le trouble, puisqu’un bruit de faible niveau peut devenir une réelle source de stress à force de durée et de répétition; c’est le cas récurrent du bruit de la pompe à chaleur du voisin, dont le niveau sonore est pourtant plus faible que les autres bruits de l’environnement pour leur part pleinement tolérés.

Le trouble de bruit résultant de multiples facteurs et donc non nécessairement acoustiques, d’où la désignation de troubles non-auditifs, l’allégation correspondante reste en conséquence très relative et en tout cas difficile à prendre au mot; dans ce cas il se peut que la demande ne porte pas sur des faits avérés, mais supposés.

Chaque expert acousticien a eu à instruire des affaires où le bruit est imaginaire, c’est-à-dire dont le niveau sonore n’est pas physiquement mesurable, en dépit de témoignages multiples ou même de constats d’huissier faisant état de sources sonores, qui après examen se révèlent en fait sans relation avec le bruit particulier décrit par le demandeur.

Rappelons à cet égard que des personnes peuvent souffrir d'acouphènes, à savoir de bruits que l'on perçoit sans qu'ils aient été émis par une source extérieure, que l'inimitié vis-à-vis d'un voisin peut conduire à lui imputer toutes sortes d’intentions sonores, voire ultrasonores ou même électromagnétiques, mais encore que la sincérité de l'attestation d'un tiers peut en toute bonne foi et par empathie se trouver empreinte de suggestion.

Pourtant lorsqu’un plaignant allègue entendre des bruits sourds, décrits comme volontairement occasionnés par son voisin dès qu’il approche de son domicile et qu’il les perçoit même depuis l’intérieur de son véhicule sans être encore arrivé chez lui, sans doute doit-on s’interroger sur la sincérité de l’assignation à comparaître dudit voisin.

On rappelle que des problèmes de santé chroniques liés au stress, comme l'hypertension, figurent parmi les principaux facteurs de risque de perte auditive neurosensorielle à des fréquences aiguës et d'acouphènes primaires; ressentir des bourdonnements en réaction de stress à son domicile et ne plus les ressentir en dehors de chez soi lorsqu’on est par exemple en vacances ou chez des amis, ne saurait donc en rien justifier qu’un voisin, en dépit d’être antipathique, soit à l’origine desdits bourdonnements.

Dans un autre cas le bruit est décrit comme tellement fort la nuit que même les tableaux bougent sur les murs, cependant sans que les voisins immédiats dans l’immeuble ne perçoivent pour leur part la moindre manifestation sonore ou vibratoire; une telle affaire ayant conduit au remplacement du premier expert pour incompétence parce qu’il ne trouvait pas l’origine du phénomène ; qui en réalité relevait bien d’acouphènes et n’était donc pas mesurable.

Remarquons que le principe de la contradiction vise en la circonstance la démonstration partagée de l’absence de réalité physique du phénomène décrit, au moyen par exemple de simulations de bruit visant à rendre compte de l’impossibilité matérielle de transmission et de perception.

La question se pose encore du crédit à apporter à l’assignation lorsque le plaignant n’entend le bruit perturbateur qu’en collant son oreille contre le mur, à un endroit précis aisément repérable par la trace sur le papier peint, où l’expert se trouve donc invité à coller lui aussi son oreille.

Que dire encore des demandeurs qui se plaignent non pas d’un excès de bruit mais seulement d’entendre; comme de pouvoir percevoir le simple passage d’une voiture dans la rue.

Chaque expert acousticien a encore eu à connaître la situation, où, après que le niveau sonore de la source incriminée a été mesuré et constaté conforme, le demandeur déclare qu’il n’est plus gêné et sollicite de l’expert, comme si ce dernier en avait le pouvoir, de mettre un terme à sa mission.

Un telle issue se produit souvent après de multiples mises en cause et des dépenses expertales conséquentes, engendrées par les réunions successives pour rendre les opérations contradictoires aux traitants, sous-traitants et leurs assureurs; sans pour autant que le demandeur ne s’en émeuve.

La question est donc de savoir si la mise en évidence d’un bruit perturbateur doit relever de l’initiative du demandeur, afin de lui permettre de prétendre à l’action en justice, ou si c’est à la justice de prendre en charge la démonstration du bruit en désignant un expert à cet effet; lequel se trouve missionné, en quelque sorte, comme prestataire de service du demandeur.

Il est ainsi récurrent de voir le demandeur solliciter de l'expert désigné de procéder à l'audit de ses sensations sonores afin de démontrer leur factualité, si ce n'est leur origine, au motif que la mission ordonnée prévoit toutes investigations utiles.

Au titre des mesures d'instruction relatives à l'administration de la preuve, l'article 143 du Code de procédure civile fixe que " Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible ".

On rappelle qu'un fait est un évènement advenant ou advenu, lequel se caractérise par son extériorité contrairement à l'idée qui relève de l'intériorité; au sens étymologique du latin le fait relève de l'action et de la réalisation; son effectivité le distingue ainsi des produits de la pensée.

Le fait tel qu'il se trouve visé par le Code de procédure se caractérise semble-t-il par une existence matérielle et en tout cas observable, qu'il s'agisse d'un objet, d'un évènement ou de circonstances.

Qu'il soit permis le truisme suivant lequel le fait relève essentiellement de la factualité.

Il convient ainsi de distinguer la manifestation d'un trouble de la réalité d'un fait. À cet égard l’expression d'une sensation sonore ne devrait certainement pas être confondue avec la démonstration d'un fait de bruit, qui seul devrait permettre d'asseoir la présomption.

L'article 144 dudit code précise que " Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer ".

Par la suite, l'article 145 fixe que " S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnée à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ".

Il convient ainsi de retenir que la mission d'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 145, qui vise d’abord à renseigner le juge, tient pour objectif non pas de conserver ou d'établir les faits mais de conserver ou d’établir la preuve des faits ; la précision des termes employés par le Code de procédure civile levant toute ambiguïté sur la distinction à opérer entre le fait et la preuve du fait et donc sur l’exercice essentiellement probatoire de la mesure d’instruction technique.

Autrement-dit, si la demande d'expertise se trouve recevable à la lecture de témoignages ou de constats que peut en avoir le juge des référés, l'ordonnance ne semble pas pour autant affranchir l'expert de l'application des règles de procédure au sens induit de l'appréciation technicienne de la demande, à laquelle ce dernier se trouve précisément convoqué pour dire non pas le droit mais la technique.

De la sorte, la recevabilité de la demande par le juge ne devrait se trouver confondue avec la recevabilité technique des faits allégués, dont seul le technicien, de par sa compétence, est de nature à apprécier la plausibilité aux fins de procéder à leur instruction probatoire.

Remarquons à cet égard les indications de Madame Anne-Marie Batut, conseiller référendaire, dans l'étude sur les mesures d'instruction in-futurum (publiée dans le rapport annuel de 1999 de la Cour de cassation) relatives à la plausibilité nécessaire des faits allégués par le demandeur et à la nature ampliative de la recherche de la preuve :

" En tout cas, ces faits doivent présenter un caractère de plausibilité suffisant (Civ. 2, 14 mars 1984, Bull. n° 49 ; 23 novembre 1994, Bull. n° 241 ; 6 mai 1998, pourvoi n° Z 96-16.828) "

" En tout cas, le recours au référé probatoire n’est pas admis si le demandeur dispose déjà d’éléments de preuve suffisants, ou s’il lui est possible de réunir par lui-même des éléments supplémentaires. En d’autres termes, les faits dont la preuve est recherchée doivent améliorer la "situation probatoire" du demandeur ". 

Dès lors que la question est de savoir si l'allégation auditive peut après tout constituer un fait, il doit être répondu que la factualité d'un évènement sonore ne peut relever de l'expression d'une sensation ou d'une opinion, mais seulement de la démonstration matérielle d'une variation de pression d'ordre acoustique au moyen de l'instrument de mesure physique que constitue le sonomètre; du moins si celui-ci satisfait aux règles d’homologation et de vérification périodique (muni de l’étiquette verte) ce qui n’est pas le cas des appareils utilisés couramment pour les constats.

Il convient ainsi de retenir qu'en matière de bruit le fait se trouve essentiellement matérialisé par l'existence d'une onde sonore, laquelle doit être dûment mesurée, authentifiée et certainement imputée.

L’expert acousticien doit ainsi adopter la plus grande circonspection procédurale, afin qu'on ne puisse lui reprocher d'outrepasser la mission ordonnée sur le fondement de l'article 145 par l'instruction présomptueuse de bruits qui ne relèveraient, suivant l'état de l'argumentaire du demandeur, que de supputations.

Il ne devrait donc pas apparaître contradictoire avec la décision ordonnant l'expertise que l'expert puisse solliciter du requérant l'établissement matériel des perceptions sonores alléguées, c'est-à-dire de lui demander de faire procéder à des relevés métrologiques, dont les résultats sont également de nature à confirmer l'identification et la provenance des faits et donc la bonne identité du défendeur assigné.

Qu’il soit observé qu’en désignant un technicien le juge oriente l’instruction judiciaire dans le domaine non pas du trouble de la personne mais du trouble à la personne; autrement dit un trouble objectivable au moyen d’indicateurs non pas psychologiques mais strictement factuels, tels que l’audibilité à travers la règle d’émergence de l’Avis de la commission d’étude du bruit du 21 juin 1963, l’usualité de la source dans le contexte, les conditions d’occupation des lieux, la récurrence du bruit, l’évitabilité par des moyens techniques appropriés, le défaut de précaution en considération des modalités d’usage … L’ensemble de ces indicateurs factuels étant de nature à permettre au juge de statuer sur l’anormalité.

Instruire le trouble à la personne et non pas le trouble de la personne signifie bien que le domaine de compétence de l’expert acousticien est celui de la matérialité et non pas de l’affect ou du médical : conclure dans ces conditions que le bruit dont le plaignant déclare souffrir ne relève pas du domaine de la physique semble suffisamment explicite pour ne pas nécessiter des développements susceptibles d’être reprochés ultérieurement à l’expert.

On remarque que cette question de la factualité du bruit allégué s’impose avant même le procès, c’est-à-dire lors de la démarche amiable de résolution du différend.

En effet la personnalisation du conflit en cas de litige de bruit de voisinage conduit souvent à se demander si le trouble est bien occasionné par le bruit ou plutôt le bruit la résultante du trouble relationnel; autrement dit, la question est de savoir si c’est le bruit qui engendre le trouble ou plutôt le trouble qui engendre le bruit.

Sans doute alors le succès de la médiation exige-t-il dans ce cadre d’aider les parties à s’entendre, à la fois au propre comme au figuré, plutôt que de les laisser focaliser leur échange sur un sujet technique que l’expert acousticien est certainement le mieux à même de relativiser.